Vous est-il arrivé de défendre quelqu'un dont vous connaissez la culpabilité ?
Je ne me lasse pas de cette question.
Comprenez que, dans l'esprit de son (ses) auteur(s), le noble art de la défense pénale doit naturellement être réservé à l'innocent accusé à tort ou - mais de manière plus amorale - au coupable non confessé.
Cette question traduit à l'évidence une fausse représentation de la mission de l'avocat pénaliste. A n'en pas douter, la croyance populaire est déformée par la mise en scène de la profession dans les séries télévisées ou au cinéma. Ces fictions véhiculent une vision caricaturale de notre rôle. Tantôt, l'avocat parvient, à l'ultime minute du procès, par un coup de théâtre magistral, à prouver l'innocence de son client, victime malheureuse d'une machine judiciaire aveugle. Tantôt, il réussit à faire échapper son client, un salaud de la pire espèce, à la peine que son forfait mérité pourtant en dupant sans scrupule le juge.
La vérité du quotidien de l'avocat pénaliste est à rechercher ailleurs...
En premier lieu, la représentation populaire de l'avocat sans scrupule au service d'un coupable confessé est fausse dans l'immense majorité des dossiers.
A peine embrassé la profession, le jeune avocat prend conscience du jeu dangereux auquel beaucoup de ses clients vont s'essayer ... le mensonge. Dans leur esprit, il ne fait aucun doute que leur avocat les défendra mieux s'il est lui-même convaincu de leur innocence. C'est bien connu, on ne peut pas faire confiance à un avocat: il ne sait pas mentir...
Le premier entretien avec un client qui vous remet sa convocation devant le Tribunal correctionnel est souvent l'occasion d'un jeu de dupes. Comme un galop d'essai, l'intéressé sert son baratin à son avocat : si certains se contentent de quelques mensonges par omission, d'autres vous assènent sans désarmer des contre-vérités flagrantes. Ils ne doutent pas que s'ils parviennent à convaincre leur avocat de leur innocence, ils parviendront sans peine à duper le juge... pas forcément plus malin que le premier.
Ce jeu de dupes est extrêmement dangereux. Dans le meilleur des cas, fort de son expérience, l'avocat démêle le vrai du faux, décèle les invraisemblances et contradictions dans le discours de son client, aidé en cela par les éléments du dossier pénal dont il a pris connaissance. L'avocat s'emploiera alors à convaincre son client de l'impératif d'abandonner des dénégations vaines pour bâtir un système de défense efficace. Il est vrai que le juge se montre peu amène à supporter que l'on se paye ouvertement sa tête à l'audience. Dans le pire des cas, l'intéressé remporte brillamment la partie du jeu de dupes. Il s'expose alors à une cruelle déconvenue. Bâti sur les mensonges - apparemment crédibles mais extrêmement fragiles, un tel système de défense vole bien souvent en éclats le jour J du procès sous les coups de boutoir du juge bien décidé à ne pas s'en laisser compter. Nombreux sont les malheureux qui découvrent trop tard combien il est difficile d'être constant et crédible dans le mensonge face à la perspicacité et à la pugnacité du duo inquisitoire Procureur-Juge. Le château de cartes s'écoulant, il ne reste plus à l'avocat qu'à "sortir les rames" selon l'expression consacrée pour sauver la tête du menteur éhonté.
En second lieu, contrairement à une idée reçue, la culpabilité du prévenu fait rarement débat. Le quotidien de l'avocat pénaliste consiste bel et bien à assurer la défense de coupables qui reconnaissent les faits.
À quoi sert-on me direz-vous ?
Pour répondre à cette question, l'enjeu du procès pénal est double et ne se résume pas la déclaration de culpabilité ou d'innocence de l'intéressé. En cas de culpabilité avouée, le second temps du procès s'ouvre avec le prononcé de la peine. Aux réquisitions généralement sévères du Procureur de la République (garant des intérêts de la Société) répond la plaidoirie de la défense exhortant le juge à une application bienveillante de la loi pénale (Pour faire simple, une peine moins sévère que les réquisitions du Procureur).
Pour ma part, j'essaie dans la mesure du possible (mais l'inconsistance de certains dossiers ne laisse parfois guère le choix) d'exclure toute connotation morale de ma plaidoirie. Il est généralement vain d'essayer d'apitoyer le juge par le récit d'une enfance difficile ou d'une vie chaotique. A mon sens, là n'est pas l'essentiel de la défense pénale. L'office du juge est d'appliquer la loi pénale et ses seules références sont de droit et non morales.
Pour être efficace, la défense pénale doit me semble t-il s'articuler autour des éléments de personnalité (situation familiale, sociale, professionnelle...), de la capacité de réinsertion et de la volonté de réhabilitation. L'enjeu est de convaincre le juge que la société trouvera son compte dans la peine proposée (plutôt que celle du Procureur) et l'ordre social restauré. Après tout, est-il besoin de rappeler la dualité du sens de la peine dans l'héritage de la Révolution française : à la fois punir et réhabiliter. Et l'avocat de la défense d'insister sur la prévention de la réitération des faits (récidive) par la réhabilitation et l'adéquation de la peine proposée à la personnalité de l'intéressé (principe de personnalisation des peines).
Néanmoins il n'est pas interdit dans une moindre mesure de retracer l'histoire de l'intéressé et d'y voir parfois un certain déterminisme social ou familial.
Plus rarement, la défense pénale consiste à faire naître le doute dans l'esprit du juge sur la réunion des éléments constitutifs de l'infraction ou à soulever une nullité de procédure (principe de légalité des délits et des peines). Soit que le doute est permis sur la culpabilité (la preuve formelle de la culpabilité incombe au Procureur de la République), soit qu'une règle de procédure ait été violée, il n'est pas amoral ni abject de voir relaxer un coupable confessé ou non.