Article publié le 9 mars 2015 sur http://www.achatpublic.info avec interview de Maître Malvina Mairesse
Pour ne pas avoir remis les « cadres-type de mémoire technique », une entreprise candidate à un marché publi alloti a vu ses offres rejetées comme irrégulières. Le juge du référé contractuel a sanctionné le pouvoir adjudicateur en annulant les deux lots. Certes, il n'y avait pas les cadres-type, mais le pouvoir adjudicateur pouvait à la seule lecture des mémoires techniques et sans aucune recherche, retrouver les renseignements exigés.
Un pouvoir adjudicateur a lancé une procédure d'appel d’offres ouvert alloti concernant un marché ayant pour objet la « mise en place d’une vidéoprotection et maintenances associées ». Un des candidats a été informé du rejet de ses offres pour irrégularité au motif qu’elles ne comportaient pas les « cadres type de mémoire technique » exigés par le règlement de la consultation (RC). La société évincée a ainsi saisi le juge du référé précontractuel du TA de Grenoble, estimant que l’ensemble des informations visées dans les « cadres type de mémoire technique » figuraient, pour chacun des lots, dans les mémoires techniques qu’elle avait remis au pouvoir adjudicateur. En cours d’instruction, la requérante a été informée de la signature des deux marchés. L’entreprise requérante a donc requalifié son référé précontractuel en référé contractuel, demande qui a été accueillie par le juge des référés dans une première ordonnance du 16 janvier 2015. Le juge a en effet relevé que le pouvoir adjudicateur avait méconnu l’article L. 551-4 du Code de justice administrative en ne suspendant pas la signature de ses marchés alors que le recours en référé lui avait été régulièrement notifié par la société requérante. Il a également fait droit à la demande de suspension de l’exécution des marchés pendant la durée de l’instance. Par une seconde ordonnance du 23 janvier 2015, le juge des référés a ensuite déclaré nuls les deux marchés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-18 du Code de justice administrative (CJA).
Les offres sont régulières malgré l’absence des cadres-type
« La ville a imposé aux entreprises candidates de remettre dans le cadre de leur offre un « cadre-type de mémoire technique » au format Excel. Outil d’analyse des offres, ce cadre-type avait également vocation à devenir une pièce contractuelle. Tous les candidats, à l’exception de la société requérante, ont remis ce document. Le pouvoir adjudicateur a déclaré son offre irrégulière pour deux motifs. Accepter l’offre aurait entraîné une rupture d’égalité de traitement des candidats. De plus, pour la ville, il manquait une pièce contractuelle, nécessaire à l’analyse des offres », explique Me Ségolène Cognat, avocat au barreau de Grenoble. « Si la société n’a pas répondu aux exigences de la ville, elle a toutefois fourni l’ensemble des éléments demandés. La société a fait un copier-coller des items du document Excel type pour les intégrer dans un document Word, le mémoire technique, répond Me Malvina Mairesse, avocat au barreau de Paris et conseil de la société requérante. Certes le support n’était pas identique, mais toutes les informations se retrouvaient dans ce document Word, ce que n’a d’ailleurs pas contesté le pouvoir adjudicateur. Ce dernier pouvait alors, sans effort particulier, se reporter aux mémoires techniques pour analyser les informations des cadres-type. D’ailleurs, dans ses conclusions sous l’arrêt Scop Ecostudio de 2013, Bertrand Dacosta avait estimé que « lorsqu’un document requis par le règlement de la consultation ne figure pas formellement dans l’offre, on peut concevoir que celle-ci soit regardée comme régulière si, en réalité, le contenu de ce document figure ailleurs, mais à l’identique, dans le dossier remis par le candidat. Mais on ne saurait imposer au pouvoir adjudicateur de reconstituer un document manquant en allant piocher des informations éparses », cite l’avocat qui a aussi soutenu que le règlement de la consultation n’imposait pas à la ville de Meylan de rejeter les offres pour irrégularité en l’absence d’un des documents exigés. Dans son ordonnance, le magistrat considère que les mémoires techniques « contenant tous les renseignements techniques sur lesquels les cadres-type exigeaient un engagement contractuel des candidats, permettait au pouvoir adjudicateur, à sa seule lecture et sans aucune recherche ou recoupement, une exploitation des offres identique à ce qu’aurait permis ces cadres-type ». Il en conclut que les offres de la requérante ne pouvaient être regardées comme irrégulières et que le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations en les rejetant pour ce motif. Maître Cognat insiste sur le fait qu’il manquait clairement un document contractuel. « Je trouve que cette ordonnance s’inscrit dans la tendance actuelle des décision rendues sur l’analyse des offres. Finalement, on a l’impression que les entreprises peuvent remettre le document qu’elle souhaite sans tenir compte des exigences de la collectivité. On en arrive à une analyse des offres biaisées. Si on ne répond pas correctement, tant pis, la collectivité doit accepter l’offre. On oublie l’aspect contractuel. Je trouve la décision un peu sévère », observe Ségolène Cognat.
Une chance d’obtenir le contrat
S’agissant du pouvoir d’annulation du juge du référé contractuel (article L.551-18 du CJA), l’ordonnance apporte des précisions sur ce qu’il faut entendre par « le juge prononce la nullité du marché litigieux (…) si, en outre, (…) les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat ». Ainsi, « il revient au juge des référés de s’assurer que les offres n’auraient pas dû être éliminées comme irrégulières ou inacceptables pour d’autres motifs puis, si tel n’est pas le cas, d’apprécier sans se substituer à la commission d’appel d’offres, si une analyse comparative aurait objectivement pu conduire à attribuer les marchés - ou l’un d’eux - à la requérante ; que le référé contractuel ayant pour objet de replacer le candidat évincé privé de l’exercice du référé précontractuel dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait pu exercer cette voie de recours, l’objectivité de cette lésion doit ressortir, non de l’examen critique du détail des offres, lequel n’aurait pu être porté que par la commission, mais de l’absence de lacunes quantifiables ou manifestes qui auraient dû conduire cette instance à classer défavorablement lesdites offres ». La société requérante est fondée à soutenir que « l’élimination de ses offres prononcée en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence a affecté ses chances d’obtenir les marché ». « Pour la ville, il n’y avait pas d’intérêt lésé. Pour les deux lots, elle a demandé à l’assistant à maîtrise d’ouvrage, qui l’avait appuyée lors de la préparation du marché, d’analyser les offres de la société. L’objectif était de voir, si dans l’hypothèse où elles avaient été considérées comme régulières, l’entreprise avait une chance d’obtenir les marchés, précise maître Cognat. S’agissant du lot 1, l’offre aurait été considérée comme régulière, mais les notes obtenues ne lui auraient pas permis de remporter le marché. Sur le lot 2, l’offre aurait été irrégulière, au-delà de l’absence de cadre-technique », explique-t-elle. La démonstration n’a pas convaincu le juge . Selon Me Mairesse, « les irrégularités soulevées en cours d’instance pour le lot 2 ne pouvaient prospérer et quant à l’analyse produite pour le lot 1 dont a tenté de se prévaloir la ville en cours d’instance, elle a été faite pour les besoins de la cause. Le juge n’a pu s’appuyer sur cette analyse réalisée a postériori, dans la mesure où elle n’avait notamment pas été validée par la CAO ». Au terme d’une procédure mouvementée, les marchés ont donc été annulés. La ville a décidé de ne pas se pourvoi en cassation. Bonne joueuse, elle a accepté l’ordonnance et relancé une nouvelle procédure.