Les différentes catégories de diffamation sont prévues aux articles 30 à 32 de la loi du 29 juillet 1881. Il s’infère de ces dispositions légales différentes distinctions.
La première tient à la qualité de la victime qui relèvera d’un délit différent selon qu’il s’agit d’une personne morale de droit public (L. 29 juill. 1881, art. 30), d’un citoyen exerçant certaines fonctions d’intérêt public (L. 29 juill. 1881, art. 31), ou d’un simple particulier, catégorie résiduelle (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 1er).
Il existe également des distinctions, au sein même de la catégorie des particuliers, selon l’objet de l’atteinte à l’honneur et à la considération, qui a conduit le législateur a édicté des délits particuliers lorsque la diffamation a un caractère raciste ou antisémite (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 2) ou un caractère sexiste ou homophobe (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 3), ces deux dernières catégories étant traitées ci-après. Les diffamations sont de loin les infractions à la loi sur la presse les plus fréquentes, et même si aucune statistique officielle n’est à notre connaissance disponible, il est vraisemblable qu’elles constituent au moins les trois quarts du contentieux lié à l’application de la loi du 29 juillet 1881.
La question de la juridiction compétente est aussi importante pour réprimer cette infraction, notamment lorsqu’elle est commise entre agent d’État ou fonctionnaires.
Pour le Conseil d’État, en matière de fonction publique, les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour connaître des litiges portant sur les actes qui présentent un caractère réglementaire, ainsi que sur certains actes individuels ou collectifs.
C’est ce qu’a estimé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 16 septembre 2021 estimant que les faits reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et ne sont pas détachables d’elles, d’autant que les propos n’ont pas été exprimés dans un cadre privé. Il s’agit bien d’un litige entre fonctionnaires dans le cadre de leurs travaux et l’ordre administratif est donc seul compétent.
Un directeur de recherche au CNRS avait fait citer devant le tribunal de police de Paris dix collègues chercheurs pour diffamation non publique, leur reprochant l’envoi d’un email à plusieurs membres de la section XVI du Conseil national des universités dans lequel ils l’accusaient notamment d’utiliser sa figure d’autorité pour se moquer de la clinique freudienne et d’avoir adopté des « comportements anétiques et anti-déontologiques ».
I. La notion de diffamation
A. Les éléments constitutifs du délit de diffamation publique
A l’origine, le Code pénal de 1810 incriminait, en son article 367, la « calomnie » définie comme « l’imputation à un individu de faits qui s’ils existaient, exposeraient celui contre lequel ils sont articulés à des poursuites criminelles ou correctionnelles ou même l’exposerait seulement au mépris ou à la haine des citoyens ».
La loi du 17 mai 1819 a substitué à l’incrimination de calomnie celle de diffamation. La loi n’interdit pas seulement la calomnie (imputation de faits que l’on sait faux), mais aussi toute médisance (imputation de faits que l’on sait vrais) portant atteinte à l’honneur ou à la considération.
L’article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881 dispose :
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».
La publicité du délit implique que les écrits ou propos incriminés soient rendus publics par l’un des procédés et moyens énumérés par l’article 23 de la loi de 1881 :
« Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférées dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposées au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique auront directement... ».
Le délit de diffamation publique implique donc, outre la publicité, les éléments légaux suivants dont la réunion, caractérise l’élément matériel :
— une allégation ou une imputation ;
— d’un fait précis ;
— portant atteinte à l’honneur ou à la considération ;
— d’une personne identifiée ou identifiable ;
et un élément intentionnel qui, par exception aux principes généraux du droit pénal, est présumé en matière de diffamation.
La constatation de l’existence de ces éléments permet de qualifier le délit de diffamation publique.
La Cour de cassation exerce son contrôle afin de vérifier que, dans les propos retenus dans la prévention, se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique tels qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et tels qu’ils se dégagent des écrits incriminés. Ce contrôle s’étend à la portée et à l’interprétation des textes incriminés.
B. Les différentes diffamations
La loi du 29 juillet 1881 distingue la diffamation à l’égard des particuliers, qui est caractérisée par la réunion des seuls éléments matériel et intentionnel ci-dessus indiqués et qui représente le « droit commun » de la diffamation (art. 32 al. 1).
Au sein de cette catégorie de diffamation, on distingue aussi deux autres types de diffamation. Tout d’abord, lorsque la victime est diffamée à raison de sa race, de sa religion, de son origine ou de son ethnie (article 32, alinéa 2) et ensuite lorsque la victime est mise en cause en raison de son orientation sexuelle, de son sexe ou de son handicap (article 32, alinéa 3º.
Il existe aussi des diffamations spéciales définies en considération de la qualité de la victime ou du contenu des propos diffamatoires :
— diffamations envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques (art. 30) ;
— diffamations envers la représentation nationale, les fonctionnaires, dépositaires ou agents de l’autorité publique et les citoyens chargés d’un service ou d’un mandat public (art. 31) ;
II. La diffamation entre agent d’État ou fonctionnaire
A. La diffamation doit être intervenue dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et pas exprimée dans un cadre privé
« La Cour de cassation rappelle régulièrement que les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents et que, d’autre part, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ».
Faisant ainsi application de ces principes, la Cour n’identifiait pas en l’espèce de faute qui aurait été personnelle et détachable, c’est-à-dire une faute qui aurait consommé sa compétence matérielle au titre de l’action civile : « En l’espèce, les prévenus sont tous professeurs d’université ou maîtres de conférences. Les faits qui leur sont reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au CNU ainsi que le précise la citation. La partie civile fait également mention de son appartenance au CNU. Les infractions reprochées aux prévenus ne sont donc pas détachables de leurs fonctions. Les propos litigieux n’ont pas été tenus dans un cadre privé qui ne touchait pas du tout à l’exercice de leur travail ainsi que ra retenu le premier juge ».
En effet, en matière de délit de presse (diffamation ou injure publique par exemple), l’article 46 de la loi du 29 juillet 1881 interfère avec les dispositions de l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III (article unique) : « L’action civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 ne pourra, sauf dans les cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie séparément de l’action publique ». Cet article a donc justement pour effet d’attribuer au Juge judiciaire pénal le contentieux de la réparation indemnitaire des délits de diffamation publique ou d’injure publique commis contre des fonctionnaires ou des personnes chargées d’un mandat public.
Le conflit de normes (article 46 L. 1881 versus article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III) ne survient que lorsque la victime et l’auteur d’une diffamation envers un fonctionnaire ou un élu seront tous deux des agents publics (exemple : un maire diffamé par l’un de ses agents).
Dans cette hypothèse, l’article 46 exige à peine d’irrecevabilité que la victime saisisse le Juge judiciaire pénal pour toutes diffamations de cette nature (sauf exception intrinsèques à ce texte), alors que l’article 13 de la loi des 16-24 août et son décret de l’An III ne l’autorisent pas si la diffamation concernée n’est pas détachable des fonctions de son auteur.
B. Compétence juridictionnelle
« L’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit de peines particulières les diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu’il énonce que lorsque ces diffamations, qui doivent s’apprécier non d’après le mobile qui les ont inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais d’après la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction, ou encore que la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son support nécessaire. »
Il ne suffit pas qu’une personne relève de la catégorie de l’article 31. Encore faut-il que la diffamation la vise en cette qualité. Si la diffamation est étrangère aux fonctions, la personne concernée est considérée comme un simple particulier et doit agir sur le terrain de l’article 32, alinéa 1, et ce, même si sa fonction est mentionnée dans les propos incriminés.
Les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, les juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences attribuées au Conseil d’État, aux cours administratives d’appel, à la cour administrative de Paris et à celle de Nantes, mais aussi sous réserve des compétences attribuées aux juridictions administratives spécialisées statuant en matière de finances publiques, de discipline, de droit des étrangers, de stationnement payant, sans oublier les réserves de compétences attribuées au juge des libertés et de la détention, au tribunal de grande instance, au conseil de prud’hommes, ou à la cour d’appel de Paris.
Au sein de la juridiction administrative, les tribunaux administratifs sont les juges de droit commun du contentieux administratif en premier ressort, sous réserve de compétences attribuées « aux autres juridictions administratives ». Il faut donc déterminer des règles de répartition des compétences au sein de l’ordre juridictionnel administratif. Cette nouvelle règle de compétence ne suffit pas toujours à déterminer le juge compétent pour trouver la solution juridictionnelle qu’appelle le litige et une troisième règle de compétence doit alors déterminer, dans la catégorie visée, le juge territorialement ou matériellement compétent. Et il y a finalement parfois une quatrième règle, invisible du justiciable, pour, à l’intérieur de la juridiction compétente, attribuer le litige à telle ou telle chambre spécialisée.
Pour le Conseil d’État, en matière de fonction publique, les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour connaître des litiges portant sur les actes qui présentent un caractère réglementaire, ainsi que sur certains actes individuels ou collectifs.
Sources :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006449875/2021-11-23/?isSuggest=true
Article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881
Article 31 de la loi du 29 juillet 1881