L’action en réduction doit être distinguée du rapport, prévu aux articles 843 et suivants du Code civil, qui est destiné à obliger un héritier, réservataire ou non, ayant reçu une libéralité du défunt à titre d’avancement de part successorale, à remettre celle-ci dans la masse afin de rétablir l’égalité entre tous les copartageants.
À ce titre, le rapport, comme la réduction, est « un dispositif de restitution ». Mais les buts poursuivis sont entièrement différents puisque, d’un côté, il s’agit d’assurer par la réduction le respect de la réserve héréditaire alors que, de l’autre, c’est l’égalité entre les copartageants qui est en jeu dans le rapport.
C’est la raison pour laquelle tandis que, aux termes de l’article 857 du Code civil, « Le rapport n’est dû que par le cohéritier à son cohéritier », la réduction sanctionne toute atteinte à la réserve, quel que soit le bénéficiaire de la libéralité réductible.
L’action en réduction, protectrice de la réserve héréditaire, peut être exercée soit contre des cohéritiers gratifiés, soit contre des bénéficiaires de libéralités qui sont étrangères à la succession, alors que le rapport ne peut être demandé que contre des héritiers venant effectivement à la succession puisque son objet est de faire respecter l’égalité successorale.
Il en résulte que lorsque des héritiers prétendent voir qualifier de fictive, et donc de donation déguisée, la vente conclue entre le de cujus et le mari de la légataire universelle, lequel n’a pas la qualité d’héritier, il ne peut être question d’une action de rapport, mais seulement d’une action en réduction.
I) Action en réduction
A) Titulaires de l’action en réduction
· Héritiers réservataires et leurs ayants cause
L’action en réduction n’appartient qu’aux seuls héritiers réservataires, c’est-à-dire, pour reprendre la formule de l’article 921 du Code civil, « à ceux au profit desquels la loi fait la réserve » (Cour de cassation, chambre des requêtes du 1er juillet 1913), ce qui est en parfaite conformité avec la fonction de la réduction qui est la protection de la réserve héréditaire. Par ailleurs, parmi lesdits héritiers réservataires, seuls ceux qui ont accepté la succession peuvent exercer l’action en réduction puisque la réserve est une fraction de succession (pars hereditatis) ou, selon les termes de la définition donnée par la loi du 23 juin 2006 à l’article 912 du Code civil, une « part des biens et droits successoraux, dont la loi, assure la dévolution libre de charges à certains héritiers ».
Celui qui renonce à la succession renonce, par là même, à sa part de réserve et, en outre, ne peut en principe imputer les libéralités par lui reçues que sur la quotité disponible puisqu’il a perdu tout droit à la réserve. En revanche, il n’y a pas à distinguer selon que la succession a été acceptée purement et simplement ou à concurrence de l’actif net.
Les ayants cause universels des héritiers réservataires (héritiers légataires ou institués contractuels universels ou à titre universel) ont les mêmes droits qu’eux puisqu’ils sont les continuateurs de leur personne (Code civil, article 921).
Ils peuvent donc agir en réduction au même titre que les héritiers réservataires. Cela concerne les héritiers, les légataires universels et les légataires à titre universel. Mais, les termes de l’article 921 du Code civil visant les ayants cause en général, il faut par ailleurs en induire que l’action en réduction peut encore être exercée par les ayants cause à titre particulier des héritiers réservataires, tels que les cessionnaires de droits successifs.
· Créanciers chirographaires des héritiers réservataires
Les créanciers chirographaires des héritiers réservataires peuvent également exercer l’action en réduction des libéralités excédant la quotité disponible par la voie de l’action oblique. Pour cela, l’article 1341-1 du Code civil est suffisant puisqu’il autorise les créanciers à exercer les droits et actions de leurs débiteurs lorsque la carence de ces derniers compromet leurs propres droits, à l’exception des droits et actions exclusivement attachés à la personne. Or, tel n’est certainement pas le cas de l’action en réduction qui est essentiellement patrimoniale.
Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en a posé le principe (Cour de cassation, 1re chambre civile du 20 octobre 1982, n° 81-16.092). L’affaire était complexe, car les droits du créancier de l’héritier réservataire étaient subordonnés à une option que devait exercer un cohéritier de celui-ci et la Cour de cassation a décidé que ledit créancier pouvait également, par la voie oblique, contraindre ce cohéritier à opter.
En résumé, on peut dire que l’action oblique exercée par le créancier personnel de l’héritier réservataire ne permet pas seulement d’exercer l’action en réduction de celui-ci, elle permet aussi de rendre possible cette action en réduction. Tel est bien le sens de l’attendu principal de l’arrêt.
B) Exercice de l’action en réduction
L’action en réduction n’est pas une action en nullité, car elle n’entraîne pas la nullité de la donation réduite, mais seulement l’indemnisation des héritiers réservataires « à concurrence de la portion excessive de la libéralité » (Code civil, article 924, al. 1er). Par conséquent, une action en nullité exercée contre une libéralité empiétant sur la réserve héréditaire doit être déclarée irrecevable (CA Bordeaux, 1re ch., 8 nov. 1990).
Il en résulte que les donations faites en fraude des droits d’un héritier réservataire ne sont pas nulles, mais sont seulement réductibles à hauteur de la quotité disponible. C’est là une jurisprudence constante déjà illustrée par un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation et réaffirmée par la première chambre civile.
Divisibilité de l’action en réduction – Cette action a la particularité d’être divisible, c’est-à-dire que, s’il y a plusieurs réservataires dont la réserve a été atteinte, chacun doit exercer l’action en réduction pour sa part. Si l’un d’eux y renonce ou la laisse prescrire, elle subsiste au profit des autres et quand l’action est exercée par un seul héritier elle ne peut produire effet que dans la mesure de sa part de réserve.
La juridiction compétente pour connaître de l’action en réduction est le tribunal de grande instance du lieu de l’ouverture de la succession (CPC, art. 45, demandes entre héritiers, et Code civil article 841, contestations s’élevant au cours des opérations de partage). Toutefois, si l’action est dirigée contre un tiers ayant acquis le bien donné du chef du donataire et s’il s’agit d’une action immobilière, la compétence appartient au tribunal de grande instance du lieu de situation de l’immeuble.
En ce qui concerne la liberté de la preuve, les héritiers réservataires doivent supporter la charge de la preuve de l’existence de libéralités (donations ou legs) de nature à porter atteinte à leur réserve (« Actori incumbit probatio ») et cette preuve est libre. Ils peuvent donc la faire par tous les moyens et même à l’aide de présomptions de l’homme.
Comme toute action, l’action en réduction s’éteint par le délai de prescription extinctive qui a été modifié par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. Auparavant, l’action en réduction était soumise au délai de prescription de droit commun de 30 ans (Cass. 1re civ., 29 janv. 1958 : Bull. civ. I, n° 44), lequel ne commençait à courir qu’à partir du jour de l’ouverture de la succession. Ce délai, jugé excessif, a été considérablement raccourci par la loi du 23 juin 2006 qui a introduit, à l’article 921 du Code civil, un alinéa 2 ainsi rédigé :
Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.
Ce délai de prescription quinquennale de l’action en réduction des libéralités, applicable aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, amène à distinguer deux situations pour le calcul de la prescription. Soit les héritiers réservataires ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve dès l’ouverture de la succession et le délai de prescription de l’action en réduction sera alors de cinq ans à compter de ce moment-là. Soit les héritiers réservataires ont découvert l’atteinte portée à leur réserve après l’ouverture de la succession et le délai de prescription est alors de deux ans à compter de cette découverte, sans pouvoir excéder dix ans à compter du décès.
II) Modalités de la réduction
A) Domaines respectifs de la réduction en valeur et de la réduction en nature
L’article 924, alinéa 1er du Code civil, s’applique, de manière générale, à toute libéralité qui excède la quotité disponible. Cela vise donc, selon la définition de la libéralité donnée à l’article 893 du Code civil, tout « acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne ».
C’est dire que la réduction en valeur s’applique de manière identique aux donations et aux legs, ce qui garantit l’exécution de ces derniers et renforce par là même le pouvoir de la volonté du disposant. Sous l’empire de la législation antérieure, l’article 925 du Code civil, abrogé par la loi du 23 juin 2006, frappait de caducité toutes les dispositions testamentaires lorsque la valeur des donations entre vifs excédait ou égalait la quotité disponible.
Autrement dit, lorsque l’imputation des donations avait absorbé tout le disponible, les legs ne pouvaient s’exécuter faute de secteur d’imputation. L’application généralisée de la réduction en valeur supprime cet obstacle et permet dès lors aux legs de s’exécuter puisque même s’il n’existe plus de surface d’imputation, le légataire pourra toujours indemniser en argent les héritiers réservataires privés, en tout ou en partie, de leur réserve en nature.
De même, la généralité des termes de l’article 924, alinéa 1er, permet d’appliquer la réduction en valeur aux allotissements par donation-partage ou testament-partage, qui entrent désormais dans la définition légale de la libéralité, d’autant plus que celle-ci peut avoir, selon le principe posé à l’article 721 du Code civil, une fonction dévolutive. La réduction en valeur s’applique également aux libéralités à titre universel comme aux libéralités à titre particulier, aux libéralités préciputaires, imputables sur la quotité disponible, comme aux libéralités en avancement d’hoirie (ou de part successorale), imputables sur la réserve.
Au-delà de l’extension à toutes les libéralités, le domaine de la réduction en valeur a été étendu par la loi du 23 juin 2006 à tous les biens faisant l’objet d’une libéralité réductible. C’est là aussi une innovation importante, car, auparavant, la loi admettait la réduction en valeur essentiellement pour des raisons économiques, lorsqu’une réduction en nature aurait risqué de nuire à la valeur économique du bien sur lequel portait la libéralité réductible.
Ainsi, l’ancien article 867 du Code civil prévoyait la réduction en valeur des legs portant « sur un bien ou sur plusieurs biens composant un ensemble », car, dans un tel cas, la réduction en nature aurait entraîné soit un partage soit une licitation qui aurait vraisemblablement provoqué une perte de l’utilité ou de la valeur économique du bien.
Dans ces conditions, la réduction en valeur apparaissait simplement comme une dérogation, justifiée par des motifs économiques, au principe juridique de l’égalité en nature dans le partage de la réserve. L’extension de la réduction en valeur à toutes les libéralités, quel qu’en soit l’objet change entièrement la perspective. Il ne s’agit plus de déroger, pour des raisons économiques, à un principe juridique ; c’est le principe de droit lui-même qui a changé ou, plutôt, qui a été inversé : la réduction en valeur est devenue le principe.
En conséquence, toutes les conditions posées naguère à la réduction en valeur et qui portaient, notamment, sur les biens faisant l’objet de la libéralité, ont disparu, ce qui étend sensiblement les possibilités de dévolution volontaire, en particulier au moyen de legs.
Un testateur peut très bien, à présent, attribuer l’intégralité des biens composant son patrimoine héréditaire, même s’ils ne forment pas un « ensemble de biens » au sens de l’ancien article 867 du Code civil, à un seul successible, voire à un tiers étranger à la famille ; dans tous les cas, le legs sera exécuté et le légataire recevra effectivement les biens qui lui ont été légués, à charge simplement pour lui, s’il y a atteinte à la réserve, d’indemniser en argent les réservataires privés de corps héréditaires.
Dernière extension (et non des moindres) du domaine de la réduction en valeur : l’article 924, alinéa 1er du Code civil, étend le bénéfice de la réduction en valeur à tout gratifié, « successible ou non successible ».
B) Exécution de la réduction
La réduction des libéralités excédentaires s’exécute suivant un ordre déterminé par les dispositions d’ordre public de l’article 923 du Code civil qui reproduit, en sens inverse, l’ordre d’imputation des libéralités.
Les legs seront donc réduits en premier, au marc le franc (Code civil, article 926), sauf disposition contraire du testateur (Code civil, article 927), suivis des donations, en commençant par les plus récentes. Cet ordre de réduction n’étant que l’ordre d’imputation inversé, on se reportera à ce qui a été dit à ce sujet dans le fascicule précédent. Il convient en revanche d’envisager ici comment s’exécute puisque la réduction en valeur se traduit par une indemnité équivalente à « la portion excessive de la libéralité » (Code civil, article art. 924, al. 1er) versé par le gratifié (donataire ou légataire) aux héritiers réservataires, il est nécessaire de commencer par en chiffrer le montant. L’article 924-2 in limine du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 23 juin 2006, fixe en ces termes la règle applicable :
Le montant de l’indemnité de réduction se calcule d’après la valeur des biens donnés ou légués à l’époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.
Si le bien donné ou légué est l’objet d’une libéralité qui s’impute entièrement sur la réserve des héritiers, il doit faire l’objet d’une réduction totale et, par conséquent, c’est sa valeur entière qui doit être prise en considération. Or, puisqu’il résulte de l’article 924-2, précité, que l’évaluation doit se faire à l’époque du partage, donc au moment présent, c’est cette valeur actuelle qui est prise en compte. La solution est donc simple.
La solution est moins évidente lorsque la libéralité s’impute pour partie sur la quotité disponible et pour le surplus sur la réserve. Sans doute est-il certain que, dans ce cas, la réduction doit être simplement partielle, mais il faut alors savoir comment la pratiquer. Or, deux systèmes sont concevables : ou bien celui de la réduction arithmétique ou bien celui de la réduction proportionnelle.
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