LA DONATION AU DERNIER VIVANT

Publié le 04/11/2020 Vu 5 282 fois 0
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Il s’agit d’un acte de donation par lequel l’instituant promet à son conjoint, l’institué, de lui laisser à sa mort tout ou partie de sa succession

Il s’agit d’un acte de donation par lequel l’instituant promet à son conjoint, l’institué, de lui la

LA DONATION AU DERNIER VIVANT

La promesse porte aussi bien sur des biens actuels dont la propriété se trouve immédiatement transférée (un fonds de commerce ou de clientèle, des titres de société, etc.) que des biens à venir (dividendes futurs, etc.) au décès de l’instituant.

Parce qu’elle permet de disposer de biens à venir, la donation au dernier vivant est un des rares cas de pacte sur succession future, avec la donation - partage, légalement institué et autorisé par la loi par exception à la règle commune de l’interdiction des pactes sur succession future édictée par l’article 1130 du Code civil, devenu l’article 1163.

Les donations interviennent au cours du mariage et portent sur des biens à venir. Elles sont révocables ad nutum. Les donations entre époux de biens présents, plus rares, ne sont plus révocables ad nutum depuis la réforme du 3 décembre 2001, à condition qu’elles aient pris effet pendant le mariage. Certaines remises d’argent entre époux sont des donations rémunératoires, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas des donations et échappent à la réglementation particulière.

Le conjoint survivant bénéficie d’une quotité disponible spéciale, notamment le quart en propriété et l’usufruit du surplus. La réserve des descendants est protégée. La réduction des donations à cause de mort s’exécute comme celle des testaments. Le conjoint survivant peut cantonner le bénéfice de la donation entre époux sans qu’il en résulte une libéralité au profit des bénéficiaires.

 

 

I)             Formation des donations entre époux

 

A)   Règles de fond

Capacité de disposer à titre gratuit – Le mariage emportant l’émancipation des mineurs, tout conjoint, quel que soit son âge est capable de tous les actes de la vie civile. Le Code civil dispose que, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. Par suite, toute libéralité pourra être annulée si la preuve est faite que le disposant souffrait d’un trouble mental au moment de l’acte (Code civil article 414-1 et 414-2).

Personnes protégées – Toutefois, si la personne vulnérable est placée sous un régime de protection, il se peut qu’elle conserve une certaine capacité de disposer à titre gratuit. La personne en tutelle peut, avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations (Code civil, article 476). Le majeur en curatelle ne peut faire de donation qu’avec l’assistance du curateur (Code civil, article 470). Mais si le tuteur ou le curateur est le conjoint donataire, il faut que la libéralité soit faite avec l’assistance ou la représentation d’un subrogé curateur, d’un subrogé tuteur, d’un curateur ou d’un tuteur ad hoc (Code civil, article 454, article 455 et article 470, al. 3). En outre, les donations faites moins de deux ans avant la publicité de la mesure de protection peuvent être réduites ou annulées sous certaines conditions (C. civ., art. 464). La capacité d’un époux peut être affectée par un mandat de protection future ayant pris effet ou une habilitation familiale (Code civil, article 477 à 494-12).

Donations de biens à venir – Les donations de biens à venir ne prenant effet qu’au décès du donateur s’apparentent aux dispositions testamentaires. On en a déduit qu’elles étaient soumises aux mêmes conditions de capacité que les legs. D’où il suit que l’époux en curatelle peut gratifier son conjoint en biens à venir sans l’assistance du curateur (Code civil, article 470) et que l’époux en tutelle peut faire de même sans recourir au tuteur, seule étant requise l’autorisation préalable du juge ou du conseil de famille (Code civil, article 476).

Donations entre époux de biens présents ou de biens à venir – Les premières portent sur des biens déterminés et prennent effet immédiatement. Les secondes peuvent porter sur tout ou partie du patrimoine, mais ne prennent effet qu’au décès du disposant.

Cette distinction a posé un problème de qualification lorsqu’une donation faite avec réserve d’usufruit contient une clause de réversibilité de l’usufruit au profit du conjoint survivant. La jurisprudence est fixée pour voir dans cette opération une donation à terme de biens présents (Cour de cassation, chambre mixte, 8 juin 2007, n° 05-10.727).

Achat pour autrui – Quand un conjoint achète un bien avec des deniers donnés par l’autre époux, l’article 1099-1 du Code civil dispose « la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés ». Peu importe que la donation de deniers soit authentique ou qu’elle résulte d’une libéralité non authentique (don manuel, donation indirecte ou déguisée). Il suffit que l’argent ait été fourni par l’époux donateur pour financer l’achat de son conjoint. Cette règle garantit à l’époux acquéreur qu’il conservera la propriété de la chose, alors même que la donation serait annulée, car la restitution serait alors des deniers et non de la chose. Lorsqu’il y a lieu à restitution de deniers, l’évaluation est faite suivant le principe de la dette de valeur (Code civil, article 1099-1).

Les restitutions sont réglementées par les articles 1352 à 1352-9 du Code civil issus de la réforme du droit des contrats (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016).

 Causes diverses de remise d’argent – Outre une donation, il peut s’agir d’un prêt, d’un dépôt, d’un remboursement, d’une contribution aux charges du mariage, etc. Il n’est donc pas rare qu’un litige tenant à la cause s’élève sur la nature de l’opération. C’est au juge qu’il appartiendra de la qualifier, sachant que la cause se prouve par tous moyens.

La jurisprudence a fait droit à ces demandes, notamment quand elles émanent de femmes séparées de biens qui ont renoncé à toute activité professionnelle propre au bénéfice de leur foyer. Mais la Cour de cassation veille à ce que les juges du fond vérifient le dépassement par le conjoint demandeur de sa contribution aux charges du mariage, tout en leur laissant un pouvoir souverain dans l’appréciation des preuves alléguées. Il en ressort que les juges n’ont pas à comparer la valeur des services rendus (appauvrissement) et de leur rémunération (enrichissement) dès lors qu’ils relèvent que le prétendu donateur avait l’intention réelle ou supposée de rétribuer les sacrifices du conjoint.

Si les époux sont d’accord, il leur est possible à un moment quelconque du mariage de constater dans un acte l’existence de la créance dont le montant peut être réglé et quittancé ou faire l’objet d’une dation en paiement. Si la créance apparaît excessive, elle pourrait être réduite.

 

B)   Forme

Validité des donations entre époux et forme – La question se pose pour les donations de biens présents qui portent sur des biens déterminés. À côté des donations ostensibles qui doivent être accomplies par acte authentique, les trois modèles de donations non authentiques bénéficient d’une validité de principe : les dons manuels, les donations indirectes et les donations déguisées. Nul n’a contesté que les deux premières formes pouvaient se pratiquer entre époux. Au contraire, les articles 1099, alinéa 2, et 1100 du Code civil ont frappé de nullité absolue les donations déguisées ou par personne interposée. Ces deux textes furent abrogés, le premier par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2005, le second par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002. Aucune disposition transitoire ne précisait si l’abrogation s’appliquait aux donations déguisées existantes ou seulement aux donations postérieures à l’entrée en vigueur de la loi. Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, il convient de considérer distinctement les donations antérieures et postérieures au 1er janvier 2005.

Donations déguisées antérieures au 1er janvier 2005 – Il a été jugé que la nullité édictée par l’ancien article 1099, alinéa 2, était applicable à ces donations (Cour de cassation, 1re chambre civile du 9 décembre 2009). Toutefois, la Cour de cassation a jugé que des donations antérieures à la loi ne pouvaient plus être annulées pour interposition de personnes (Cour de cassation, 1re chambre civile du 28 mai 2014, n° 13-16.340).

Le domaine de la prohibition qui frappe les personnes déjà mariées a été étendu en jurisprudence aux donations réalisées en prévision du mariage. La nullité est encourue par toutes les donations déguisées ou faites par personnes interposées, quelle que soit la forme du déguisement (une exception résultant de l’article 1832 du Code civil en matière de société). On sait qu’en vertu de l’article 1099-1 du Code civil, la restitution porte alors sur les fonds et non sur le bien acquis. La mise en œuvre de la prohibition met à la charge de celui qui l’invoque la charge de prouver le déguisement ou l’interposition de personne. Seul le donateur (ou ses créanciers) et ses héritiers réservataires peuvent engager l’action en nullité, à l’exception des autres héritiers et des légataires. La jurisprudence interprète l’article 1099, aliéna 2, comme établissant une nullité absolue. Le délai pour agir est de cinq ans (C. civ., art. 2224).

La nullité absolue ne peut pas être couverte par un acte de renonciation ; mais la jurisprudence admet que les époux en instance de divorce puissent par leur accord consolider les donations déguisées faites entre eux afin de les soustraire pour l’avenir au risque de nullité.

 Donations postérieures au 1er janvier 2005 – Les donations déguisées ou par personne interposée sont valables au même titre que les dons manuels ou les donations indirectes. Soumises au droit commun, elles sont sujettes à révocation judiciaire dans les cas prévus aux articles 953 à 958 du Code civil. Elles sont également sujettes à l’imputation sur les droits du conjoint survivant et à la réduction. Celui qui s’en prévaut devra prouver le déguisement puisque l’acte concerné n’a pas l’apparence d’une donation. Cette preuve doit se faire par écrit si l’affaire oppose les deux époux, tandis que les héritiers réservataires du donateur prétendu peuvent la rapporter par tous moyens. Il en va de même en cas de fraude alléguée par le fisc.

 

II)          Protection des descendants ou héritiers réservataires

 

A)   Protection des héritiers réservataires

La réserve héréditaire (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 juillet 2018, 17-16.515 17-16.522) est une fraction de la succession dont la loi organise impérativement la dévolution au profit des héritiers qui en sont les bénéficiaires : elle consiste en une limite à la liberté de disposition à titre gratuit du de cujus. En présence de réservataires, la succession se divise ainsi en deux fractions distinctes : la réserve héréditaire dont la loi interdit de disposer à leur préjudice et la quotité disponible dont il peut être librement disposé au profit de quiconque par voie de libéralités (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 3 novembre 2011, 10-21.760).

L’article 912 du Code civil dispose ainsi que : « La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.

La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ». Ainsi conçue, la réserve héréditaire remplit une double fonction de protection de la proche famille contre les libéralités que le de cujus peut vouloir faire à des étrangers au premier cercle familial et de protection individuelle de ses bénéficiaires entre lesquels elle garantit le respect d’une égalité successorale minimale (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 janvier 2015, 13-24.921).

Des mesures spécifiques protègent les descendants contre les libéralités effectuées au profit du conjoint survivant.

D’abord, le Code civil permet aux enfants non communs, si la libéralité au profit du conjoint est faite en pleine propriété, de substituer à l’exécution de cette libéralité l’abandon de l’usufruit de la part de succession qu’ils auraient recueillie en l’absence de conjoint survivant (Code civil, art. 1098). Recevant alors des droits en nue-propriété dans la succession de leur auteur, ils deviendront pleins propriétaires au décès du conjoint survivant usufruitier. N’étant pas d’ordre public, ce droit à réclamer un usufruit forcé du conjoint peut être écarté par la volonté contraire du disposant. Une telle stipulation permettra d’éviter un démembrement de propriété entre le conjoint et les enfants du lit précédent.

Indépendamment de cette mesure spécifique, les enfants peuvent demander dans les conditions de droit commun la réduction des libéralités faites au conjoint et qui empiéteraient sur leur réserve, sauf à ce qu’ils aient renoncé par avance à l’exercice de l’action en réduction.

 

B)    Une solution alternative : le testament

Contrairement à la donation au dernier vivant, le testament (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 juin 2014, 13-18.383) n’est pas spécifiquement destiné à la protection du conjoint, et peut d’ailleurs être utilisé aux fins d’exhérédation du conjoint soit partiellement si le conjoint est réservataire, soit totalement dans le cas contraire.

Cependant, pour celui qui souhaite avantager son conjoint, les deux actes peuvent remplir le même objet et produisent les mêmes effets :

-  le maximum qui peut être laissé au conjoint reste la quotité disponible spéciale entre époux, avec les mêmes options et la même faculté de cantonnement pour le conjoint survivant ;

-  si l’époux a fait de nombreuses donations de son vivant, le risque de réduction pour atteinte à la réserve est le même, puisque les règles d’imputation et de réduction sont dans les deux cas celles des dispositions testamentaires ;

-  la date d’effet de la donation au dernier vivant est celle du décès de son auteur, comme celle du legs fait par testament ;

-  la révocation de l’acte est possible dans les deux cas jusqu’à la mort de son auteur.

Il n’y a donc pas de raison particulière de privilégier l’un des actes par rapport à l’autre. Tout au plus peut-on observer que la pratique notariale conseille aux époux de faire une donation au dernier vivant, acte obligatoirement notarié et qui est généralement établi de façon réciproque entre les conjoints.

 

 

 

SOURCES :

·       https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000017894734&fastReqId=1178401154&fastPos=1

·       https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036742107&fastReqId=1904843150&fastPos=1

·       https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037196676&fastReqId=603299099&fastPos=1

 

·       https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000024761824&fastReqId=901556878&fastPos=1

·       https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030113962&fastReqId=2139703508&fastPos=1

·       https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029080607&fastReqId=116834989&fastPos=1

 

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