Dans un arrêt rendu le 12 avril 2023 (n° 22-83.581), inédit, la chambre criminelle de la Cour de cassation a tranché la question de la caractérisation du délit d’atteinte à la vie privée en cas d’enregistrement de l’employeur à son insu par le salarié.
Le directeur général d’une société a porté plainte et s’est constitué partie civile contre un délégué syndical qui, à l’occasion de l’assistance d’un salarié lors d’un entretien préalable de licenciement, a enregistré sa conversation à son insu.
Le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu, qui a fait l’objet d’un appel devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel.
La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de non-lieu entreprise du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée aux motifs que l'information n'a nullement fait ressortir que lors de l’entretien préalable, le directeur général aurait fait part à ses interlocuteurs de sa situation personnelle, financière ou familiale ou de ses convictions morales, religieuses ou politiques.
L’employeur a formé un pourvoi en cassation en soutenant que la caractérisation du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui prévu par l'article 226-1, 1°, du code pénal suppose la captation, l'enregistrement ou la transmission de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de la personne qui les prononce et que le délit est constitué sans qu'il soit nécessaire que les paroles captées, enregistrées ou transmises soient de nature intime.
Le directeur général invoque également que les paroles enregistrées ont été prononcées dans son bureau dans le cadre d'un entretien préalable au licenciement, de sorte que le délégué syndical mis en examen a enregistré des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de la partie civile.
La Cour de cassation devait ainsi trancher la question de la caractérisation du délit d’atteinte à la vie privée lorsqu’un salarié a enregistré son employeur à son insu lors d’un entretien préalable de licenciement, et plus généralement au cours d’un entretien professionnel.
La chambre criminelle soulève que l’entretien entre dans le cadre de la seule activité professionnelle du plaignant et en conclut que l’enregistrement n'est, dès lors, pas de nature à porter atteinte à l'intimité de sa vie privée, quand bien même les propos enregistrés qu'il incrimine auraient été tenus dans un lieu privé.
Bien qu’il ne soit pas publié au bulletin, cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation s’avère très important, comme en témoigne sa diffusion sur le site service-public.fr par la Direction de l’information légale et administrative (DILA), sous la rubrique « Peut-on enregistrer l'employeur lors d'un entretien préalable au licenciement ? ».
Il doit être pris au sérieux tant par la clarté de sa solution qui ne laisse place à aucune incertitude – dès lors que l’entretien revêt un caractère professionnel, le salarié peut enregistrer son employeur, même à son insu – que par les applications concrètes offertes par cette décision – le salarié ne risque pas d’être inquiété pénalement en usant de ce procédé.
De son côté, sur le registre strictement probatoire, le juge civil dit par principe que ce type de procédé est déloyal et rend la preuve irrecevable.
Par exemple, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, à l’inverse des messages téléphoniques vocaux dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur (Cass. Soc., 6 février 2013, n° 11-23.738).
Pour conclure, si le salarié peut éviter le risque pénal en enregistrant l’employeur à son insu au cours d’un entretien professionnel, il n’est pas certain qu’il puisse, en utilisant ce procédé, soutenir une demande dans le cadre d’une action civile devant le conseil de prud’hommes.
Selon la dernière tendance de la chambre sociale, le juge du travail devra vérifier si la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle est indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. Soc., 8 mars 2023, n° 21-20.798, 21-17.802 et 20-21.848).
Reste que, sur le plan pénal, les enregistrements effectués à l’insu de la personne sont par principe jugés recevables en justice en tant que preuves s’ils permettent de caractériser la commission d’une infraction pénale (Cass. Crim., 31 janvier 2012, n° 11-85.464).
Jérémy DUCLOS
Avocat au barreau de Versailles
Spécialiste en droit du travail
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