Afin d’assurer une protection effective des comptes du majeur sous curatelle ou tutelle, le droit civil français encadre l’action du tuteur ou curateur, qu’il soit familial ou professionnel (M.J.P.M.), par un corpus de règles relatives à l’établissement, la vérification et l’approbation des comptes du majeur protégé.
En application de l’article 510 du Code civil, le tuteur doit établir chaque année un compte de sa gestion, en y annexant les pièces justificatives utiles. Ce compte de gestion est confidentiel, le tuteur étant tenu de garantir cette confidentialité.
Il doit également remettre chaque année une copie de ce compte et des pièces justificatives annexées au majeur protégé, ainsi qu’au subrogé tuteur s’il a été nommé et aux autres personnes chargées de la protection de la personne sous tutelle.
Un cas particulier a par ailleurs été prévu au quatrième alinéa de l’article 510, le juge pouvant, après avoir entendu la personne protégée et recueilli son accord, autoriser son conjoint, son partenaire (PACS), un parent, un allié ou encore un proche, animé d’un intérêt légitime, à se faire communiquer par le tuteur une copie du compte et des pièces justificatives ou une partie de ces documents. Cette disposition se révèle particulièrement pertinente. Une illustration en est donnée par un arrêt du 29 mai 2012, aux termes duquel la Cour d’appel de Paris (Pôle 2 – Chambre 7), tout en confirmant la nomination d’un M.J.P.M. en raison de l’existence d’un conflit sérieux au sein de la famille, a décidé que le tuteur professionnel remettrait une copie de la gestion des comptes au fils de la personne protégée, qui sollicitait la gestion financière de la tutelle. Ainsi, la Cour, usant de la faculté prévue par l’article 510 du Code civil, a octroyé à l’enfant du majeur protégé un droit de contrôle sur la gestion financière, à défaut de la lui avoir confiée.
La démarche fondée sur l’article 510 du Code civil peut donc caractériser une demande subsidiaire précieuse que l’avocat veillera à élever.
Le droit français prévoit également un contrôle juridictionnel de la gestion des comptes d’un majeur protégé. Le tuteur doit en effet soumettre chaque année le compte de gestion et les pièces justificatives au greffier en chef du tribunal d’instance, qui dispose depuis la loi du 8 février 1995 d’une compétence exclusive en matière de vérification des comptes de tutelle. Le greffier en chef tire de l’article 511 du Code civil le droit de refuser d’approuver le compte, en dressant dans ce cas un rapport des difficultés rencontrées, rapport qui sera ensuite transmis au juge pour que celui-ci statue sur la conformité du compte.
Outre l’établissement annuel du compte de gestion, un contrôle est opéré à la fin de la mission du tuteur. Celui-ci doit alors établir un compte dit « récapitulatif ». Un contrôle « définitif » est également lieu à la fin de la mesure de protection.
Il est toutefois nécessaire de relativiser l’efficacité de ces différents contrôles. Tout d’abord, la fréquence, annuelle, de contrôle des comptes prévue par le Code civil semble dérisoire, et il serait préférable d’obtenir un contrôle et une transmission des comptes trimestriels dans le but de réduire l’opacité résultant de la réticence des M.J.P.M. à rentre compte de leur gestion auprès de ceux qui les rémunèrent.
Il faut également relever l’inefficacité du contrôle juridictionnel de la gestion des comptes du majeur protégé, les moyens du greffier en chef étant insuffisants, qu’il s’agisse d’un manque de temps, d’effectifs, ou d’expertise. En effet, le greffier n’étant généralement pas formé pour devenir un limier, le contrôle juridictionnel se limite trop souvent à un simple survol, à une vérification de l’apparence de sincérité comptable.
Il serait donc nécessaire d’octroyer systématiquement aux proches de la personne protégée un droit à se faire communiquer les comptes de gestion, a fortiori dans l’hypothèse où la personne protégée n’est pas en état d’en faire la demande. De lege feranda, on peut souhaiter dans un souci de transparence la création de contrôles inopinés de la gestion des M.J.P.M. à l’initiative des préfets (devant lesquels les M.J.P.M. ont prêté serment), ainsi que la mise en place d’un Ordre professionnel des M.J.P.M. et la création d’un Code de déontologie, aujourd’hui inexistants. De plus, il conviendrait de poser l’obligation pour le tuteur ou le curateur d’adresser copie des comptes annuels à l’avocat du majeur protégé. En effet, qui peut fournir un jeu de photocopies peut bien en faire un deuxième, ou transmettre les pièces et comptes par la voie électronique. De surcroit, la numérisation des comptes et justifications devrait être généralisée pour favoriser la transmission des comptes d’un tuteur ou d’un curateur à un autre, en cas de changement de tuteur ou de curateur.
La question du contrôle des comptes et son application effective sont donc au centre des préoccupations actuelles en matière de protection des majeurs. En dernier lieu, cette question a été reprise dans le Livre blanc du 1er juin 2012 sur la protection juridique des majeurs, cosigné par la Convention nationale des associations de protection de l’enfance (CNAPE), la Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT), l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). En effet, la dixième proposition (sur 25) de ce Livre blanc vise à « garantir le rôle de l'État en matière de contrôle des comptes de gestion, mission qui doit rester une prérogative régalienne, notamment en généralisant l'expérimentation du contrôle des comptes par le Trésor public ».
Dans l’attente d’un contrôle régalien, la transmission trimestrielle des comptes tant au majeur protégé qu’à son avocat permettrait de détecter certains dysfonctionnements et d’en tirer toutes conséquences judiciaires.
Valéry MONTOURCY
Avocat au Barreau de Paris
Droit des majeurs vulnérables (sauvegardes, curatelles, tutelles)
Article co-écrit avec Alice BARBE, juriste
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