1. Qu’est-ce qu’une partie commune à jouissance privative (ou exclusive)
Les « parties communes à jouissance privative » (PCJP) est une notion jurisprudentielle consacrée par la loi ELAN de 2019 avec la création d’un article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965.
Le législateur a défini ces espaces de copropriété comme des « parties communes affectées à l'usage et à l'utilité exclusifs d'un lot » ; présentes dans de nombreuses résidences (jardins, cours, balcons, toit-terrasses…), elles contiennent le plus souvent des effets et aménagements personnels. Certaines PCJP sont accessibles par des parties privatives (appartements), d'autres par des parties communes (escalier, palier…). Dans ce dernier cas, ces espaces sont généralement fermés à clés (cas des toit-terrasses).
2. Des espaces pleinement protégés par le droit à la vie privée
Les parties communes à jouissance exclusive sont-elles protégées par le droit à la vie privée au même titre qu’une partie privative ? Quel est le degré de protection dont bénéficient ces espaces mixtes, à cheval entre le privé et le collectif ?
2.1 les jugements rendus sur cette question
Si la loi est muette sur ce sujet et si ce dernier ne semble jamais avoir été tranché par la Cour de Cassation, plusieurs jugements et une récente réponse ministérielle apportent des réponses précises et concordantes : les PCJP sont protégées par le droit à la vie privée et familiale ainsi que par le principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile, exactement comme une partie privative « classique ». Le fait que la jouissance privative s’exerce sur une partie commune de la copropriété est sans incidence sur l’application de ces principes de protection. Mutadis mutandis, le titulaire du droit de jouissance privative est placé vis-à-vis du syndicat dans la même situation qu’un locataire vis-à-vis de son propriétaire bailleur.
L’analyse de la jurisprudence ne laisse aucun doute sur l’application du droit à la vie privée à ces espaces de copropriété.
Ainsi, le TGI de Paris, après avoir constaté qu'un constat d'huissier avait été réalisé sans autorisation sur une terrasse à jouissance exclusive, a interdit au syndicat, sous astreinte, de produire ce constat et considéré qu'il ouvrait droit, à lui seul, au versement de 2.000 € de dommages et intérêts à la copropriétaire, au titre de la violation de la vie privée : « Attendu (...) qu’il appartenait au syndicat des copropriétaires d’obtenir sur requête auprès du président du Tribunal de céans la possibilité de pénétrer sur la terrasse de Mme X pour y prendre des photos, il apparaît que cet acte constitue une atteinte à la vie privée de Mme X » (TGI Paris 8e ch 3e sect 25 nov 2009 n°08/03307).
Quelques années plus tard, le TGI de Nanterre a précisé que « les modalités d’exercice d’un droit de jouissance exclusive doivent être assimilées aux modalités de jouissance des parties privatives. » (TGI Nanterre, 8e ch., 28 juin 2012, n° 11/09905).
Plus récemment, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé qu’ « un particulier et par lui l'huissier de justice mandaté, ne peut s'affranchir des lois et règlements qui protègent la propriété privée, la correspondance, ou encore la vie privée et dès lors que des constatations sont à opérer chez un tiers, et sauf accord exprès du tiers, il est nécessaire d'obtenir préalablement une autorisation judiciaire. » (CA Aix-en-Provence, ch. 1-5, 13 juin 2019, n° 17/19455 et CA Aix-en-Provence, ch. 1-5, 3 oct. 2019, n° 17/22124).
2.2 la position du ministère de la Justice
Le ministère de la Justice a récemment confirmé que les PCJP sont protégées par le droit à la vie privée et par le principe d’inviolabilité du domicile. En conséquence, même le syndic, pourtant chargé de contrôler les parties communes, ne peut s’introduire dans une PCJP sans autorisation judiciaire :
« Le syndic peut être autorisé par le juge, le cas échéant en référé, à pénétrer dans une partie commune dont un copropriétaire a la jouissance privative, dans le respect du droit au respect de la vie privée du copropriétaire concerné, garanti notamment par l'article 9 du code civil, et du principe à valeur constitutionnelle d'inviolabilité du domicile » (Réponse du Ministère de la Justice à la question du Sénateur Yves Détraigne - publiée dans le JO Sénat du 27/08/2020 - page 3802).
S’introduire sans autorisation sur une PCJP revient donc, au plan juridique, à s’introduire sans autorisation dans un appartement privé.
3. Une dénomination à clarifier ?
La nature ambivalente des parties communes à jouissance privative est naturellement source de conflits : en effet, le syndic a "fonctionnellement" tendance à occulter la dimension « jouissance privative » et le copropriétaire celle de « partie commune »…
Si, selon Albert Camus, « mal nommer les choses ajoute au malheur du monde », il n’en demeure pas moins que la notion de « parties communes à jouissance privative » pourrait difficilement être simplifiée sans dénaturation. En effet, la nature de « parties communes » implique l’application des règles de l’article 25 b) de la loi de 1965 pour la réalisation des travaux, tandis que la caractéristique « jouissance privative » entraine l’application des règles protectrices de l’article 9 du Code civil.
La formulation hybride « parties communes à jouissance privative » a donc de beaux jours devant elle..