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Une agence immobilière engage sa responsabilité si elle ne fournit pas aux acquéreurs les caractéristiques exactes et complètes du bien qu’elle met en vente.
Un récent arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rappelle qu’une agence immobilière, en sa qualité de mandataire professionnel, doit répondre de ses fautes de gestion. En particulier, elle est tenue à une obligation d’information et de conseil à l’égard des propriétaires qui lui confient la vente de leur bien.
I) Les faits de l’espèce
Un bien situé à St-Raphaël (Var) est mis en vente par une agence immobilière ; l’annonce précise que le bien comprend un jardin d’environ 100 m².
Une promesse de vente est signée en agence pour ce bien.
L’acte stipule le versement d’un dépôt de garantie d’un montant de 10 000 €.
Apprenant ensuite, grâce au notaire, que le jardin désigné à l’acte de vente n’était qu’une partie commune à usage privatif, les acquéreurs refusent la vente et sollicitent le remboursement du dépôt de garantie. L’agence immobilière refuse et considère que le refus d’acquérir le bien pour ce motif est illégal.
En première instance, le TGI de Draguignan condamne les vendeurs pour dol. Ces derniers sont tenus de leur verser 4000 € de dommages et intérêts aux acheteurs ainsi que 4000 € d’article 700 CPC (frais d'avocat). Ils sont également condamnés à verser à l’agence immobilière 2000 € de l’article 700 CPC. La vente est annulée et l'agence est condamnée à rembourser l’acompte de 10.000 €.
Les vendeurs contestent le jugement et se retournent contre l’agence. Cette dernière est condamnée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
II) La responsabilité d’une agence immobilière, en qualité de mandataire professionnel
La cour d’appel juge qu’une agence immobilière engage sa responsabilité si elle ne fournit pas des informations précises et complètes à l’acquéreur, surtout lorsqu’elle rédige elle-même le compromis de vente, au lieu de confier cette rédaction au notaire.
Il est rappelé que :
- tout mandataire répond des fautes qu’il commet dans sa gestion (article 1992 du code civil) ;
- une faute simple suffit pour engager la responsabilité d’un mandataire rémunéré (tel qu’une agence immobilière) tandis qu’une faute lourde est exigée pour un mandataire bénévole (tel qu’un conseiller syndical).
En l’espèce, un agent immobilier, professionnel rémunéré, engage sa responsabilité pour faute simple s’il manque à son devoir d’information et de conseil. À ce titre, la cour d'appel considère qu’il lui appartient « d’éclairer son client sur les particularités de l’affaire en lui fournissant des éléments légaux, exacts, complets, efficients et compréhensibles ».
III) La faute de l’agence : avoir confondu jardin privatif et jardin à jouissance privative
Quelle est la faute commise par l’agence en l’espèce ?
La justice reproche à l’agence immobilière de n’avoir informé ni les vendeurs ni les acheteurs de la situation juridique exacte du jardin. Les juges retiennent que l’agence a commis une faute en laissant penser, à tort, que le jardin était un jardin en pleine propriété, alors qu’il s’agissait en réalité d’une partie commune à jouissance privative (PCJP), moins attractive.
Pour comprendre le raisonnement des juges, il est nécessaire de retracer les contours des PCJP (Cf notre étude sur cette notion hybride souvent mal comprise).
Si ces espaces sont protégés par le droit au respect de la vie privée, au même titre qu’une partie privative « classique », ils demeurent des parties communes appartenant indivisément à tous les copropriétaires ; ils sont donc régis par la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété, laquelle soumet à l’autorisation de l’assemblée générale « tous les travaux affectant les parties communes » (article 25 de la loi). Si des travaux légers sont possibles sans autorisation (installation d’une palissade par exemple), tel n’est pas le cas pour des travaux plus conséquents, tels que la construction d'une véranda ou une piscine.
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Jardin en simple jouissance |
Jardin privatif en pleine |
Droit à la vie privée |
Droit garanti |
Droit garanti |
Droit à réaliser |
Droit garanti |
Droit garanti |
Droit à réaliser des travaux |
Droit soumis à des formalités |
Droit soumis uniquement à |
Il en résulte qu’une PCJP est moins attractive qu’une partie privative classique, surtout quand on sait que les titulaires de droits privatifs font malheureusement parfois l’objet, au sein de la copropriété, d’actes de malveillance, voire de jalousie (cf notre commentaire du jugement de Nanterre du 1er février 2021).
Dans ces conditions, la justice admet, dans l’affaire qui lui est soumise, que la découverte de la situation juridique du jardin ait pu faire « fuir » les acquéreurs… Les juges prononcent ainsi la nullité du compromis de vente.
IV) La valeur vénale d’un jardin en simple jouissance privative
Compte tenu de ce qui précède, on peut supposer que la valeur financière d’un bien avec un jardin en jouissance privative est inférieure à celle d’un jardin en pleine propriété.
Les faits relatés dans l’arrêt de la cour d’appel confirment cette hypothèse. Ainsi, lorsque les propriétaires ont remis en vente leur bien en précisant cette fois la situation juridique exacte de leur jardin, le prix a baissé de 10 %, passant de 180.000 € à 162.000 €.
Les vendeurs ont tenté d’établir un lien de causalité entre cette perte de 18.000 € et la faute de l'agence. Toutefois, les juges estiment que cette perte financière ne fait que traduire la réalité du bien vendu, dépourvu d’un jardin en pleine propriété. La cour d’appel indique ainsi que les vendeurs « ne plaident pas utilement qu’ils ont également dû vendre leur bien à un prix nettement inférieur à celui auquel ils auraient pu prétendre et qu’ils ont vendu le 22 octobre 2018 à la somme de 162 000 €, au lieu des 180 000 € attendus si la vente aux consorts Y s’était réalisée, soit une perte de 18 000 € ; qu’en effet le prix accepté par les époux Y correspondait à un bien comprenant un jardin et qu’il n’est pas démontré que le moindre prix obtenu par la suite ne correspondrait pas à la valeur vénale réelle du bien qui en est dépourvu; que cette demande, insuffisamment établie, entrera en voie de rejet ».
Une erreur n’étant jamais créatrice de droit, les vendeurs ne peuvent se prévaloir de la faute de l’agence pour réclamer une indemnisation correspondant à la prétendue « dépréciation » du bien vendu, qui était dès l’origine surestimé. Les vendeurs pourront en revanche solliciter une indemnisation de toutes les conséquences négatives ayant résulté de l’erreur de l’agence (immobilisation du bien, préjudice moral et frais de procédure notamment).
C’est ce même raisonnement qui s’applique en cas d’erreur sur le métrage Carrez. En cas d’erreur du diagnostiqueur supérieure à 5%, celui-ci ne sera pas rendu responsable de la dépréciation du bien. Le vendeur devra donc verser à l’acquéreur le prix correspondant aux m² « oubliés » dans le diagnostic...
Conclusion
Cet arrêt sonne donc comme un rappel à l’ordre pour les agences immobilières qui doivent veiller à fournir aux acquéreurs potentiels les caractéristiques précises et complètes du bien vendu en procédant, le cas échéant, à toutes les vérifications utiles.
En l’espèce l’imprécision sémantique aura coûté à l’agence entre 15.000 et 20.000 € au total (dommages-intérêts + tous les frais de procédure, y compris les siens).
On pourrait certes estimer que les juges font preuve d’une certaine sévérité à l’égard de l’agence car un acheteur immobilier normalement informé devrait savoir qu’un authentique jardin privatif est rare en copropriété…
Cela dit, l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que les jardins sont réputés parties communes « dans le silence ou la contradiction des titres ». Autrement dit, un jardin en copropriété est simplement présumé être une partie commune mais cette présomption peut être contredite par une disposition explicite du règlement de copropriété.
Un récent arrêt de la Cour de cassation a rappelé le caractère supplétif des règles de l’article 3 de la loi de 1965 (Cass. 3e civ., 7 janv. 2021, n° 19-19.459). Dans cet affaire, la justice a estimé à la lecture du Règlement de copropriété que les balcons étaient des parties privatives et non des parties communes à usage privatif, contrairement à la situation très majoritaire en copropriété. En l’espèce, contrairement à l’affaire soumise à la Cour d’appel d’Aix, les demandeurs espéraient une qualification en « parties communes à jouissance privative » afin que tous les copropriétaires participent au financement de leur restauration. Comme quoi, cette qualification de partie commune peut aussi présenter des avantages…