Conformément à la directive (UE) no 2015/2436 du 16 décembre 2015, l'article L. 716-4-5, 1º, du code de la propriété intellectuelle prévoit qu'une action en contrefaçon est irrecevable à l'encontre d'une marque postérieure lorsque le titulaire de la marque a, pendant une période de cinq années consécutives, toléré l'usage de la marque postérieure en connaissance de cet usage, pour les produits ou les services pour lesquels l'usage a été toléré, à moins que son dépôt ait été effectué de mauvaise foi (CPI, art. L. 716-4-5, 1º). Cette forclusion est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives.
D'abord, le signe contrefaisant doit avoir été lui-même enregistré à titre de marque. La tolérance n'affecte pas le cas dans lequel le contrefacteur aurait fait usage du signe sans l'avoir déposé, quand bien même la preuve serait rapportée de la tolérance de cet usage. La tolérance de l'usage du signe à titre de dénomination sociale ou de nom commercial ne peut donc être opposée à l'action en contrefaçon engagée par le titulaire de la marque.
Ensuite, la preuve doit être rapportée de la connaissance, par le titulaire de la marque, de cette exploitation; celui qui n'a fait aucun usage de la marque en France ne saurait invoquer une forclusion par tolérance (cf. CA Paris, 5 déc. 2001, PIBD 2002, III, p. 134).
La tolérance ne suppose pas que le titulaire de la marque ait admis, ne serait-ce que tacitement, l'usage de la marque seconde, mais seulement qu'il se soit abstenu de s'y opposer en connaissance de cause. Encore faut-il qu'il ait juridiquement pu le faire ; la Cour de justice a considéré que le titulaire d'une marque antérieure ne peut être réputé avoir toléré un usage par un tiers d'une marque postérieure s'il était privé de toute autre possibilité de s'opposer à cet usage (CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-482/09, Budějovický Budvar c/ Anheuser-Busch, EU:C:2011:605, Propr. intell. 2012, no 42, p. 58, note G. Bonet, à propos de la marque Budweiser).
L'article L. 716-4-5 du code de la propriété intellectuelle réserve le cas dans lequel le dépôt de la marque contrefaisante a été effectué de mauvaise foi, ce qui prive le déposant du droit d'invoquer la forclusion par tolérance. La bonne foi étant présumée, c'est à celui qui invoque la mauvaise foi qu'incombe la charge d'en rapporter la preuve (cf. CA Paris, 13 mars 2002, no 00/12190).
I. Appréciation de la connaissance des faits ouvrant le délai de forclusion par tolérance
L'article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable au cas d'espèce, dispose en son quatrième alinéa qu'« est irrecevable toute action en contrefaçon d'une marque postérieure enregistrée dont l'usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi. Toutefois, l'irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l'usage a été toléré ». La jurisprudence considère que la connaissance de la marque seconde, nécessaire à la reconnaissance de la forclusion par tolérance, laquelle entraîne l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon, s'apprécie de façon casuistique, au regard des faits d'espèce (Paris, 17 nov. 2017, n° 16/20736).
La société Biscuiterie du Guer reproche à l'arrêt d'appel d'avoir rejeté son action en contrefaçon après que la société Kerfood ait invoqué la forclusion par tolérance à son égard. Si la marque Petits Sablés de Belle-Île a été déposée le 3 mars 2004, elle soutient qu'elle n'a découvert son existence que le 21 juin 2007.
Concernant la marque Le Petit Bellilois déposée le 29 novembre 2004, elle précise qu'elle ne connaît son existence que depuis le 4 octobre 2007. Elle en déduit qu'à la date de l'assignation, le 21 janvier 2011, il ne pouvait lui être invoqué de forclusion par tolérance.
Toutefois, il a été relevé que le gérant de la société Biscuiterie du Guer avait envoyé un courrier à la société La Bien Nommée (désormais Kerfood), en date du 30 septembre 1998, concernant le dépôt par cette dernière de la marque Les Biscuits Bellilois. La société Biscuiterie du Guer soutenait en effet qu'il pouvait exister un risque de confusion entre la marque Bellilois qu'elle prétendait détenir (même à défaut d'enregistrement en ce sens) et la marque Les Biscuits Bellilois de la société Kerfood.
Après transaction, la société Biscuiterie du Guer avait accepté de ne plus utiliser le terme Bellilois. De plus, le 30 juillet 2008, la société La Bien Nommée a porté plainte contre la société Biscuiterie du Guer pour pratiques commerciales trompeuses.
La Cour de cassation confirme la cour d'appel de Rennes en ce qu'elle déduit des faits d'espèce une connaissance réciproque des parties depuis le 30 septembre 1998 et une vigilance particulière du gérant de la société Biscuiterie du Guer à l'égard de l'activité de la société concurrente, dont le succès commercial est indéniable.
Elle en déduit donc que la forclusion par tolérance est opposable à la société Biscuiterie du Guer et que son action en contrefaçon est irrecevable.
Cette appréciation du point de départ du délai de forclusion, laquelle repose sur un faisceau d'indices, n'est pas sans rappeler un autre litige. Dans l'affaire opposant la société L'Oréal à la société Cosmetica Cabinas, les juges ont déduit des campagnes publicitaires réalisées dans les mêmes magazines et sur les mêmes salons professionnels, que la société L'Oréal avait nécessairement connaissance, depuis plus de cinq ans au jour de l'assignation en contrefaçon, de l'exploitation de la marque AINHOA par la société Cosmetica Cabinas.
Le délai de forclusion par tolérance ne court donc pas uniquement à compter de la connaissance directe de la marque seconde. Le délai de forclusion par tolérance court aussi à compter de l'établissement de la surveillance de l'activité d'un concurrent, laquelle laisse présupposer de la connaissance des marques déposées ou exploitées depuis lors.
II. Déchéance de la marque du fait du titulaire proposant des conditionnements trompeurs
La société Kerfood forme également une demande reconventionnelle en nullité de la marque Les Galettes de Belle Isle. Elle invoque les dispositions de l'article L. 711-3, c), du code de la propriété intellectuelle, selon lequel ne peut être adoptée comme marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.
Selon elle, la marque Les Galettes de Belle Isle serait de nature à tromper le public sur l'origine géographique des produits commercialisés, en ce qu'elle renverrait à la célèbre île de Belle-Île-en-Mer, laissant croire aux consommateurs que les produits en cause y seraient fabriqués.
Les juges écartent cette demande au motif que c'est le signe lui-même qui doit être trompeur au regard des produits désignés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, en ce qu'il désigne bien des galettes en faisant référence à la localité de Belle Isle, où le titulaire exerce son activité depuis des décennies.
À titre subsidiaire, la société Kerfood soutient que la marque Les Galettes de Belle Isle est devenue trompeuse du fait de son titulaire et de ses conditions d'exploitation. Elle invoque ainsi les dispositions de l'article L. 714-6, b), du code, qui dispose qu'encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque, devenue de son fait, propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance du produit ou du service. La Cour de cassation confirme l'arrêt d'appel en ce qu'il reconnaît que la marque Les Galettes de Belle Isle déposée le 18 mai 1995 apparaît de nature à induire en erreur le public du fait des modifications intervenues dans les conditions de son exploitation.
Les juges relèvent que le gérant de la société Biscuiterie du Guer avait volontairement changé la dénomination sociale au profit de Les Galettes de Belle Isle, afin de permettre aux produits commercialisés de bénéficier de la notoriété de Belle-Île-en-Mer. En ce sens, il a multiplié les références à cette localité sur les boîtes en fer dans lesquelles sont commercialisées ses galettes.
Des photographies des lieux les plus connus de l'île accompagnées d'un panneau touristique mentionnant clairement Belle-Île-en-Mer caractérisaient ainsi les emballages, sans qu'aucune mention évidente du lieu de fabrication des produits apparaisse, sauf à retourner la boîte.
Ces circonstances laissaient croire aux consommateurs que les produits commercialisés provenaient de Belle-Île-en-Mer, dans le Morbihan, alors qu'ils étaient fabriqués à presque 200 km, à Belle-Isle-en-Terre, dans les Côtes-d'Armor. C'est ainsi que les juges déduisent que la marque Les Galettes de Belle Isle est devenue propre à induire en erreur, sur la provenance géographique des produits commercialisés. Elle prononce donc sa déchéance.
III. Concurrence déloyale résultant des conditionnements trompeurs
En première instance, la société Kerfood a obtenu réparation du préjudice moral résultant des pratiques commerciales trompeuses suscitées, en ce qu'elles ont porté atteinte à ses efforts tendant à proposer des produits naturels et de qualité.
Les juges retiennent ainsi que la société Kerfood, membre de l'Association Produit fait en Bretagne, gage de qualité des matières premières utilisées et des produits commercialisés, a souffert des actes commis par la société Biscuiterie du Guer, dont l'œuvre est de moins bonne qualité.
Sur le préjudice commercial, étant établi que la société Biscuiterie du Guer commercialise ses produits dans plusieurs boutiques de Belle-Île-en-Mer où la tromperie du consommateur est encore plus aisée, la Cour retient que si les chiffres comptables fournis ne permettent pas d'établir une baisse du chiffre d'affaires réalisé par la société Kerfood, cette activité freinait de façon évidente son développement commercial. En caractérisant ce préjudice commercial, la Biscuiterie du Guer est donc reconnue responsable d'actes de concurrence déloyale résultant de conditionnements trompeurs.
Sources :
Pierre Favilli, Juriste Marques : Marques en Bretagne : forclusion par tolérance et déchéance pour tromperie du fait du titulaire