Les conditions de la protection des créations de design

Publié le 04/05/2020 Vu 3 191 fois 0
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Les arts appliqués sont l’équivalent français du design. Ils déterminent la forme d’un objet de l’industrie qui peut être protégée, sous certaines conditions.

Les arts appliqués sont l’équivalent français du design. Ils déterminent la forme d’un objet de l’in

Les conditions de la protection des créations de design

. Deux systèmes de protection, aux conditions et régimes distincts, coexistent : celui du droit d’auteur et celui des dessins et modèles, dit régime de protection spécifique.

 

Les conditions de la protection des créations des arts appliqués par le droit des dessins et modèles (I) sont satisfaites plus aisément que celles fixées par le droit d’auteur (II).

 

 

I. Les conditions de la protection des créations des arts appliqués par le droit des dessins et modèles

 

 

A. Les conditions de fond

 

 

1. Les conditions positives

 

a. Visibilité de la création

La protection porte sur l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit. Seuls les éléments visibles sont protégeables.

Dans un produit complexe, composé de pièces multiples remplaçables, seules les pièces visibles lors d’une utilisation normale dudit produit par l’utilisateur final sont protégeables. Les éléments intégrés invisibles ne sont pas protégeables. Les manipulations de l’objet lors de son entretien ou réparation ne relèvent pas d’une utilisation normale.

 

 

b. Nouveauté de la création

i. Définition

Un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée,  aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué. (article L. 511-3 du CPI)

 

ii. Le produit identique

Le produit identique est celui dont les caractéristiques visibles ne diffèrent du produit à protéger que par des détails insignifiants.

Selon l’interprétation du Tribunal de l’Union européenne, les détails insignifiants sont ceux qui ne sont pas immédiatement perceptibles. Les différences perceptibles immédiatement, mêmes faibles, établissent la nouveauté du produit à protéger (Trib. UE, 6 juin 2013, aff. T-68/11 [1]).

 

Un produit combinant des éléments connus est nouveau si une telle combinaison n’avait jamais été faite. L’antériorité détruisant la nouveauté du produit à protéger doit être de toute pièce (Com., 20 septembre 2016, n° 15-10.939 [2]).

iii. L’art antérieur

L’art antérieur comprend tous les produits divulgués avant la date de dépôt de la demande.

La divulgation consiste à rendre le produit accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen (une commercialisation par exemple).

Le créateur ayant divulgué son produit ne se verra pas opposer l’antériorité de son propre produit s’il dépose sa demande d’enregistrement dans un délai de grâce de 12 mois suivant la divulgation.   

 

 

c. Caractère propre de la création

i. Définition

Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée (article L. 511-4 du CPI).

ii. Observateur averti

L’observateur averti est "une notion intermédiaire entre celles de consommateur moyen applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celles de l’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies." (CJUE, 20 oct. 2011, aff. C-281/10 [3]). L’observateur averti se définit comme un observateur doté d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (Com., 29 mars 2017, 15-20.785 [4]).

iii. Impression visuelle d’ensemble

L’impression visuelle d’ensemble aboutit au caractère propre du produit en cause lorsqu’elle diffère de celle produite par toutes les antériorités invoquées, prises individuellement.

L’appréciation du caractère propre doit être pondérée par l’existence de contraintes imposées au créateur par la nature du produit ou la réglementation. Selon le Tribunal de l’Union, "plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti".  (TUE, 21 juin 2018, aff. T ‑227/16 [5])

 

 

 

2. Les conditions négatives

 

a. Exclusion des formes exclusivement imposées par la technique

La forme exclusivement imposée par la fonction technique du produit n’est protégeable que par le droit des brevets, non par le droit des dessins et modèles.

Le critère de la multiplicité des formes tranche la question de l’indépendance de la forme d’un produit par rapport à la fonction technique. Si plusieurs formes étaient possibles, l’apparence du produit n’était pas imposée exclusivement par la technique.

b. Exclusion des éléments d’interconnexion

i. Principe

Les pièces d’interconnexion ne sont pas protégées, même si elles demeurent visibles dans le cadre d’une utilisation normale par l’utilisateur final du produit auquel elles sont intégrées.

ii. Inclusion des produits modulaires

Cependant, l’apparence des produits modulaires (pièces d’un jeu de construction, par exemple) est protégeable.

 

 

B. Les conditions de forme

 

Les conditions de la protection des créations des arts appliqués au titre du droit des dessins et modèles fixent une procédure d’enregistrement de la création. Trois types de dépôts de la demande d’enregistrement existent.

 

1. Dépôt national

Il ouvre droit à un titre national, suite à un dépôt dans le pays où l’on cherche à obtenir la protection de sa création. Chaque État organise la procédure de dépôt comme il veut.

En France, le dépôt se fait à l’INPI (l’Institut national de la propriété industrielle). La demande doit inclure l’identification du déposant, une reproduction du produit (graphique ou photographique), l’indication de la classe du produit selon la classification de Locarno [6], et une redevance (tarifs accessibles sur le site de l’INPI [7]).

Les conditions de fond de la protection ne sont pas examinées. Les dépôts conformes aux formes prescrites sont publiés au BOPI (Bulletin officiel de la propriété industrielle).

L’enregistrement est constitutif de droit, le produit enregistré étant présumé valable au regard du droit des dessins et modèles. En cas de contentieux en contrefaçon, seulement, les conditions de fond de validité seront examinées.

 

 

2. Dépôt international

Un seul dépôt ouvre droit à plusieurs titres nationaux, dans les pays signataires de l’arrangement de La Haye (liste des 70 pays membres sur le site de l’OMPI [8]). Le dépôt se fait au Bureau international de l’OMPI (à Genève), par courrier postal ou par la voie électronique [9]. Les pays dans lesquels la protection est recherchée doivent être indiqués. Chaque office national examine la demande, selon sa propre législation nationale. En l’absence de refus, l’OMPI procède à l’enregistrement du produit pour tous les pays désignés. L’enregistrement est valable 5 ans, son renouvellement pour des durées successives de 5 ans est possible dans la limite de la durée maximale de protection prévue par la législation nationale.

 

 

3. Dépôt communautaire

Il permet d’obtenir un titre communautaire, dont les conditions de validité de fond sont les mêmes que pour le titre français. Le titre communautaire est valable sur tous les territoires de l’UE, pour une durée de 5 ans, avec un renouvellement possible jusqu’à une durée maximale de 25 ans. Il se fait à l’EUIPO (Office de l’UE pour la propriété industrielle dont le siège est à Alicante), la voie électronique étant possible. La seule condition de fond examinée est la visibilité. Le titre est enregistré au registre des dessins et modèles communautaires; son opposabilité aux tiers est effective dès la publication de l’enregistrement au Bulletin des dessins et modèles communautaires.

 

 

 

 

II. L’originalité des créations des arts appliqués, condition de la protection par le droit d’auteur

 

La seule condition de la protection des créations des arts appliqués par le droit d’auteur est l’originalité.

 

 

A. Différence de l’originalité d’avec les conditions positives de la protection spécifique

 

Un cumul des protections du droit des dessins et modèles et du droit d’auteur n’est possible que sous condition de respect des exigences propres à chacune (Crim., 13 décembre 2011, 10-80.623 [10]).

 

1. Différence d’avec la nouveauté

Si elles sont suffisantes pour établir nouveauté, de faibles différences non insignifiantes avec l’état de l’art ne suffisent pas pour constituer l’originalité.

Par exemple, la nouveauté est acquise en absence d’une antériorité de toutes pièces, alors que la présence des caractéristiques d’un produit dans des produits antérieurs exclut la qualité d’originalité si leur rassemblement dans un seul produit manque d’originalité (Civ. 1, 5 avril 2012, n° 10-27.373 [11]).

De plus, les antériorités prises en compte dans l’examen de l’originalité sont constituées dès la date de création et non à partir de la date de divulgation.

 

2. Différence d’avec le caractère propre

L’originalité n’est pas appréciée selon le point de vue d’un observateur averti, mais du point de vue du juge. De plus, l’exigence d’originalité n’est pas pondérée par l’impression visuelle d’ensemble. De même, l’antériorité n’a pas à être de toute pièce, comme pour l’appréciation du caractère propre.

L’originalité d’un modèle ne résulte pas de l’impression différente que peuvent produire les modèles qui lui sont antérieurs; plutôt, elle découle de l’empreinte personnelle de l’auteur donnée au produit au regard des antériorités (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 24 juin 2011, n° 10/16 349).    

Une création industrielle peut très bien avoir un caractère propre sans avoir pour autant d’originalité.  

Ainsi, un moulinet de canne à pêche paraissant avoir une physionomie propre au regard d’autres moulinets manque néanmoins d’originalité en ce que la combinaison de ses caractéristiques, quoique procédant de choix pour partie arbitraires, "ne s’avère pas de nature à traduire un réel parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur" (Com., 10 février 2015, n° 13-27.225 [12]).

   

 

 

 

B. L’appréciation de l’originalité des créations des arts appliqués

 

 

1. Les indices d’originalité

L’originalité est classiquement comprise comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur, mais la jurisprudence qualifie parfois l’originalité des œuvres des arts appliqués comme étant la marque d’un effort créatif (Com., 26 février 2008, n° 05-13.860 [13]). L’effort créatif et l’effet esthétique sont des indices d’originalité.

 

a. L’effort créatif

L’effort créatif est recherché en amont de l’œuvre, lors du processus de création. L’auteur devra avoir fait montre de créativité et non de l’application d’un simple savoir-faire.

Ainsi, la Cour de cassation a estimé au sujet d’un modèle de chaussures qui "présentait la combinaison de l’essentiel des caractéristiques" d’un modèle antérieur que "l’ajout de semelles à picots qui s’inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l’empreinte de la personnalité de son auteur et que le modèle revendiqué n’était dès lors pas éligible à la protection conférée par le droit d’auteur" (Civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518 [14]).

L’effort créatif peut être reconnu en présence d’un réel parti-pris esthétique qui dépasse les simples choix arbitraires (Com., 10 février 2015, n° 13-27.225, précité). Ce parti-pris esthétique s’exerce au moment de la conception, dans les choix particuliers faits par l’auteur.

 

 

b. L’effet esthétique

Les caractéristiques de l’objet doivent produire un résultat susceptible d’appeler un jugement esthétique de la part du consommateur apte à déterminer partiellement son choix. Ainsi, une mini poêle à frire a été reconnue originale parce qu’elle était "susceptible de rencontrer son public non simplement comme une marchandise, mais aussi au travers d’un jugement esthétique" (Tribunal de grande instance de Paris, CT0087, du 15 novembre 2006 [15]).

 

 

2. La charge de la preuve

 

En cas de contestation de l’originalité de l’œuvre d’art appliqué, c’est à l’auteur de l’œuvre mise en cause, souvent dans le cadre d’une action en contrefaçon initiée par lui, de démontrer l’originalité en identifiant les caractéristiques qui en sont le support.

Ainsi, ne démontre pas être titulaire de droit d’auteur, celui qui revendique des droits sur une couture dorsale ornementale, "sans l’identifier avec précision ni en caractériser les détails, condition première du droit d’auteur" (Civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-22.798 [16]).

L’originalité d’une œuvre doit être explicitée par son auteur, seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité. Cette explicitation ne doit pas être une description purement technique, faute de révéler les choix exprimant un parti-pris esthétique et traduisant la personnalité de son auteur. (TGI Paris, 3e ch., 15 sept. 2016, n° 14/10 978)

 

 

En conclusion, l’on peut dire que les conditions de la protection des créations des arts appliqués favorisent le choix de la protection des dessins et modèles, plus simple à obtenir. La protection du droit d’auteur ne devant être normalement choisie qu’à défaut, à l’expiration de la protection spécifique ou lorsqu’aucun dépôt n’a été fait à temps et que l’on souhaite agir en contrefaçon.

 

 

 

Sources

[1] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=7971BDF114AC443A8A63135152674CCC?text=&docid=138101&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=4847368

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000033150751

[3] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=111581&doclang=FR

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000034345310&fastReqId=1083604450&fastPos=1

[5] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=9ea7d2dc30dd17fff359672b40219606d344a8851e46.e34KaxiLc3qMb40Rch0SaxyOahf0?text=&docid=203219&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1152238

[6] https://www.wipo.int/classifications/locarno/fr

[7] https://www.inpi.fr/fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/les-dessins-modeles/combien-coute-un

[8] https://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.jsp?lang=fr&treaty_id=9

[9] https://www.wipo.int/hague/fr/how_to/file/

[10] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000025215194

[11] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000025663613

[12] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030243653

[13] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000018204439

[14] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028759799&fastReqId=774593448&fastPos=5 

[15] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000006951521

[16] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030115626      

 

 

 

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