Blocage de site et sanctions de la contrefaçon du contenu piraté

Publié le 01/10/2014 Vu 3 971 fois 0
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La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 27 mars 2014 une décision attendue sur la possibilité d’ordonner à un fournisseur d’accès à Internet (FAI) de bloquer à ses clients l’accès à un site web dont le contenu porterait atteinte au droit d’auteur. Une telle injonction et son exécution doivent cependant assurer un juste équilibre entre les droits fondamentaux concernés. La demande de décision préjudicielle portait sur l’interprétation de certains articles de la directive n°2001/29/CE du 22 mai 2001 ainsi que sur certains droits fondamentaux consacrés par le droit de l’union.

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 27 mars 2014 une décision attendue sur la possibilité

Blocage de site et sanctions de la contrefaçon du contenu piraté

Le présent litige opposait deux sociétés de production cinématographique autrichiennes à un fournisseur d’accès à Internet. Plus précisément, Constantin Film Verleih, une entreprise allemande qui détient les droits de deux films (« Vic le Viking » et « Pandorum ») ainsi que Wega Filmproduktionsgesellschaft, une entreprise autrichienne qui détient les droits d’un autre film (« Le ruban blanc »), se sont aperçues que leurs films pouvaient, sans leur consentement, être visionnés en streaming voire téléchargés à partir du site Internet « kino.to ». Sur demande de ces deux entreprises, les tribunaux autrichiens ont interdit à UPC Telekabel (le FAI établit en Autriche) de fournir à ses clients l’accès à ce site.

En première instance, l’injonction précisait que la mesure consisterait à bloquer le nom de domaine et l’adresse IP actuelle ou future du site, alors qu’en appel, les juges ont considéré que le FAI devait demeurer libre de choisir les mesures appropriées pour parvenir à un blocage effectif. Dans son pourvoi, le FAI s’est évidemment opposé à cette injonction au motif qu’à l’époque des faits il n’entretenait aucune relation commerciale avec les exploitants de kino.to, que rien n’établissait que ses abonnés auraient agi illégalement, que les mesures ordonnées pourraient facilement être contournées et qu’enfin certaines des mesures seraient excessivement coûteuses.

Saisi du litige en dernier ressort, la Cour suprême autrichienne a demandé à la Cour de justice d’interpréter l’article 8.3 de la directive de l’Union sur les droits d’auteur (directe 2001/29/CE) ainsi que les droits fondamentaux reconnus par le droit de l’Union. La directive dispose que « les Etats membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». La Cour de justice a donc du répondre à deux questions : la première concernant le fait de savoir si un FAI pouvait faire l’objet de ce type de procédure et ainsi être enjoint de participer à la lutte contre la contrefaçon en ligne ; la deuxième portant sur la nature et les modalités des mesures pouvant être ordonnées à l’encontre d’un FAI et notamment est-ce que le juge peut se contenter d’enjoindre à un FAI d’assurer le blocage sans déterminer avec précision les mesures à prendre ?

La Cour de justice de l’Union européenne répond à ses questions et étend la qualification d’intermédiaire au sens de l’article 8.3 de la directive au FAI qui fournit à ses clients l’accès à un site mettant à la disposition du public des œuvres protégées sans l’autorisation du titulaire de droits (I) tout en leur laissant le choix des moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif de protection du droit de propriété intellectuelle (II).

  • Un fournisseur d’accès peut être considéré comme un intermédiaire dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit d’auteur

Selon la CJUE, la première question concerne le fait de savoir si l’exploitant d’un site Internet qui met à la disposition du public « des objets protégés » sans l’autorisation du titulaire des droits utilise les services du fournisseur d’accès des personnes qui consultent ces objets. Le FAI fait valoir qu’il n’existe aucune relation contractuelle avec l’exploitant du site litigieux et qu’il n’a « aucune possibilité de l’influencer et que l’atteinte est perpétrée en mettant l’œuvre en question à la dispositif du public en l’absence de toute intervention de sa part ».

Mais, il résulte des textes que les FAI peuvent être destinataires d’une ordonnance sur requête même lorsqu’ils ne sont pas les fournisseurs d’accès de ceux qui portent atteinte au droit d’auteur mais de ceux des utilisateurs qui consultent le site internet illicite. En effet, la cour répond : « L’article 8, paragraphe 3, de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui met à la disposition du public sur un site internet des objets protégés sans l’accord du titulaire de droits, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, utilise les services du fournisseur d’accès à internet des personnes qui consultent ces objets, lequel doit être considéré comme un intermédiaire au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive n° 2001/29 ». La Cour retient notamment qu’il ne ressort d’aucun texte que serait exigé « une relation particulière entre la personne qui porte atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin et l’intermédiaire ».

 Il n’est pas non plus nécessaire d’établir que les clients du fournisseur d’accès consultent effectivement les objets protégés accessibles sur le site Internet du tiers. La directive exige que les mesures que les États membres ont l’obligation de prendre afin de se conformer à celle-ci aient pour objectif non seulement de faire cesser, mais également de prévenir les atteintes portées au droit d’auteur ou aux droits voisins.

En France, l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que les titulaires de droits peuvent demander au juge d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Cet article avait fait l’objet d’une première interprétation en 2012 concernant un moteur de recherche (Civ, 1ère, 12 juillet 2012) avant qu’une deuxième affaire ne conduise les principaux FAI français à être condamnés en première instance à une telle mesure de blocage (TGI Paris, 28 novembre 2013, Allostreaming).

Dans son arrêt du 27 mars 2014, la Cour de justice estime qu’un FAI, parce qu’il est « un acteur obligé de toute transmission sur internet d’une contrefaçon », doit être considéré comme un « intermédiaire » dont les services sont utilisés pour porter atteinte aux droits en cause et, dès lors, il peut faire l’objet d’injonctions pour faire cesser ou prévenir des actes de contrefaçon en ligne.

  • La nature et les modalités des mesures de blocage ordonnées

La CJUE, dans son arrêt du 27 mars 2014, tout en rappelant que la directive confie au droit national la détermination des modalités des injonctions, renvoie au principe de proportionnalité qui met en balance les droits fondamentaux qui peuvent entrer en jeu lorsque de telles mesures de blocage sont ordonnées : droit d’auteur et droit voisin des titulaires, liberté d’entreprise des intermédiaires, liberté d’information des internautes.

Or, lorsque plusieurs droits fondamentaux sont en conflit, il incombe aux États membres de veiller à se fonder sur une interprétation du droit de l’Union et de leur droit national qui permette d’assurer un juste équilibre entre ces droits fondamentaux. L’Avocat général conclut qu’« il n’est pas conforme à la nécessaire mise en balance des droits fondamentaux des parties concernées (...) d’interdire au fournisseur d’accès, dans des termes très généraux et sans prescription de mesures concrètes, d’accorder à ses clients l’accès à un site internet précis qui porterait atteinte au droit d’auteur ».

Il estime, en revanche, que « le fait d’ordonner à un fournisseur d’accès de prendre une mesure de blocage concrète (...) n’est pas, en principe, disproportionné du simple fait que cette mesure requiert des moyens non négligeables » et qu’il « incombe aux juridictions nationales de mettre en balance, dans chaque cas concret et en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, les différents droits fondamentaux des parties concernées et de garantir un juste équilibre » entre ces différents droits. S’agissant plus spécifiquement du droit à la liberté d’entreprise du fournisseur d’accès à Internet, la Cour estime que ladite injonction n’apparaît pas porter atteinte à la substance même de ce droit, étant donné que, d’une part, elle laisse à son destinataire le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé de sorte que celui-ci peut choisir de mettre en place des mesures qui soient les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont il dispose et qui soient compatibles avec les autres obligations et défis auxquels il doit faire face dans l’exercice de son activité et que, d’autre part, elle lui permet de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables.

De plus, la Cour estime que les droits fondamentaux ne s’opposent pas à une telle injonction à une double condition : les mesures prises par le fournisseur d’accès ne doivent pas priver inutilement les utilisateurs de la possibilité d’accéder de façon licite aux informations disponibles et elles doivent avoir pour effet de rendre difficilement réalisables les consultations non autorisées des objets protégés. La Cour précise que les internautes et le fournisseur d’accès à Internet doivent pouvoir faire valoir leurs droits devant le juge. Il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de vérifier si ces conditions sont remplies. Les juges devront donc mettre en balance les droits en présence et définir des mesures réalistes et proportionnées.

Or, si les intermédiaires techniques susceptibles de participer à la lutte contre la contrefaçon ne coopèrent pas dans des conditions satisfaisantes, la question de leur responsabilité devra se poser. De même, on peut se poser la question de l’efficacité réelle et de la pertinence de ces mesures de blocage : malgré ces mesures, les mêmes sites illicites ont tendance à être rapidement accessibles à partir de nouveaux noms de domaine.

Sources :

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Blog de Murielle Cahen

Murielle CAHEN

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