Orange considère que ces propos constituent un acte de concurrence déloyale par dénigrement susceptible d’engager la responsabilité de SFR sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Elle a assigné SFR devant le tribunal de commerce de Paris. Elle demande un euro à titre de dommages et intérêts, la publication judiciaire du jugement de condamnation tant sur le site SFR que dans la presse et l’interdiction d’exprimer à l’avenir les propos reprochés, sous astreinte.
SFR oppose que l’action d’Orange relève d’une action en diffamation prévue par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 relevant de la compétence du tribunal de grande instance et, à titre subsidiaire sur le fond, de débouter Orange de ses demandes et reconventionnellement de la condamner au paiement de 40 000 € pour procédure abusive.
Le tribunal a reconnu qu’il s’agissait, ici, d’une action en dénigrement avec la motivation suivante :
« Attendu que l’article R. 211-4 du Code de l’organisation judiciaire indique que les actions civiles portant sur des faits de diffamation relèvent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance ;
Attendu que les actes de dénigrement entre concurrents figurent au nombre des comportements constitutifs d’actes de concurrence déloyale et sont éligibles aux actions en réparation par application des dispositions de l’article 1382 du Code civil ;
Attendu que les deux actions, diffamation ou dénigrement, diffèrent par l’objet auquel il est porté atteinte : tandis que la diffamation exige que l’attaque, blessant l’honneur ou la considération, soit portée contre une personne physique ou morale, en matière de dénigrement, le discrédit du concurrent est dirigé contre un produit ou un service ;
Attendu que si la diffamation ouvre droit à l’exception de vérité, la preuve de l’exactitude des propos tenus est de nature à faire échec à la qualification de diffamation, le fait pour un acteur économique de diffuser des informations péjoratives sur un concurrent, y compris en rapportant des informations exactes, est toujours constitutif d’une faute ouvrant droit à réparation du préjudice subi ;
Attendu qu’en l’espèce, Orange sollicite la condamnation de l’appréciation critique sur sa capacité à proposer des services 4G de même niveau que ceux de la société SFR ;
Attendu que selon la jurisprudence en vigueur, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle et commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l’exploite ;
Attendu que même si les propos litigieux tenus par M. R. visaient la société Orange France, ils n’avaient pour objet que de mettre en cause son organisation concernant les services liés à la 4G ;
Attendu que la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que, dès lors que les propos litigieux ne visent pas seulement la personne, mais à travers elle « la qualité des prestations fournies », les règles de concurrence déloyale trouvent à s’appliquer, et ce « dans la mesure où elles émanaient d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle » ;
Le tribunal déboutera la société SFR de sa demande de requalification de l’action et en conséquence de la nullité de l’assignation délivrée par Orange France, et jugera ainsi recevable l’action en dénigrement. »
Sur le fond, le tribunal a reconnu qu’il y avait bien un dénigrement fautif et a accordé l’euro symbolique de dommages et intérêts qui était demandé, l’interdiction sous astreinte de 10 000 € de reproduire les propos incriminés, mais a refusé la publication du jugement au motif que : « Attendu que la gravité des propos tenus et la diffusion limitée ne justifie pas la diffusion auprès d’un public plus large ;
Le tribunal en conséquence déboutera la société Orange de ses demandes de publications. »
I. Distinction avec la diffamation
Il convient de distinguer le dénigrement de la diffamation.
Est définie comme une diffamation toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne (Loi du 29-7-1881 art. 29). Ainsi, des propos critiques sur une société publiés dans un article de presse relèvent de la diffamation dès lors qu’ils visent la société elle-même et non ses services ou ses produits. L’action en diffamation est possible lorsque celle-ci a visé une personne physique ou morale. Des propos qui atteignent une profession considérée dans son ensemble ne peuvent donc pas être qualifiés de diffamatoires.
Il n’y a pas diffamation lorsque ce sont uniquement des produits ou services qui sont en cause.
Dans un cas où un article de presse s’était livré à une critique sévère de produits pharmaceutiques, il a été jugé qu’il y avait dénigrement et non diffamation. Jugé de même à propos de commentaires négatifs, publiés sur un réseau social, faisant état de l’incompétence des moniteurs d’une auto-école, d’un défaut de pédagogie et d’une recherche de profit au détriment des besoins et de l’intérêt des clients, car ces propos ne portaient pas atteinte à l’honneur ou à la considération de l’exploitant de l’auto-école, mais mettaient en cause la qualité des services proposés dans le but d’inciter une partie de la clientèle à s’en détourner (TGI Nanterre 21-11-2019 : RJDA 10/20 n° 540).
De même, des propos malveillants tenus à l’encontre du gérant d’une société dont l’activité était concurrente ont été jugés constitutifs d’un dénigrement et non d’une diffamation, car ces propos n’avaient pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par cette société et de détourner sa clientèle, au cas particulier, il avait été soutenu que le gérant d’une société exerçant une activité de prestataire de services auprès des professionnels de l’immobilier établissait de faux certificats et rapports).
II. Distinction avec la critique
Il convient également de distinguer le dénigrement de la simple critique qui relève de la liberté d’expression. Toute critique doit pouvoir être librement exprimée dès lors qu’elle ne cherche pas à nuire. De même, la critique n’est pas fautive lorsque les appréciations qui sont portées concernent un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, sous réserve d’être exprimées avec une certaine mesure.
Dans un cas où une société, dont les modèles de bijoux avaient été contrefaits, avait envoyé une lettre circulaire à ses clients, revendeurs détaillants, leur signalant la copie du modèle et, disait-elle, la distribution de celui-ci par une forme de vente pratiquée par une société concurrente « que nous réprouvons totalement dans l’intérêt de notre réseau de distribution de bijoutiers-joailliers spécialistes », il a été jugé que le fait de critiquer les méthodes commerciales d’une société concurrente ne saurait, à défaut de circonstances particulières constitutives du dénigrement, s’analyser en agissements de concurrence déloyale (CA Paris 15-6-1981 : D. 1983 IR p. 99 note C. Colombet).
Ne caractérise pas non plus un dénigrement le fait d’indiquer sur l’emballage d’un dentifrice que le produit à la propriété d’enlever les taches laissées par le café sur l’émail des dents, dès lors que l’information dont le caractère mensonger n’a pas été soulevé a été donnée en termes mesurés (Cass. com. 15-1-2002 n° 123 : RJDA 6/02 n° 709).
Jugé que n’était pas fautive la campagne de communication sur le prix des médicaments non remboursés, qui utilisait le dessin d’un verre d’eau dans lequel se dissout une pièce d’un euro à l’image d’un comprimé effervescent, accompagné du slogan « En France, le prix d’un même médicament peut varier du simple au triple : il faut changer de traitement ! ». En effet, cette campagne, exprimée en termes mesurés, visait seulement à remettre en cause le monopole des pharmaciens sans chercher à nuire à leur réputation.
En revanche, une entreprise excède les limites de la libre critique en laissant croire que les professionnels de l’immobilier en général, dont les agents immobiliers, réalisent des profits excessifs sur le dos des particuliers et usent de procédés délictueux dans l’exercice de leurs activités (CA Paris 9-12-1992 n° 90-22437 : D. 1994 som. p. 223 note Y. Serra).
Ont commis également une faute ouvrant droit à réparation l’éditeur et le directeur de la rédaction d’une revue qui ont publié un article critiquant d’une manière virulente la qualité des pneumatiques distribués par une entreprise sans aucune référence à des études sérieuses et sans que les griefs indiqués soient établis (CA Versailles 28-6-1993 : RJDA 12/93 n° 1109). De même, l’éditeur d’un guide commercial outrepasse son droit de libre critique et se rend coupable de dénigrement en mettant en cause implicitement l’honnêteté de l’exploitant d’un magasin (CA Paris 14-4-1995 : RJDA 10/95 n° 1184).
La critique exercée de façon humoristique ou caricaturale n’est pas répréhensible. Il a ainsi été jugé que n’étaient pas dénigrants les propos mettant en cause les véhicules d’une marque automobile tenus dans le cadre d’une émission satirique diffusée par une entreprise de communication audiovisuelle et qui ne pouvaient être dissociés de la caricature du président-directeur général, de sorte que ces propos relevaient de la liberté d’expression sans créer aucun risque de confusion entre la réalité et l’œuvre satirique.
Toutefois, même humoristique, la critique peut devenir fautive lorsqu’elle outrepasse certaines limites. Ainsi, était constitutive d’un dénigrement la diffusion d’un spot publicitaire destiné à promouvoir une boisson gazeuse à l’orange et sans sucre, présentant le sucre sous la forme d’un personnage ridicule et donnant du produit une image dévalorisante, dès lors qu’à travers cette image il était porté une appréciation péjorative sur le sucre et que le message contribuait à la dégradation, dans l’esprit des consommateurs, de l’image de ce produit.
III. Exactitude des allégations
Des allégations peuvent être constitutives d’un dénigrement même si l’information est de notoriété publique. Peu importe également que celle-ci soit ou non exacte. Il a ainsi été jugé que constitue un acte de dénigrement la diffusion d’une brochure critiquant le produit d’un concurrent même si le procédé de fabrication a été remis en question ultérieurement par celui-ci.
IV. Diffusion des allégations dans le public
Pour constituer un dénigrement, il faut que la critique malveillante soit diffusée dans le public. Il n’est pas nécessaire que cette diffusion présente une certaine ampleur. Par exemple, sont répréhensibles les propos tenus par un dirigeant à l’égard d’une autre société et figurant dans le rapport de gestion déposé au registre du commerce, compte tenu de la violence des termes employés et de la publicité, si réduite soit-elle, dont bénéficie ce rapport. Constitue également un dénigrement le fait d’adresser, sous couvert de demande de renseignements, des informations malveillantes à un seul client du concurrent.
En revanche, ne constitue pas un dénigrement fautif des propos diffusés dans un document à usage interne, par exemple un bulletin destiné exclusivement aux services commerciaux d’une entreprise (CA Paris 21-1-1959 n° 2635, 4e ch. : JCP G 1959 II n° 11334 note A. Chavanne) ou une lettre circulaire adressée par une entreprise à son réseau de distributeurs (CA Paris 3-7-1991 : RJDA 10/91 n° 863).
Mais il peut y avoir abus de langage : des « notes internes » peuvent en fait avoir pour objet la diffusion à l’extérieur des informations qu’elles contiennent ; elles sont alors constitutives de concurrence déloyale. Il en a été jugé ainsi dans un cas où les destinataires d’une note interne avaient été invités à en répercuter le contenu auprès de la clientèle, consigne qui avait été respectée.
En cas d’élaboration de documents commerciaux internes, il convient donc d’attirer clairement l’attention des utilisateurs sur la stricte confidentialité de ces documents.
En définitive, l’infraction de diffamation suppose l’imputation de faits précis caractérisant une atteinte à l’honneur, à la réputation d’une personne, conformément à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Quant au dénigrement, il consiste à jeter le discrédit sur un concurrent en critiquant ses produits ou sa personnalité, afin de détourner sa clientèle. Il constitue un acte de concurrence déloyale. Compte tenu de ces définitions, si des commentaires ne se réfèrent pas à une personne en particulier, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale, ils demeureront non punissables du chef de diffamation.
A cet égard, la Cour de cassation a toujours considéré que lorsque les critiques portent sur des produits ou des services sans concerner une personne, aucune action en diffamation ne peut être retenue, l’action en dénigrement pouvant, à l’inverse, être recevable (Civ. 2e, 5 juill. 2000, Bull. civ. II, n° 109 ; D. 2000. AJ. 359, obs. A. Marmontel ; 8 avr. 2004, Bull. civ. II, n° 182). La différenciation de ces deux actions est alors simple. Elle devient, par contre, plus difficile lorsque les propos sont apparemment diffamatoires et, dans le même temps, créent un dénigrement. Telle était la situation soumise à la Cour de cassation dans l’arrêt rendu par la première Chambre civile le 5 décembre 2006 (Civ. 1re, 5 déc. 2006, Bull. civ. I, n° 532 ; D. 2007. AJ. 17 ; CCC, févr. 2007, Comm. n° 54, note Malaurie-Vignal).
Sources :
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037474102?isSuggest=true