Rappel de la procédure applicable :
En matière de poursuites pénales pour fraude fiscale, le Ministère public ne peut mettre en mouvement l'action publique que sur plainte préalable de l'administration (c’est ce que l’on appelle le verrou de Bercy), déposée sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF).
L’administration fiscale adresse donc chaque année à la CIF, pour avis, environ 1 000 dossiers qu’elle a préalablement choisis. En cas d’avis défavorable, les poursuites pénales n’auront pas lieu.
Ces dossiers concernent des personnes physiques ou morales susceptibles d'avoir commis des infractions relevant du délit de fraude fiscale défini à l'article 1741 du Code général des impôts, à savoir, la soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés à ce code.
Ces infractions peuvent notamment consister :
-en l'omission volontaire de déclaration dans les délais prescrits,
-en la dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt (*),
-en l'organisation d'insolvabilité,
-en la mise en place de manœuvres mettant obstacle au recouvrement de l'impôt ou toute autre manœuvre frauduleuse.
(*) Dispositions applicables si la dissimulation excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 €.
Lorsque la commission est saisie, sauf procédure judiciaire d’enquête fiscale, elle en informe le contribuable par lettre recommandée en lui indiquant les principaux griefs formulés à son encontre. Elle l'invite à fournir, par écrit, dans un délai de trente jours, les informations qu'il estime nécessaires, informations qu’elle examinera en séance.
Les chiffres 2015 :
- Sur 1086 dossiers examinés, la CIF s’est prononcée en faveur de poursuites pénales pour 1027 d’entres eux (soit environ 95 %).
Pour rappel, le contrôle fiscal en France représente environ 50 000 vérifications sur place par an et plus d’un million de contrôles dits sur pièces (réalisés du bureau par un agent de l’administration à partir du dossier d’un contribuable, personne physique ou morale). Hors avec une définition aussi extensive que celle prévue par l’article 1741 du CGI cité supra, on peut, sans trop s’avancer, prétendre que les dossiers potentiellement pénalisables dépassent largement le quota des 1000 dossiers transmis annuellement à la CIF.
Les dossiers qui sont adressés à la CIF par l’administration sont donc « triés sur le volet ». L’élément intentionnel doit ressortir le plus clairement possible du dossier. La procédure doit avoir été respectée à la lettre par l’agent du fisc, la motivation doit être complète. Enfin, même en la présence de tous ces critères, l’administration peut décider de ne pas poursuivre (verrou de Bercy).
En conséquence, certains dossiers qui matérialisent une fraude évidente ne seront pas adressés à la CIF si les critères ci-dessus énumérés ne sont pas remplis. C’est également ce qui explique le faible taux (5 %) d’avis défavorables émis par la CIF puisque les dossiers qui lui sont transmis sont censés être « carrés ».
- Les droits visés (montant des impôts et taxes rappelés) pénalement représentent un total de 320 millions d’euros, soit 338 000 € en moyenne par dossier, hors dossiers relevant de la procédure d’enquête fiscale.
Concernant les droits, le quantum (montant des impôts et taxe fraudés) présent dans le dossier doit être supérieur à un certain montant pour qu’une direction réfléchisse à le proposer à la CIF (60 000 € dans une pratique que j’ai bien connue). Bien évidemment, plus le montant est élevé (et dépasse ce quantum), plus la probabilité de poursuites pénales augmente. La moyenne de 338 000 € donnée ci-dessus n’est pas représentative d’un seuil de pénalisation car les dossiers à enjeux élevés ont un effet mécanique à la hausse.
- La TVA est en cause dans 80 % des dossiers, 38 % pour l’impôt sur les sociétés et 26 % pour l’impôt sur le revenu. Bien entendu, un dossier peut porter sur plusieurs impôts et taxes.
Le fait que 80 % des dossiers concernent la TVA représente la traduction chiffré des « dossiers types » que l’administration transmet prioritairement à la CIF, comprenez ceux qui matérialisent le plus simplement du monde la fraude au regard de l’article 1741 du CGI.
Répondent à merveille à ce critère pour l’administration, les cas de rétention de TVA (fait de ne pas reverser la TVA au trésor en toute connaissance de cause). Cette fraude part souvent d’une situation délicate : entreprise en difficultés financières passagères ou durables, besoin de liquidités, banquier frileux … le seul levier devient donc la TVA… hors, si le montant est important, tous les éléments sont réunis pour finaliser ce que l’administration appelle un dossier « pénal ». Sachez que le rappel de TVA constitue le rudiment du métier de vérificateur, la procédure n’en étant, par suite, que plus facile à diligenter.
- Les catégories socio professionnelles les plus représentées concernent le BTP (291 dossiers), l’automobile (101 dossiers), les professions libérales (54 dossiers) puis le secteur immobilier (53 dossiers). Les plaintes concernent également les dirigeants de sociétés à hauteur de 106 dossiers (dissimulation de revenus résultant de l’appréhension directe de recettes sociales ou prise en charge par l’entreprise de dépenses à caractère personnel).
Les schémas de fraude mis en avant :
Concernant le secteur du BTP, l’un des processus de fraude les plus couramment rencontrés part de la création d’une entreprise à caractère éphémère dans le seul but de réaliser, sur une courte période, un important volume d’affaires en franchise totale d’impôt. La comptabilisation de fausses factures de sous-traitance lui permet de récupérer de la TVA indûment facturée avec pour finalité le financement du recours à une main d’œuvre clandestine.
La représentativité du secteur automobile demeure liée à un processus frauduleux visant la TVA. Celui-ci consiste, lors de la revente en France de véhicules haut de gamme, acquis auprès d'assujettis revendeurs ou utilisateurs (sociétés de location) établis principalement en Allemagne, dans la facturation de la taxe sur la base de la seule marge réalisée au lieu du prix de vente total. Le procédé est mis en œuvre de manière de plus en plus sophistiquée par l’interposition artificielle de sociétés écrans (notamment espagnoles, roumaines et slovènes). Ces sociétés établissent des factures faisant indûment référence au régime de taxation sur la marge afin de masquer le régime d'imposition effectivement applicable, les véhicules étant en réalité livrés directement d’Allemagne en France.
Sur ces deux points, il y a une corrélation évidente avec les orientations données par l’administration à ses agents. Ces schémas de fraude ayant un impact budgétaire important, il n’était pas étonnant que l’administration emploie les moyens pour y mettre un terme. Cela s’est traduit par des efforts de détection et la mise en place de contrôles ciblés.