Dans un arrêt du 7 juillet 2021 (n° 20-16.206), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’articulation entre le serment juratoire et les convictions religieuses du salarié.
Une salariée stagiaire de la RATP devait être affectée dans un service d’agents de contrôle après avoir prêté le serment des agents en application de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer, qui débute par les termes « je le jure ».
A l’audience de prestation de serment, le président du tribunal de grande instance de Paris a fait acter au procès-verbal que la salariée refusait de prêter le serment prévu par la loi au motif que sa religion chrétienne lui interdisait de jurer.
La salariée a été licenciée pour faute grave compte tenu de ce qu'elle avait refusé de prêter le serment prévu par la loi. En conséquence, elle ne pouvait obtenir son assermentation et ces faits fautifs ne permettaient pas son admission définitive dans le cadre permanent de la RATP.
Soutenant qu'elle avait refusé de prononcer la formule du serment en raison de ses convictions religieuses et qu'elle avait proposé une autre formule, conforme à sa religion chrétienne, ce que le président du tribunal de grande instance avait refusé, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, de demandes en paiement de sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour préjudice moral.
La salariée a vu sa demande rejetée par la cour d’appel de Paris qui a jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse en raison de la faute de la salariée ayant refusé de se soumettre à la procédure d’assermentation.
Le 1er février 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation, saisie par la salariée, a cassé cet arrêt pour deux motifs : d’une part, il résulte de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion, d’autre part, la salariée, n’ayant pas commis de faute, le licenciement avait été prononcé en raison de ses convictions religieuses et était donc nul.
En 2019, la cour d’appel a rejeté la demande de nullité du licenciement en indiquant que la formule juratoire est dénuée de connotation religieuse et qu’ainsi, l’employeur avait seulement respecté la loi qui exige l’assermentation pour exercer des fonctions d’agent de contrôle. La salariée a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
La Cour de cassation s’est donc interrogée sur la question de savoir si le salarié commet une faute lorsqu’il refuse de prêter serment en utilisant les termes « je le jure », au motif que sa religion chrétienne lui interdisait de jurer, tout en proposant, lors de l’audience de prestation de serment, de substituer à la formule « je le jure » celle d’un engagement solennel.
La solution rendue antérieurement est confirmée : il est possible pour le salarié qui prête serment de substituer à la formule « je le jure » une formule équivalente d’engagement solennel, en vertu de la liberté de conscience et de religion, énoncée à l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, visé dans l’arrêt.
La Cour de cassation invoque également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme suivant laquelle le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de sa part quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci (GC, 1er juillet 2014, SAS c. France, n° 43835/11, § 127).
Dans le même esprit, la CEDH a précisé que la liberté de manifester ses convictions religieuses comporte aussi un aspect négatif, à savoir le droit pour l’individu de ne pas être obligé de faire état de sa confession ou de ses convictions religieuses et de ne pas être contraint d’adopter un comportement duquel on pourrait déduire qu’il a - ou n’a pas - de telles convictions.
Il n’est pas loisible aux autorités étatiques de s’immiscer dans la liberté de conscience d’une personne en s’enquérant de ses convictions religieuses ou en l’obligeant à les manifester, et spécialement à le faire, notamment à l’occasion d’une prestation de serment, pour pouvoir exercer certaines fonctions (Alexandridis c. Grèce, n° 19516/06, 21 février 2008, § 38 ; Dimitras et autres c. Grèce, n° 42837/06 et a., 3 juin 2010, § 78).
Le salarié ne commet donc pas de faute en refusant, à l’occasion de sa prestation de serment, de dire « je le jure » et en proposant une formule de substitution. La Cour de cassation apporte une nouveauté importante dans cet arrêt sur le terrain des conséquences de la décision patronale venant en réaction au refus du salarié d’utiliser la formule juratoire.
En effet, le licenciement intervenu dans ces conditions n’est pas affecté de nullité, en ce sens qu’il n’a pas été prononcé en raison des croyances religieuses du salarié. Il n’y a donc pas eu de discrimination, l’employeur se contentant de sanctionner le salarié pour le refus de prêter serment, empêchant ainsi sa prise de fonction, nonobstant ses convictions religieuses.
Le licenciement prononcé à ce titre est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et non nul, ce qui entraîne des conséquences sur le régime de l’indemnisation. L’affaire est renvoyée devant une autre cour d’appel mais uniquement pour que l’indemnisation à laquelle la salariée peut prétendre soit fixée.
Jérémy DUCLOS
Avocat à la Cour
Spécialiste en droit du travail