DONATION DEGUISEE EN FAVEUR DE L'EPOUSE

Publié le 26/04/2022 Vu 1 652 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

Lorsque le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement constitue une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, cette donation est soumise au rapport.

Lorsque le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement constitue une donation déguisé

DONATION DEGUISEE EN FAVEUR DE L'EPOUSE

Un défunt laisse pour lui succéder le 27 juin 2013 son épouse et ses deux enfants issus d'un précédent mariage. Par acte du 2 mai 2013 contenant un pacte tontinier, il avait acquis un appartement avec son épouse. Des difficultés surviennent lors des opérations de partage de la succession.

L'arrêt d'appel (CA Colmar, 19 déc. 2019) ordonne le rapport à la succession de la donation déguisée au profit de l'épouse, constituée par le pacte tontinier compris dans l'acte d'achat de l'appartement.

La Cour de cassation approuve la cour d'appel.

Selon l'article 758-6 du Code civil, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1.

Aussi, il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l'article 758-6. La cour d'appel ayant retenu que le pacte tontinier compris dans l'acte d'achat de l'appartement constituait une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, il s'ensuit que cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l'article 758-6 du Code civil.

 

I.              Conditions de la donation déguisée

 

A.  Condition de fond

La donation déguisée doit respecter les conditions de fond issues du droit commun des donations entre vifs.

En particulier, la donation déguisée est nulle si elle est consentie au profit d’une personne frappée d’une incapacité de recevoir (Code civil, article 911). Ainsi jugé à propos d’une donation déguisée consentie par une malade à son ami médecin qui la soignait.

La nullité sanctionnant la violation d’une incapacité spéciale de recevoir privant la personne visée du droit de bénéficier d’une libéralité, ne s’applique pas à la donation faite à un mineur non émancipé, capable de recevoir au sens de l’article 902 du Code civil, et qui n’est atteint que d’une simple incapacité générale d’exercice de ses droits.

 

B.   Conditions de forme

La donation déguisée doit respecter les conditions de forme propres à l’acte à titre onéreux dont la libéralité emprunte l’apparence, tel qu’une vente ou un prêt. Par exemple, la cession d’un terrain à une municipalité pour le prix d’un franc, sous le couvert d’une vente, constitue une donation déguisée valable, dès lors que l’acte qui la constate respecte les conditions de forme requises pour la vente.

Si l’acte simulé est un prêt, l’article 1376 du Code civil devra être respecté. Ce texte, applicable à tout engagement unilatéral de payer une somme d’argent, conduit à imposer à l’emprunteur l’écriture d’une mention de la somme empruntée en lettres et en chiffres.

 

II.            La dissimulation

La jurisprudence exige une véritable dissimulation de la donation : l’acte ne doit pas révéler l’intention libérale du donateur (Cass. req. 7-1-1862 : DP 1862 I p. 188). La qualité de la dissimulation constitue en quelque sorte un formalisme de substitution.

Par exemple, dans le cas d’une donation dissimulée par une reconnaissance de dette, l’acte ne doit pas révéler que la dette n’existe pas. L’intention libérale peut en revanche être révélée dans un acte distinct de la reconnaissance de dette.

La jurisprudence a néanmoins reconnu la validité d’une donation déguisée sous forme de vente d’un immeuble à une commune, au prix symbolique d’un franc.

 

-       VENTE SIMULÉE

C’est l’une des donations déguisées les plus fréquentes. Le principe est simple : les parties stipulent un prix de vente réaliste - si le prix est sous-évalué, il s’agira alors d’une donation indirecte et non d’une donation déguisée - mais conviennent en secret qu’il ne sera jamais payé, ou qu’il sera remboursé de manière occulte à l’acheteur par le vendeur. 

La question n’est pas aussi tranchée lorsque la vente est réalisée pour un prix modique. La doctrine majoritaire reconnaît l’existence d’une donation indirecte à chaque fois que l’acte à titre onéreux est déséquilibré en faveur de l’une des parties, sous réserve de caractériser l’intention libérale.

 La sincérité de l’acte apparent ne se discute pas. À défaut de simulation, on ne peut y voir une donation déguisée.

La jurisprudence dominante retient la qualification de donation indirecte, sans écarter de manière systématique celle de donation déguisée.

 

-       DETTE FICTIVE

Autre donation déguisée très usitée : la fausse reconnaissance de dette, par laquelle un individu se reconnaît être débiteur d’une créance qui n’existe pas. On peut rapprocher de cette donation le cautionnement fictif, par lequel le donateur se porte caution du débiteur insolvable du donataire offrant à ce dernier un droit de poursuite à son égard.

Il est également possible de générer une créance du donateur par le truchement d’un litige imaginaire, qui permettra ainsi l’indemnisation du donataire.

 

-       CONTRAT DE SOCIÉTÉ

Le recours à ce contrat peut aussi être un prétexte à de nombreuses donations déguisées, en particulier par le biais d’apports fictifs du donataire, supportés en réalité par le donateur.

 

III.         Preuve de la donation déguisée

 

A.  Objet de la preuve

La preuve d’une donation déguisée est dédoublée. Il convient en effet de démontrer deux éléments : à la fois le déguisement de l’acte et l’intention libérale de l’une des parties. Ni l’un ni l’autre ne se présument sauf le cas particulier de la présomption de gratuité (Code civil, article 18).

Ils doivent donc être établis par celui qui les allègue. La jurisprudence demeure invariable sur ce point.

Le déguisement ne se présume jamais, il faut le prouver. Par exemple, n’a pas été jugée suffisante pour établir l’existence d’une donation déguisée la mention dans un acte de vente notarié que le paiement du prix était intervenu « hors la comptabilité du notaire ». Il incombe au requérant de démontrer l’absence du paiement effectif.

L’intention libérale ne se présume pas non plus. La Cour de cassation est intransigeante sur ce point.

Par exemple, dans une affaire où des parents ont cédé divers immeubles à des SCI détenues par leurs fils et petit-fils alors que seule une partie du prix a été réglée, une cour d’appel a été censurée pour en avoir déduit que les ventes étaient des donations déguisées, sans rechercher si les vendeurs avaient agi dans une intention libérale.

De la même façon, l’usage du bien pendant 32 ans par une mère, en contrepartie de sa participation financière à l’acquisition dudit bien par son fils, exclut toute intention libérale de sa part à l’égard de son enfant.

 

B.   Effet de la preuve

Les donations déguisées sont nombreuses. Tantôt elles obéissent au désir de se soustraire aux règles civiles du rapport et de la réduction, tantôt (plus souvent, semble-t-il) à celui d’échapper à l’impôt de donation qui est particulièrement lourd en ligne collatérale et entre étrangers. On ne compte plus les donations déguisées qui font l’objet d’un avis du Comité de l’abus de droit fiscal.

Ces actes sont pain béni pour l’Administration, car l’importance des droits éludés et les pénalités font que la plus petite donation déguisée lui rapporte un impôt qui dépasse la valeur du bien (droits principaux au taux de 60 % et pénalités de 80 % des droits, soit au total 108 % de la valeur du bien !).

En effet, l’Administration considère – à juste titre – que les donations déguisées sont constitutives d’un abus de droit (LPF, art. L. 64).

La preuve a ici plus que jamais des conséquences décisives. En effet, tant que la donation déguisée n’est pas prouvée, c’est le régime juridique de l’acte onéreux dont la donation emprunte l’apparence qui s’applique (vente, prêt, etc.).

Mais dès lors que la libéralité déguisée est démontrée, c’est le régime juridique et fiscal des donations qui s’applique dans son ensemble. En particulier, l’acte sera dès lors soumis au rapport dans la succession du donateur, puisque la jurisprudence a précisé que le déguisement ne constitue pas en lui-même une dispense de rapport.

 

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045009772?init=true&page=1&query=20-12.232&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006993492?init=true&page=1&query=74-11.061&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007084047?init=true&page=1&query=86-10.567&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007090390?init=true&page=1&query=88-12.754&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006969011?init=true&page=1&query=63-11.451&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007009071?init=true&page=1&query=80-15.294+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007006048?init=true&page=1&query=79-11.378&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006972052?init=true&page=1&query=64-10.101+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007006048?init=true&page=1&query=79-11.378+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000030325961?init=true&page=1&query=13-27.701+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006996149?init=true&page=1&query=74-12.883&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038797626?init=true&page=1&query=18-19.415+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000034216310?init=true&page=1&query=15-29.273&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000017828574?init=true&page=1&query=05-21.011+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007033081?init=true&page=1&query=93-11.412&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000020383830?init=true&page=1&query=07-20.132&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028643373?init=true&page=1&query=12-35.311+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028759481?init=true&page=1&query=13-14.795+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042464483?init=true&page=1&query=19-13.770+&searchField=ALL&tab_selection=all

 

Vous avez une question ?
Blog de Murielle Cahen

Murielle CAHEN

150 € TTC

7 évaluations positives

Note : (5/5)

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.