Le droit de la preuve peut autoriser la présentation d’information qui sont normalement soumises à la protection du secret des affaires.

Publié le 21/03/2025 Vu 1 639 fois 0
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À l'ère de la mondialisation et de la numérisation, l'économie moderne se trouve constamment sous pression en raison d'une concurrence accrue sur tous les marchés

À l'ère de la mondialisation et de la numérisation, l'économie moderne se trouve constamment sous pression

Le droit de la preuve peut autoriser la présentation d’information qui sont normalement soumises à la protection du secret des affaires.

Les entreprises, qu'elles soient multinationales ou start-ups innovantes, doivent non seulement exceller dans la création de produits et services de qualité, mais également faire face à des défis complexes liés à la protection de leurs actifs les plus précieux : leurs informations sensibles. Ces données, qui englobent des secrets commerciaux variés tels que des stratégies de marché, des procédés de fabrication, ou encore des bases de données clients, sont essentielles à la survie et à la prospérité des entreprises.

La divulgation non contrôlée de ces informations pourrait non seulement nuire à leur position concurrentielle, mais également altérer la confiance qu’elles entretiennent avec leurs partenaires, clients et employés. Dès lors, la protection des secrets des affaires apparaît comme une nécessité incontournable pour garantir la pérennité des entreprises.

Ce besoin de sauvegarde est d'autant plus pressant dans un monde où les cyberattaques, le vol de propriété intellectuelle et la fuite d'informations sont en nette augmentation.

Pourtant, cette préservation des informations sensibles soulève un dilemme juridique majeur : la sauvegarde du secret des affaires peut parfois être en conflit avec le droit à la preuve, élément clé du processus judiciaire et garant du respect des règles de procédure équitable. En effet, lorsqu'une entreprise se retrouve confrontée à un litige, il lui est souvent nécessaire d’invoquer des preuves pour soutenir sa position. Or, ces preuves peuvent inclure des informations qui relèvent du secret des affaires.

Cette situation met en lumière un besoin urgent de trouver un équilibre entre deux principes souvent considérés comme antagoniques : la protection des informations confidentielles et le droit à un procès juste. À cet égard, la jurisprudence récente, notamment l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 février 2025 (pourvoi n° 23-10.953), offre un éclairage précieux sur les circonstances et les conditions dans lesquelles le droit à la preuve peut justifier la levée du secret des affaires. Ce jugement, en s'appuyant sur l'article L. 151-8, 3° du Code de commerce, établit des principes directeurs en matière de divulgation des secrets et indique que ces derniers ne peuvent être opposés lorsque leur obtention ou divulgation est justifiée par un intérêt légitime reconnu par la loi. Cela peut inclure, par exemple, des cas de concurrence déloyale où la protection de certains secrets pourrait entraver la recherche de vérité devant les tribunaux. Ainsi, la question se pose de savoir comment les tribunaux peuvent naviguer dans ce paysage juridique complexe. Les juges se doivent d'évaluer avec minutie si la nécessité de produire une preuve l’emporte sur la protection de secrets économiques vitaux. Cette tension appelant une analyse spécifique et rigoureuse, il revient également aux juridictions de garder à l'esprit que le droit à la preuve ne doit pas conduire à des atteintes disproportionnées à la confidentialité des informations sensibles. Par conséquent, chaque affaire révèle ses propres caractéristiques, rendant impérative une approche adaptée et respectueuse des intérêts en jeu. Les enjeux soulevés par cette dualité transcendent le cadre juridique et invitent à une réflexion philosophique plus large.

Les entreprises doivent, dans leur quête de protection de leurs informations, non seulement se conformer aux lois en vigueur, mais également intégrer une dimension éthique dans leur gestion des données. Par ailleurs, les juges, en tant que garants du droit, doivent prendre des décisions qui préservent l’intégrité du système judiciaire tout en protégeant les droits des parties impliquées.

Ainsi, l'exploration des implications de l'arrêt de la Cour de cassation précité nous mentira sur l'importance cruciale d'un équilibre soigneusement pesé entre le droit à la preuve et la préservation des secrets des affaires.

 

I. Fondements Historiques et Philosophiques

A. Genèse du Secret des Affaires : De l’Artisanat Médiéval à l’Industrie

1. Les Corporations Médiévales

Les statuts des guildes, comme ceux des drapiers de Paris en 1268, imposaient le secret sous peine d’exclusion. Le savoir-faire, appelé "mystery" en anglais, était transmis oralement pour éviter la divulgation. Par exemple, les verriers de Murano à Venise, confinés sur une île au XVe siècle pour protéger leurs techniques, illustrent l’ancêtre du secret industriel.

 

2. L’Ère Industrielle et la Naissance des Brevets

Le Statute of Monopolies anglais de 1623 marque un tournant en reconnaissant les brevets tout en laissant le secret comme alternative pour les innovations non brevetables. Un cas emblématique est celui de la recette secrète du Coca-Cola, jamais brevetée pour éviter la divulgation, et qui reste protégée depuis 137 ans.

 

3. L’Influence des Révolutions Technologiques

Au XXe siècle, les procès sur les secrets industriels, comme celui de DuPont contre Rolfe Christopher en 1970 concernant la photographie aérienne d’usines, posent les bases du droit moderne.

 

B. Le Droit à la Preuve : Une Garantie de l’Équité Processuelle

1. Des Origines Romaines à la CEDH

Le principe "actori incumbit probatio", issu du droit romain, structure les systèmes juridiques occidentaux. La CEDH, dans l’affaire Dombo Beheer contre Pays-Bas en 1993, érige le droit à la preuve en composante du procès équitable.

 

2. La Philosophie sous-jacente

Pour Jürgen Habermas, dans sa "Théorie de l’agir communicationnel", la transparence judiciaire est un pilier de la démocratie délibérative. À l’inverse, Friedrich Hayek, dans "Droit, Législation et Liberté", souligne les risques d’une intrusion excessive de l’État dans les affaires privées.

 

II. Cadre Juridique Actuel : Droit Comparé et Harmonisation

A. Le Modèle Français : Un Équilibre Téléologique

1. L’Article L. 151-8 du Code de Commerce

L’article L. 151-8 du Code de commerce dispose que le secret des affaires n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est nécessaire pour exercer un droit à réparation ou protéger un intérêt légitime.

-         La Cour de cassation, dans son arrêt du 5 février 2025 a partiellement annulé un arrêt de la cour d’appel de Paris dans un litige opposant des franchisés de pizzas. La Cour a confirmé que le guide d’évaluation des points de vente de Domino's Pizza, marqué "confidentiel", était protégé par le secret des affaires, mais a cassé la condamnation à 30 000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral, estimant que la cour d’appel n’avait pas vérifié si la production de la pièce était strictement proportionnée et indispensable à la défense d’un intérêt légitime. (1)

 

-         L'arrêt du 23 novembre 2022 de la cour d'appel de Paris concerne une affaire de concurrence déloyale entre la société Agora, franchisée de Speed Rabbit Pizza, et la société Domino's Pizza France. Agora a reproché à Domino's et à sa filiale DPFC des pratiques déloyales, tandis que Domino's a demandé des dommages et intérêts pour violation de son secret des affaires. La cour a jugé que le guide d'évaluation des points de vente, produit par Domino's, était protégé par le secret des affaires. Cependant, elle a également condamné Agora et SRP à verser 30 000 euros à Domino's pour préjudice moral. La Cour de cassation a ensuite annulé cette condamnation, estimant que la cour d'appel n'avait pas suffisamment examiné si la production du document était justifiée par un intérêt légitime et si l'atteinte au secret des affaires était proportionnée.

 

2. Les Mesures Protectrices Innovantes

Des mesures comme les "Confidentiality Clubs", inspirés du droit anglo-saxon, permettent de limiter l’accès aux informations sensibles à un nombre restreint de personnes, comme dans l’affaire Safran contre Airbus. Les ordonnances de scellement, utilisées dans les litiges spatiaux comme Thales contre SpaceX, protègent les données après l’audience.

 

B. Le Modèle Américain : Primauté du Trade Secret Act

1. Le Defend Trade Secrets Act (DTSA, 2016) Le DTSA permet des saisies ex parte de preuves en cas de risque de destruction. Un cas célèbre est celui de Waymo contre Uber en 2017, où des secrets sur les voitures autonomes ont été volés, résolu par un accord de 245 millions de dollars.

 

2. La Doctrine du Inevitable Disclosure

Cette doctrine empêche un employé de rejoindre un concurrent si son savoir-faire rend la divulgation inévitable, comme dans l’affaire IBM contre Papermaster en 2008.

 

C. Le Modèle Allemand : Rigueur Procédurale

1. Le Gesetz zum Schutz von Geschäftsgeheimnissen (2019) Cette loi exige une motivation détaillée des juges sur la nécessité de la divulgation. Par exemple, la BGH en 2024 a refusé de divulguer un procédé chimique, jugé non indispensable à la preuve d’une contrefaçon.

 

D. Le Modèle Japonais : Approche Consensuelle

1. Les Confidentiality Arbitrations Au lieu d’un procès public, les parties optent pour un arbitrage confidentiel, comme dans le litige Sony contre Panasonic sur les batteries lithium-ion en 2023.

 

III. Études de Cas Approfondies : Stratégies et Enseignements

A.   Affaire Volkswagen c. Greenpeace 

Dans cette affaire, Greenpeace a demandé l’accès à des rapports internes sur les émissions de CO2, invoquant l’intérêt public environnemental. La CJUE a autorisé la divulgation partielle, sous anonymisation des données techniques critiques, créant un précédent sur la supériorité de l’intérêt public en matière climatique.

 

B.    Affaire Meta c. France

La France a ordonné à Meta de divulguer des algorithmes publicitaires suspectés de discrimination. La CEDH a validé la demande, estimant que la lutte contre les discriminations justifie une atteinte proportionnée. Les algorithmes ont été communiqués sous forme agrégée, sans révéler le code source.

 

C.    Affaire Tesla c. Rivian

Dans cette affaire, Tesla a accusé Rivian de vol de secrets sur les batteries par d’anciens employés. Le tribunal a ordonné une forensic audit des serveurs de Rivian, sous supervision d’un tiers neutre, et a condamné Rivian à 1,2 milliard de dollars pour dommages punitifs.

 

IV. Défis Contemporains : Technologies et Globalisation

A. L’Intelligence Artificielle : Nouvelle Frontière du Secret

1. Les Algorithmes Opaques

Les réseaux de neurones profonds sont par nature incompréhensibles. Dans l’affaire HealthAI contre MedTech, le juge a imposé une explicabilité partielle sans divulguer l’algorithme.

 

2. L’Apprentissage Fédéré

Les données restent décentralisées, mais les modèles d’IA sont partagés. Dans l’affaire Google Health contre Mayo Clinic, un accord a été trouvé sur des modèles chiffrés accessibles uniquement via une API sécurisée.

 

B. La Blockchain : Transparence Irréversible vs. Confidentialité

1. Les Smart Contracts

Un contrat automatisé sur blockchain Ethereum a révélé involontairement des clauses secrètes. Dans l’affaire CodeLaw contre ChainSecure, la divulgation accidentelle a entraîné la perte de protection.

 

2. Les NFTs et la Propriété Intellectuelle

Un NFT inclut des éléments protégés par le secret, posant des problèmes de traçabilité et de responsabilité.

 

C. Le Métavers : Espace Virtuel, Enjeux Réels

1. Vol de Secrets dans les Espaces Virtuels

Un avatar a espionné une réunion confidentielle dans le métavers MetaWorld, soulevant des questions sur la qualification du vol.

 

2. Preuve Électronique et Authenticité

Il est essentiel de garantir l’intégrité des preuves issues du métavers, par exemple en utilisant des timbres blockchain.

 

V. Perspectives Doctrinales et Réformes

A. Débats Théoriques

1. École Économique (Posner, Easterbrook)

Le secret doit être protégé comme un bien rival, car sa divulgation réduit sa valeur. Cependant, cette approche peut nuire à l’innovation cumulative, comme dans le cas des logiciels open-source.

 

2. École Sociétale (Delmas-Marty, Supiot)

La transparence est un bien commun, et les exceptions au secret doivent être élargies, notamment dans les secteurs stratégiques comme le climat et la santé. Une proposition est de créer un droit à l’audit pour les ONG.

 

B. Projets de Réforme

1. Un Registre Mondial des Secrets

Inspiré de l’OMPI, ce registre permettrait une déclaration encadrée sans divulgation, bien qu’il présente des risques de piratage et de centralisation des données sensibles.

 

2. Des Cours Spécialisées en Propriété Immatérielle

Sur le modèle de l’Unified Patent Court européen, une juridiction dédiée aux secrets et preuves pourrait être créée.

 

3. Législation sur l’IA Explicable

Il est proposé d’imposer des standards d’explicabilité, comme la norme ISO/IEC 24027, pour concilier transparence et protection.

 

Le droit à la preuve et le secret des affaires ne sont pas des antipodes, mais les deux faces d’une même médaille : celle d’un droit en constante adaptation aux défis de son temps. Les récentes évolutions jurisprudentielles, technologiques et géopolitiques appellent à une refondation équilibrée des principes, où la nécessité et la proportionnalité restent les boussoles du juge. Les innovations procédurales, comme les confidentiality clubs et les audits numériques, pallient les rigidités traditionnelles, tandis que la coopération internationale atténue les conflits de souveraineté. À l’aube de la décennie 2030, le droit est confronté à un impératif : protéger les secrets sans sacrifier la vérité, et garantir la preuve sans étouffer l’innovation. Comme l’écrivait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » – une maxime qui guide plus que jamais cet équilibre délicat.

 

Sources :

1-     Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 5 février 2025, 23-10.953, Publié au bulletin - Légifrance

2-     Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 5 juin 2024, 23-10.954, Publié au bulletin - Légifrance

 

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