Enregistrement litigieux de noms de domaine

Publié le 10/03/2014 Vu 6 539 fois 0
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Le nom de domaine, en ce sens qu’il revêt une valeur financière et économique, est aujourd’hui un enjeu stratégique majeur pour les entreprises ou les titulaires de marque. Il est désormais courant, dans la vie des affaires, de s’échanger et de se revendre des noms de domaine. Or, de par son influence commerciale, le nom de domaine est aussi la cible d’agissements malhonnêtes apparaissant lorsque des tiers enregistrent des valeurs sur lesquelles ils ne détiennent aucun droit. Cette pratique, extrêmement répandue sur la toile, est appelée le cybersquatting.

Le nom de domaine, en ce sens qu’il revêt une valeur financière et économique, est aujourd’hui un enjeu

Enregistrement litigieux de noms de domaine

Au départ, le nom de domaine était considéré comme une adresse sur l’Internet et un moyen pour l’internaute de retrouver les sites du réseau. Progressivement, le nom de domaine est également devenu un lieu géographique du cyberespace et le nom d’une nouvelle réalité : il a désormais le rôle d’un signe distinctif de l’entreprise lui permettant d’exister sur le web et le rôle de référence largement utilisée dans la publicité hors réseau. Ainsi, le rapport de l’OMPI du 30 avril 1999 énonce que « le système des noms de domaine (DNS) a pour fonction principale de faciliter la navigation des utilisateurs sur l’Internet ».

Depuis 1998, l’organisme en charge de l’adressage sur le réseau est l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), qui est une entité de droit privé, supervisant l’administration des noms de domaine en coopération avec les gouvernements des Etats, notamment l’Afnic en France. Le système des noms de domaine évolue sans cesse et soulève ainsi de nouveaux enjeux.

Lancé en 2008 par l’Icann, le programme mondial d’élargissement du système des noms de domaine se concrétise avec l’apparition sur le marché de nouveaux TLD (Top-level Domain) : extensions en caractères non latins, extensions géographiques, extensions réservées à une communauté, extensions sectorielles fondées sur des termes génériques qui indiquent la spécialisation d’un site Web, ou des extensions fermées (ex : .cocacola). Les perspectives offertes par ces extensions suscitent beaucoup d’intérêt de la part des internautes et des créateurs de site, le nom de domaine représentant l’une des clés du succès du e-commerce pour peu qu’il soit mémorisable. Or, cette ouverture va aussi permettre l’augmentation d’une pratique déjà bien présente sur la toile, le cybersquatting. Cet acte consiste à enregistrer un nom de domaine identique ou proche par la syntaxe ou la phonétique d’un nom commercial ou d’une marque de tiers. Les noms de domaine répondent à la règle « premier arrivé, premier servi » édictée à l’article 45-1 du Code des postes et des communications électroniques. Ainsi, les marques doivent rester très vigilantes si elles ne veulent pas voir leurs noms usurpés ou détournés par des internautes cherchant à exploiter leur attractivité. Sauf à ce qu’il soit déposé en tant que marque, le nom de domaine ne bénéficie pas en lui-même d’une protection par la propriété intellectuelle, il faut ainsi agir sur le terrain de la concurrence déloyale. Afin de résoudre des conflits internationaux toujours plus nombreux en la matière, des procédures électroniques ont été mises en place pour faciliter la lutte contre l’enregistrement litigieux de noms de domaine.

  • Le conflit entre les noms de domaine et d’autres signes distinctifs

A) Le conflit avec le droit des marques

Un même signe peut être déposé en tant que marque et enregistré en tant que nom de domaine. Ce double enregistrement est d'ailleurs vivement conseillé, car il permet au titulaire du nom de domaine de pouvoir bénéficier de la protection par le droit des marques (action en contrefaçon).

La pratique du cybersquatting consiste à enregistrer sciemment un nom protégé tel qu'une marque comme nom de domaine. Au moment de l'enregistrement du nom de domaine, aucune antériorité n'est en principe recherchée, c’est le principe « premier arrivé, premier servi » qui s’applique, ceci permettant aux tiers malveillants d'enregistrer des noms de marque dans le seul but de les revendre ultérieurement à leur titulaire.

A titre d’exemple, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré l’enregistrement du nom de domaine sncf-usa.com portant atteinte à la marque notoire « Sncf » comme un acte illicite et a sanctionné celui qui avait enregistré ledit nom de domaine par une condamnation de 25 000 euros. La marque est normalement soumise à un principe de spécialité, ainsi, son enregistrement ne lui confère de droits exclusifs que pour une sphère d’activité délimitée. L’atteinte aux droits des tiers sera caractérisée lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire. Si le signe constitutif du nom de domaine a été enregistré à titre de marque, son titulaire peut agir en contrefaçon en cas de reproduction à l’identique ou par imitation.

 Dans ce second cas, il devra en outre prouver le risque de confusion : nom de domaine identique à la marque et produits et services similaires ou bien nom de domaine et marque similaire et produits et services identiques. Si le site entrant en conflit avec une marque antérieure est exploité, l’existence d’un risque de confusion suppose, en principe, que le site soit consacré à des produits, services ou activités identiques ou similaires à ceux visés dans l’acte de dépôt de la marque et que l’usage illicite de la marque soit accompli « dans le vie des affaires ».

Or, par exception, lorsqu’une marque jouit d’une forte renommée, son titulaire peut empêcher un tiers d’adopter un signe distinctif postérieur identique pour désigner des produits et services différents. Dans la plupart des cas, les juges saisis ordonnent le transfert du nom de domaine au profit du titulaire de la marque, le droit des marques ayant un caractère absolu.

B) Le conflit avec le nom commercial, l'enseigne , la dénomination sociale ou d’autres noms de domaine

Si le nom de domaine ne fait pas l'objet d'un enregistrement à titre de marque, il ne peut bénéficier de cette protection, mais il sera néanmoins protégé par l'action en responsabilité civile délictuelle de l'article 1382 du Code civil.

La situation d’un propriétaire d’un nom commercial ou d’une enseigne est beaucoup plus fragile que celle d’un titulaire d’une marque puisqu’il doit avant tout prouver son droit par l’usage. Ainsi, pour être opposable au nom de domaine postérieur, la jurisprudence retient deux critères : le risque de confusion dans l’esprit du public et la connaissance de l’enseigne et du nom commercial sur l’ensemble du territoire national.

 Le risque de confusion est en principe retenu lorsqu’il y a usurpation de la dénomination sociale par le nom de domaine. Le président du Tribunal de grande instance de Marseille a retenu que « l'emploi de sa dénomination sociale par une autre personne qui agit dans un cadre encore mal défini, mais qui, en tout état de cause , reste concurrentiel eu égard à la circonstance que le défendeur a été au service de Lumiservice (…), est manifestement susceptible d'entraîner une confusion dans l'esprit du public ; alors et surtout, que l'enregistrement du site " lumipharma.com " empêche Lumiservice d'utiliser aux mêmes fins sa propre dénomination commerciale sous laquelle elle est connue, notamment dans les régions du Sud-Est ».

Les droits sur une dénomination sociale ont été opposés avec succès à des noms de domaine, aboutissant à une condamnation indemnitaire, puisque le transfert avait eu lieu en cours de procédure (TGI Nanterre, 1re ch., 28 juin 2012). Sur l'atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial et à l'enseigne, le juge retient « la notoriété du signe distinctif Chérie FM et en déduit que le titulaire ne pouvait ignorer les droits opposés et que les enregistrements et usages mis en cause ont été effectués « dans le seul but d'en tirer un profit financier » ».

Dans une affaire récente du 15 janvier 2014, le Tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier a estimé qu’un ancien salarié ne peut justifier avoir enregistré huit noms de domaine en utilisant le nom de son ancien employeur, dans le cadre d’une gestion d’affaires. La société a mis en demeure son ancien salarié de lui transférer les noms de domaine gratuitement. Ce dernier ayant refusé, le tribunal a réfuté l’argument de la gestion d’affaires et a condamné le salarié à transférer à ses frais les noms de domaine litigieux.

Des conflits peuvent également apparaître entre noms de domaine identiques mais ayant des extensions différentes ou des ressemblances troublantes. Le  nom de domaine est protégé par les règles régissant et prohibant la concurrence déloyale (article 1382 du Code civil).

Ainsi, en cas de conflit, les juges vont devoir déterminer si une des parties a commis des actifs fautifs contraires aux usages loyaux du commerce. Ces actes doivent être de nature à créer une confusion avec le site web, les produits ou l’activité du site concurrent. Afin d’établir cette confusion, les juges se livrent à un examen des activités respectives des entreprises et des droits antérieurs.

Cette action de droit commun a pour but de demander aux tribunaux d’accorder à la victime des dommages et intérêts en réparation de son préjudice. L’action en concurrence déloyale doit être exercée dans un délai de 10 ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

  • Les procédures de règlement des litiges liés aux noms de domaine

A)  Les procédures extrajudiciaires de règlement des litiges

Trois grandes procédures alternatives de résolution des litiges sur les noms de domaine peuvent être identifiées et sont mises en œuvre par les principaux offices d’attribution des noms de domaine : la procédure UDRP du « .com », « .net », « .org », « .biz », « .info », « .name » ; la procédure PARL du « .fr » et la procédure ADR du « .eu ».

 La procédure UDRP ne peut s’appliquer que concernant des litiges internationaux entre titulaires de marque et réservataires d’un nom de domaine postérieur. Elle a l’avantage d’être rapide et de se dérouler exclusivement en ligne. Ainsi, pour obtenir le transfert d’un nom de domaine, le plaignant doit démontrer que :

-          le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec une marque ou un service sur lequel le plaignant a des droits de propriété ;

-          le défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime par rapport au nom de domaine ;

-          l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine par le défendeur l’ont été de mauvaise foi.

Une plainte type en ligne est mise à la disposition des requérants, ces derniers pouvant ainsi rédiger la leur en adéquation avec les principes UDRP. La plainte est envoyée au centre de médiation, mais également au défendeur et à l’unité d’enregistrement du nom de domaine en cause.

A l’issue d’un délai de deux mois, la commission administrative désignée rend une décision : soit en faveur du requérant titulaire de la marque accompagnée d’une injonction de procéder au transfert du nom de domaine litigieux, soit en faveur du requérant titulaire de la marque accompagnée d’une injonction d’annulation du nom de domaine, soit en faveur du défendeur titulaire du nom de domaine qui vient confirmer son droit.

Contrairement à la procédure UDRP, la procédure PARL du « .fr » et du « .re » n’est pas limitée aux atteintes concernant le droit des marques. Elle s’applique également à des valeurs telles que le nom commercial, la dénomination sociale, le nom patronymique ou le pseudonyme.

Même si ces procédures présentent des avantages notamment en terme d’efficacité, de délai, et de coût, il n’est pas toujours aisé de prouver la mauvaise foi du cybersquatteur quand les éléments de preuve manquent ou quand l’entreprise n’est pas très connue.

B)   Les procédures judiciaires de règlement des litiges

Les procédures de règlement extrajudiciaires n’excluent pas l’action en justice. En effet, ces procédures spécifiques n’impliquent aucune renonciation aux droits des parties d’ester en justice. Le titulaire de la marque ou le détenteur du nom de domaine a toujours la possibilité de porter le litige devant les tribunaux, que ce soit avant ou après la procédure extrajudiciaire.

Néanmoins, en pratique, peu d’instances judiciaires sont entamées à l’issue de ces procédures. Le tribunal compétent est alors soit celui du lieu où le registrar a son siège, soit celui du lieu où le titulaire du nom de domaine a son domicile, tel qu’indiqué dans le « Whois » à la date du dépôt de la plainte UDRP. En cas de procédures judiciaires commencées avant ou pendant une procédure administrative concernant un litige sur un nom de domaine faisant l'objet de la plainte, la commission devra décider à sa discrétion s'il faut suspendre ou clore la procédure administrative, ou bien s'il faut prendre une décision.

Au cas où une partie entamerait une procédure judiciaire pendant une procédure administrative pendante concernant un litige sur un nom de domaine faisant l'objet de la plainte, elle devra rapidement notifier la commission et le fournisseur. La procédure judiciaire est intéressante car elle permet de réclamer des dommages et intérêts au cybersquatter. De plus, outre la suppression ou le transfert du nom de domaine litigieux, elle permet de réclamer la suppression du ou des sites associés, le changement de la dénomination sociale, du nom commercial et de l’enseigne du défendeur, ainsi que la publication de la décision dans les journaux et revues.

Sources :

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Blog de Murielle Cahen

Murielle CAHEN

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7 évaluations positives

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