Pas de priorité au logiciel libre

Publié le Modifié le 26/03/2019 Vu 1 675 fois 0
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Peut-on imposer l’utilisation d’une solution technique particulière ? La question a refait surface à l’occasion du projet de loi sur la République numérique. Plusieurs amendements ont été déposés pour donner la priorité à l’achat de logiciels libres dans toutes les administrations. Certains parlementaires ont soutenu qu’une telle priorisation est juridiquement valide, d’autres ont au contraire mis en avant que la formule bafoue les grands principes de la commande publique. Mathieu Coulaud, de Syntec numérique, et Malvina Mairesse, avocat, spécialiste du droit des contrats publics appliqué aux nouvelles technologies, font le point sur le sujet.

Peut-on imposer l’utilisation d’une solution technique particulière ? La question a refait surface à lâ€

Pas de priorité au logiciel libre

Article publié le 28 janvier 2016 sur www.achatpublic.info

L’examen du projet de loi sur la République numérique a été le théâtre d’un vif débat entre les partisans du logiciel libre et les défenseurs d’une plus grande neutralité politique sur les choix technologiques des personnes publiques. Discuté dans l’hémicycle du Palais Bourbon du 19  au 26 janvier, le texte a fait l’objet de plusieurs amendements à l’article 9 ter proposant de « donner la priorité » au logiciel libre. Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres (groupe SRC), en particulier, avait déposé un amendement visant à « utiliser en priorité » les logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation d’un système informatique dans les services des administrations (État, établissements publics locaux et nationaux et entreprises du secteur public, collectivités territoriales). Les débats nourris sur cette position n’ont pas sauvé les amendements en question qui ont tous été rejetés à l’Assemblée nationale.

« Donner la priorité » : une formule risquée...

Mais au-delà des postures idéologiques, et en attendant que le projet de loi ne soit débattu au Sénat, la question se pose de savoir si un texte de loi peut donner la préférence à un choix technologique particulier. Pour Malvina Mairesse (photo ci-dessous), avocate chez Staub et associés, la formule «

donner la priorité » introduit un risque contentieux et piétine les principes d’égalité de traitement des candidats et de liberté d’accès à la commande publique : « la formule est peu claire et fait prévaloir le logiciel libre par rapport au logiciel propriétaire, ce qui signifie que, en cas de produits équivalents, le logiciel libre doit être choisi, analyse-t-elle. Une incitation aussi forte serait très délicate à mettre en œuvre sur le plan juridique, juge-t-elle. D’ailleurs, si l’on fait un parallèle avec  les PME, une formulation analogue, qui donnerait la priorité à ces dernières par rapport aux autres catégories d’entreprises, à offre équivalente, choquerait, explique l’avocate. Un autre amendement à l’article 9 ter, issu de la majorité en commission, proposait d’encourager l’utilisation de logiciels libres, ce qui est déjà plus conforme aux grands principes de la commande publique. »

Contraire au principe d’égalité

Luc Belot, rapporteur à la commission des lois sur le projet de loi, est allé dans le même sens pendant le débat parlementaire : « L’expression « utilisés en priorité » me pose problème. D’abord, elle s’accorde mal avec le droit de la commande publique – largement communautarisé – qui prévoit que les candidats sont placés dans une situation d’égalité et de libre accès, a-t-il déclaré. […] D’autre part, nous disposons d’un certain nombre d’éléments concernant la jurisprudence constitutionnelle, qui est particulièrement fournie, qui me font craindre qu’une telle mesure ne soit déclarée inconstitutionnelle. […] Il est ainsi arrivé qu’une disposition soit déclarée contraire au principe d’égalité, comme dans le cas de la décision 2001-452 relative à la loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.

Cette décision admet que la loi peut prévoir un accès préférentiel aux marchés publics en faveur de structures coopératives et associatives visant à promouvoir l’emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion, mais ajoute que cette dérogation doit en rester une ; il en résulte que la préférence instaurée par le législateur doit porter sur une « part réduite, pour des prestations définies et dans la mesure strictement nécessaire à la satisfaction des objectifs d’intérêt général ainsi poursuivis », ce que ne faisait pas la loi en cause […] »

Réfléchir en fonction de son besoin

« La question n’est pas de savoir si un acheteur doit privilégier une solution logicielle par rapport à une autre, estime Malvina Mairesse. La question centrale demeure de définir son besoin avec pertinence. Les acheteurs doivent étudier le marché, faire du sourcing, comparer les produits entre eux et rédiger ensuite leur cahier des charges en fonction des résultats obtenus. Les logiciels propriétaires et libres peuvent coexister. Tout dépend du besoin de la personne publique qui doit rester au centre de ses réflexions », développe-t-elle.

Les deux récentes décisions marquantes sur le sujet, qui ont été rendues par le Conseil d’Etat en 2011 et le TA de Paris en 2013, vont dans ce sens. Les juges ont analysé, dans les deux cas, la situation en trois temps : examiner d’abord si la spécification technique en cause a ou non pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ; dans l’hypothèse seulement d’une telle atteinte à la concurrence, regarder ensuite si cette spécification est justifiée par l’objet du marché ; enfin, si tel n’est pas le cas, vérifier que la description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle.

La neutralité technologique prônée

Syntec numérique, qui plaide pour la neutralité technologique, est pour sa part tout à fait satisfait que les amendements au projet de loi aient disparu et se dit un tantinet agacé par la position lobbyiste de certains défenseurs du logiciels libre. « Le logiciel fait partie de la transformation numérique de la société et inclut le logiciel libre et le logiciel propriétaire, confirme Mathieu Coulaud (photo ci-contre), le délégué aux affaires juridiques du syndicat, nous ne voulons pas de guerres de chapelle. Nous soutenons le logiciel quel qu’il soit. Business first.

Telle est la position qui a été votée au conseil d’administration de Syntec et qui a fait suite à la publication de la circulaire de Jean-marc Ayrault du 19 septembre 2012 dans laquelle l’utilisation du logiciel libre est encouragée. » Selon les organisations du numérique, 90% des éditeurs de logiciels français ont fait le choix du modèle propriétaire pour financer leur R&D. Elles souhaitent tous les modèles d’affaires du logiciel puissent exister et avoir accès à la commande publique

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