Dans un arrêt du 08 décembre 2021 (n° 20-11.738), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’application de la loi française relative à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en cas de conflit avec une loi étrangère.
Un salarié a été engagé par une banque marocaine en qualité d’attaché commercial. La relation de travail s’est d’abord exécutée au Maroc. Elle s’est ensuite réalisée en France pendant de nombreuses années. Par la suite, l’employeur a informé le salarié que, dans le cadre d’un plan de mobilité et pour des raisons de service, il était affecté au siège social situé à Casablanca, au Maroc.
Le salarié a refusé cette affectation en soutenant qu’elle était constitutive d’une modification de son contrat de travail et, partant, d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail. Quant à lui, l’employeur a adressé au salarié une lettre par laquelle il constatait la rupture du contrat de travail pour abandon de poste.
Cette affaire va mettre en lumière un conflit de lois entre, d’une part, la loi marocaine invoquée par l’employeur, en tant que loi choisie par les parties au contrat de travail, d’autre part, la loi française, en tant que loi d’exécution habituelle du travail, en vertu de laquelle un salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail en cas de manquement grave de son employeur, produisant ainsi les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si les dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, particulièrement en ce qui concerne la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, peuvent faire échec à l’application de la loi étrangère choisie par les parties au contrat, en ce qu’elles seraient plus favorables.
La Cour commence par rappeler les dispositions de l’article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles : le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Celles-ci peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.
Selon l’article 6 de la Convention de Rome, le choix de la loi applicable par les parties à un contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du même texte.
Autrement dit, la loi choisie par les parties, en l’occurrence la loi marocaine, peut être écartée au profit de la loi applicable à défaut de choix, c’est-à-dire la loi du lieu d’exécution habituelle du travail, en l’occurrence la loi française, si l’application de la loi choisie par les parties est moins favorable que la loi normalement applicable à défaut de choix.
La Cour de cassation se prononce en faveur de l’application de la loi française en ce que ses dispositions relatives à la rupture du contrat de travail sont plus favorables que la loi marocaine choisie par les parties. Ceci ne veut pas dire, comme l’a soutenu inexactement l’employeur dans son pourvoi, que le contrat de travail était régi, dans son ensemble, par le droit français.
La Cour de cassation rappelle que la détermination du caractère plus favorable d’une loi doit résulter d’une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause. Il ne s’agit donc pas d’opérer une comparaison bloc par bloc entre le droit choisi et le droit applicable au titre de loi d’exécution du contrat, comme le souhaitait le demandeur au pourvoi.
En outre, la Cour vise les dispositions de l’article 3-3 de la Convention de Rome suivant lesquelles le choix par les parties d’une loi étrangère ne peut, lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés au moment de ce choix dans un seul pays, porter atteinte aux dispositions auxquelles la loi de ce pays ne permet pas de déroger par contrat.
Ici sont visées les dispositions de la Convention de Rome, s’agissant d’un contrat de travail conclu avant le 17 décembre 2009. Pour les contrats conclus après cette date, la solution retenue par la Cour de cassation demeure identique puisque le règlement européen du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (dit Rome I), qui reprend la même règle de conflit de lois, a vocation à s’appliquer.
L’article 3-4 du règlement Rome I prévoit que lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un ou plusieurs États membres, le choix par les parties d'une autre loi applicable que celle d'un État membre ne porte pas atteinte, le cas échéant, à l'application des dispositions du droit communautaire auxquelles il n'est pas permis de déroger par accord, et telles que mises en œuvre par l'État membre du for.
En effet, les dispositions sont considérées comme impératives lorsque, dans le système juridique dont elles font partie, il n’est pas possible d’y déroger par contrat. Il en va ainsi, en droit interne français, de l’exigence d’un entretien préalable de licenciement (Cass. Soc., 12 novembre 2002, n° 99-45.821) ou encore des dispositions relatives à la rupture des CDD (Cass. Soc., 12 mars 2008, n° 01-44.654).
La solution retenue par la Cour est claire : il ne peut être dérogé par contrat aux dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, et ce compris les dispositions prétoriennes relatives à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en cas de manquement grave de l’employeur.
La cour d’appel a retenu que, concernant la rupture du contrat de travail, le code du travail marocain ne prévoit pour le salarié, en son article 34, que l’hypothèse de la démission et qu’il énumère limitativement, en son article 40, les cas de fautes graves commises par l’employeur de nature à dire le licenciement abusif, si le salarié quitte son travail en raison de l’une de ces fautes si elle est établie (insulte grave, pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié, harcèlement sexuel, incitation à la débauche).
De sorte que les dispositions impératives de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, telles qu’interprétées de manière constante par la Cour de cassation, selon lesquelles la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié qui démontre l’existence d’un manquement suffisamment grave de son employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à son profit au paiement des indemnités afférentes, sont plus favorables.
La loi étrangère choisie par les parties au contrat de travail peut donc être écartée au profit des dispositions impératives de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, comme celles relatives à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Jérémy DUCLOS
Avocat à la Cour
Spécialiste en droit du travail