Dans le cadre d’un quasi-usufruit portant sur des comptes bancaires, en cas de prédécès du nu-propriétaire (à savoir avant le décès de l’usufruitier), la valeur des comptes bancaires appartient à la succession du nu-propriétaire et non à celle de l’usufruitier.
Le nu-propriétaire ayant vocation à la pleine propriété de l’usufruit de comptes bancaires, au décès de l’usufruitier, la valeur de ces comptes bancaires rejoint la nue-propriété, échue entre-temps à la succession du nu-propriétaire.
Une femme décède, laissant pour lui succéder, son époux, commun en biens et usufruitier conventionnel, et sa fille. Parmi les biens propres de la défunte, figurent des comptes bancaires sur lesquels son époux devient titulaire d’un quasi-usufruit non conventionnel.
Puis la fille du couple décède, laissant pour lui succéder, son père et son époux.
Le père décède à son tour, en l’état d’un testament désignant deux légataires universels.
Les ayants-droit de l’époux de la fille, décédé également, réclament le versement des capitaux sur lesquels le père était titulaire d’un usufruit, au titre du paiement de sa dette de restitution.
La Cour de cassation Civ. 1ère, dans une décision n°19-14.421 du 4 novembre 2020, décide à juste titre que dès avant le décès de son père, la fille avait vocation à la pleine propriété des comptes de sa mère alors même qu’elle n’en était pas encore titulaire et n’en avait pas la jouissance.
Au décès du père, son usufruit s’est éteint, la pleine propriété s’est reconstituée de sorte que les légataires universels du père sont tenus de restituer au nu-propriétaire devenu propriétaire la valeur des comptes bancaires de la première défunte.
I) Usufruit et nu-propriétaire : distinction et caractère
A) Distinction entre l’usufruitier et le nu-propriétaire
L’usufruit est un droit réel qui confère à son titulaire le pouvoir d’user et de jouir d’un bien appartenant à une autre personne, comme celle-ci en jouirait, mais à la charge d’en conserver la substance (Code civil, article 578). Le caractère réel de l’usufruit interdit à l’usufruitier d’un immeuble d’inscrire une hypothèque pour garantir son droit.
Quant à l’autre partie de la propriété, ou nue-propriété, elle appartient au nu-propriétaire qui recouvrera la pleine propriété à la mort de l’usufruitier ou à l’échéance de l’usufruit. Le nu- propriétaire conserve le droit d’aliéner le titre grevé d’usufruit. Même si l’usufruitier et le nu-propriétaire sont indépendants quant à la gestion du bien, l’usufruitier ne peut user du bien sans l’accord du nu-propriétaire. Dans tous les cas où l’usufruitier ne respecte pas les règles établies, le nu-propriétaire peut agir.
L’usufruitier est responsable envers le nu-propriétaire des dégradations qu’il a pu causer par lui- même au bien, en cas de défaut d’entretien ou de non-restitution du bien, ou en raison de la conclusion d’un bail sans l’accord du nu-propriétaire lorsqu’il est requis. Il peut être sanctionné par la déchéance de son usufruit (Code civil, article 618) et/ou par la condamnation à des dommages-intérêts.
L’usufruitier est également responsable de tout dommage causé au nu-propriétaire par un tiers, s’il néglige de lui dénoncer les usurpations ou autres attentats à ses droits commis par ce dernier (Code civil, article 614).
En outre, l’usage du bien par l’usufruitier est parfois soumis à l’autorisation du nu-propriétaire. Le nu-propriétaire pourra donc demander l’annulation par exemple d’un bail consenti par l’usufruitier sans attendre la fin de l’usufruit lorsqu’il s’agit d’un bail commercial ou rural. Le renouvellement d’un bail commercial devra également être subordonné à l’autorisation du nu-propriétaire.
Dans le cas où une autorisation préalable du nu-propriétaire doit être obtenue, c’est à l’usufruitier de faire la démarche pour l’obtenir. Le locataire aurait par conséquent la possibilité de réclamer des dommages et intérêts, dans le cas où le bail serait annulé parce que l’usufruitier aurait agi sans le consentement du nu-propriétaire.
B) Les caractères de l’usufruit
Caractère réel – En vertu de l’article 578 du Code civil, « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». Le titulaire du droit d’usufruit, à savoir l’usufruitier, détient sur le bien objet de l’usufruit un droit réel. C’est donc directement sur la chose qu’il exerce le pouvoir que son droit lui confère. Le lien personnel éventuellement entretenu avec le nu-propriétaire n’est pas à considérer pour la nature de ce droit. Il est admis aujourd’hui que l’usufruit (droit réel) peut s’exercer sur une créance (droit personnel). Le caractère réel attaché à l’usufruit permet de le distinguer de la rente viagère ainsi que du bail.
Il doit également être différencié de la pleine et de la nue-propriété, ainsi que de ses démembrements comme la servitude, le droit d’usage et d’habitation ainsi que les droits d’usage traditionnels, le droit de superficie, l’emphytéose, le bail à construction et la concession.
Caractère autonome – En théorie, les droits d’usufruit s’exercent indépendamment de la nue-propriété ; usufruitier et nu-propriétaire s’ignorent. Les actions que chacun exerce en considération de ses droits respectifs sont indépendantes les unes des autres ; il ne saurait y avoir interférence.
Plusieurs articles du Code civil témoignent de cette autonomie, ainsi l’article 599 du Code civil. En particulier, il est important de noter que chacun détenant des droits différents, et bien que ceux-ci portent sur la même chose, il ne saurait à aucun moment y avoir indivision entre usufruitier et nu-propriétaire. En dépit de ce principe de stricte autonomie, la pratique révèle que d’inévitables conflits d’intérêts surgissent.
Il est en effet difficile d’éviter toute concurrence lorsque les droits propres à chacun portent sur une même chose. En particulier, la licitation en pleine propriété de biens appartenant à plusieurs nus-propriétaires ou à plusieurs usufruitiers appelle des solutions nuancées. Dans d’autres hypothèses, comme en matière de bail commercial, usufruitiers et nu-propriétaire doivent coopérer.
Aux côtés de l’usufruit et des droits d’usage et d’habitation, il ne fait aucun doute désormais que puissent être créés par contrats des « droits réels de jouissance spéciale » dont la durée peut excéder 30 ans sans pour autant être perpétuels, échappant ainsi au principe posé par l’article 619 du Code civil et dont le champ se voit en conséquence limité à l’usufruit et aux droits d’usage et d’habitation (droit institué au profit d’une fondation d’utilité publique ayant vocation à la perpétuité : ce qui pourrait signifier, puisqu’il s’agit d’un droit réel sui generis entre parties privatives (et non entre parties communes comme la Cour de cassation l’avait déjà admis jusqu’ici) que cette solution pourrait avoir vocation à s’appliquer en dehors du domaine de la copropriété.
Cela réduirait en pratique le recours à l’usufruit, chaque fois que son caractère temporaire serait considéré comme un frein à son utilisation.
Caractère aléatoire – Calqué sur la durée de vie de l’usufruitier, l’usufruit revêt un caractère aléatoire. Des méthodes d’évaluation de l’usufruit ont alors été dressées, en fonction du degré probable de mortalité de l’usufruitier. La référence se situe aux articles 669, I et 669, II du CGI.
Il est également nécessaire de prendre en compte, le cas échéant, la réserve héréditaire, de même que l’action en rescision ou en complément de part, ainsi que l’hypothèse de la vente simultanée et globale de l’usufruit et de la nue-propriété.
Selon la Cour de cassation, puisque « l’article 669 du Code général des impôts, que ce soit en son premier ou son second paragraphe, ne distingue pas entre personnes physiques et morales pour l’évaluation de l’usufruit » ces règles, permettant de déterminer la valeur d’un usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier, sont applicables aux usufruits détenus par des personnes morales. La position de la juridiction administrative à cet égard reste à connaître.
Le caractère nécessairement temporaire de l’usufruit conduira certainement les parties à lui préférer, dans un certain nombre d’hypothèses, un autre droit réel de jouissance, la Cour de cassation ayant considéré sur le fondement des articles 544 et 1134 anciens du Code civil (devenus Code civil, article 1103) que « le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien » pour une durée allant au-delà de la limite fixée par le Code civil pour l’usufruit. La libéralisation des droits réels permet ainsi aux parties d’avoir contractuellement la maîtrise de la durée du droit créé.
II) Restitution des créances à l’arrivée du terme de l’usufruit.
A) Le caractère temporaire de l’usufruit évoqué à l’article 587 du Code civil
Selon l’article 587 du Code civil si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution.
Afin de ne pas compromettre le droit du nu-propriétaire sur la chose, le droit conféré à l’usufruitier ne peut être que temporaire.
Un droit conféré à perpétuité ne peut être qualifié d’usufruit. Cependant, sa durée s’apprécie différemment selon que son bénéficiaire est une personne physique ou une personne morale. S’il s’agit d’une personne physique, le principe veut que l’usufruit s’éteigne à sa mort pour, selon l’expression consacrée et évocatrice, « se reconstituer sur la tête du nu-propriétaire ». C’est ce qui est exprimé à l’article 617 du Code civil. Il dispose que l’usufruit s’éteint par le décès de l’usufruitier.
Pour la Cour de cassation, « L’usufruitier se trouve tenu, en application du premier des textes susvisés, d’une dette de restitution exigible au terme de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’actif successoral lorsque l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier ».
Ce principe admet toutefois des tempéraments, notamment en cas d’usufruits successifs et d’usufruits réversibles, le second usufruit étant dans cette dernière hypothèse qualifiée de donation à terme de biens présents, l’intérêt de la solution résidant essentiellement dans des considérations fiscales.
B) Une héritière qui avait vocation à la pleine propriété de ces comptes, alors même qu’elle n’en était pas encore titulaire et n’en avait pas la jouissance.
L’usufruitier recueille temporairement dans son patrimoine l’usus et le fructus qui, à sa mort, en vocation à être restitués au nu-propriétaire sans pouvoir être transmis aux héritiers.
La Cour rappelle que c’est à bon droit, que, dès avant le décès de son père, en sa qualité de nue-propriétaire de ces sommes, l’héritière avait vocation à la pleine propriété de ces comptes, alors même qu’elle n’en était pas encore titulaire et n’en avait pas la jouissance.
Le décès prématuré du nu-propriétaire n’éteint pas le quasi-usufruit légal de biens consomptibles.
Au décès de l’usufruitier, l’usufruit rejoint la nue-propriété échue entre-temps à la succession du nu-propriétaire, de sorte que les légataires universels de l’usufruitier sont tenus de restituer à la succession de ce dernier la créance de restitution.
Le nu-propriétaire, lui, n’a qu’un droit de propriété virtuel tant que dure le démembrement de propriété, et il devient pleinement propriétaire lorsque le démembrement cesse (au décès de l’usufruitier, ou avant en cas d’usufruit temporaire).
Le quasi-usufruit fait naître une créance de restitution au profit du nu-propriétaire. Autrement dit, l’usufruitier doit restituer l’équivalent de ce qu’il a reçu au nu-propriétaire lorsque le démembrement de propriété prend fin. En cas d’usufruit viager, cette créance est récupérable sur la succession de l’usufruitier à son décès.
Sources :
https://www.vd-avocat.fr/nue-propriete-avocat-paris-9