Internet est un formidable outil favorisant la liberté d’expression et la communication. Dès l’année 2000, l’Union européenne a compris l’importance d’encadrer les usages qui peuvent en être fait et a adopté la directive « Commerce Electronique ». Toute la difficulté pour les juridictions nationales dans ce type d’affaires est d’opérer un juste équilibre entre la protection de la liberté d’expression et la sanction relative au contenu litigieux.
L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales encadre la liberté d’expression. Alors que le 1er paragraphe énonce les principes généraux, le second prévoit certaines restrictions.
Dans un arrêt du 2 février 2016, les magistrats européens, à l’appui de l’article 10 CEDH, sont venus préciser leur jurisprudence concernant le régime de responsabilité suite à la mise en ligne de commentaires injurieux.
I – L’analyse des faits principaux
L’affaire soumise à la CEDH concerne les responsabilités du MTE (l’organe d’autorégulation des fournisseurs hongrois) et de la société Index, propriétaire de l’un des principaux portails d’information de Hongrie à la suite des commentaires grossiers et choquants postés sur leurs sites web.
En 2010, MTE avait publié sur son site internet un avis dénonçant la pratique commerciale de deux sites web immobiliers. Elle faisait part des pratiques trompeuses exercées par les deux sites web qui faisait miroiter une offre « gratuite pendant 30 jours », alors que l'inscription devenait automatiquement payante ensuite. Suite à cela, la société Index avait publié l’avis dans son intégralité sur son site web, engendrant des commentaires choquants et grossiers sur les sites de MTE et d’Index.
Considérant que la publication de l’avis et les commentaires qu’il avait engendré portaient atteinte à sa réputation commerciale, la société responsable de la gestion des deux sites web immobiliers avaient engagé une procédure civile à l’encontre des deux organismes. Suite à l’ouverture cette procédure MTE et Index ont retiré immédiatement les commentaires litigieux.
Pour la juridiction nationale, les commentaires litigieux étaient choquants, injurieux, humiliants et dépassaient les limites de la liberté d’expression. MTE et d’Index ont été tenues pour responsables du seul fait qu’elles avaient permis aux internautes de réagir.
A l’appui de l’article 10 CEDH, les requérantes saisirent la CEDH qui est allée dans leur sens en considérant qu’elles n’étaient pas responsables des propos injurieux laissés sur le forum.
II – L’analyse de la décision de la Cour : La primauté de la liberté d’expression
Après avoir opéré un contrôle de proportionnalité classique pour juger de l’opportunité de restreindre une liberté fondamentale et en l’occurrence dans cette affaire la liberté d’expression, les magistrats européens ont conclu à l’absence de responsabilité des requérantes.
Pour la Cour européenne, le juge national n’a pas mis en balance l'intérêt à préserver la liberté d'expression sur Internet d’une part et le droit au respect de leur réputation commerciale des sites immobiliers d’autre part.
La décision des juges hongrois a eu pour conséquence d’imposer aux requérantes des responsabilités qui auraient pu les conduire à supprimer complètement la possibilité pour les internautes de laisser des commentaires en ligne.
Ainsi, la Cour a considéré que "bien qu'injurieux et même tout à fait grossiers", ces commentaires "n'étaient pas des déclarations de fait diffamatoires, mais l'expression de jugements de valeurs ou d'opinions", et ne constituaient donc pas "des propos clairement illicites".
Cette décision vient préciser la jurisprudence DELFI de la Cour européenne, très contestée par les défenseurs de la liberté d’expression, la CEDH avait considéré que la condamnation d’un site de presse en ligne estonien à raison de commentaires postés par les internautes ne constituait pas une violation du droit à la liberté d’expression.
Dans l’affaire DELFI, les propos litigieux contenaient des discours de haine et des appels à la violence, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. A situation différente, décision différente.
SOURCES :
Communiqué de presse de la CEDH du 27/01/2016
AFP