Le principe de la force obligatoire des conventions est une question centrale qui traverse toute l’histoire du droit des contrats, mais aussi toute la théorie du contrat. En effet, le fondement même de ce principe est la théorie de l’autonomie de la volonté : on voit dans la volonté la source et la mesure de tout engagement contractuel et ainsi, le contrat oblige celui qui l’a conclu car il l’a voulu.
Cependant, le droit contemporain n’hésite pas, pour des motifs qu’il juge supérieurs, à malmener en certaines circonstances la force obligatoire du contrat conclu par les parties. Le plus souvent, ces exceptions n’ont d’autre but que de lutter contre les déséquilibres les plus flagrants et les plus insupportables. Il existe ainsi des exceptions d’origine légale d’une part, et des exceptions d’origine jurisprudentielle d’autre part.
Mais, s’ajoute également à cela des cas particuliers de contrat autorisant une partie contractante à modifier unilatéralement les conditions du contrat : il s’agit du contrat de travail et du contrat de fourniture de services de communications électroniques. Le premier cas particulier se justifie par le pouvoir de direction de l’employeur qui lui permet de changer seul les conditions de travail. Enfin, la modification unilatérale par le fournisseur d’un service de communications est possible dès lors que l’abonné est informé d’une telle modification et qu’il a la liberté de sortir du contrat.
- Le principe : pas de modification unilatérale des conditions d’un contrat
- La force obligatoire du contrat
Le principe de la force obligatoire du contrat va s’imposer d’une part aux parties qui l’ont conclu, et d’autre part, au juge qui en fait l’application. Le principe posé par l’article 1134 al 1er du Code civil trouve son origine dans la pensée canoniste qui a érigé un principe de morale universelle au rang de règle juridique.
 Or, la sphère d’application du contrat se limite aux parties (article 1165 du Code civil) et il n’est pas possible d’y voir une norme abstraite et générale à l’instar de la loi au sens classique du terme. Ainsi, les parties doivent respecter les engagements qu’elles ont pris, et seule la volonté des deux pourrait modifier le contenu et les modalités de ces engagements.
Concernant le juge, il est en principe totalement extérieur au contrat et il doit se limiter à appliquer la force obligatoire qui en découle de par la seule volonté des parties. Le juge est alors considéré comme un simple tiers garant du respect du contrat tel que les contractants l’ont voulu. Ainsi, ce principe de force obligatoire du contrat va présenter des conséquences techniques :
- irrévocabilité du contrat et impossibilité de rupture unilatérale du contrat (exception : faculté de rupture exceptionnelle des contrats à durée indéterminée et faculté de rétractation du consentement préalablement donné dans certains cas) ;
- intangibilité du contrat : ceci se traduit par son imperméabilité aux circonstances extérieures (Civ. 6 mars 1876, Canal de Craponne : « Dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants »)
- interdiction de la dénaturation du contenu contractuel : si les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’interprétation du contenu contractuel obscur et/ou ambigu, la force obligatoire leur interdit de dénaturer ce qui est clair et précis.
La force obligatoire du contrat est un principe qui doit également s’articuler avec l’obligation d’exécution de bonne foi des conventions (article 1134 al 3 du Code civil) : obligation de collaboration des parties, devoir de cohérence ou de non-contradiction… Ainsi, la bonne foi contractuelle a donné lieu à un arrêt qui cantonne le champ et la fonction, de telle manière qu’elle ne vienne pas heurter la force obligatoire des conventions. Cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 juillet 2007 a jugé que « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ».
- Les exceptions légales à la force obligatoire du contrat
Toute modification du contrat ne peut se faire de façon unilatérale, mais nécessite l'accord des parties. Il existe néanmoins des clauses d'adaptation automatique : la clause d'indexation module le prix à payer de la chose en référence à la valeur de tel produit ou de tel indice et la clause de renégociation prévoit l'obligation pour les parties de renégocier le contrat si des données essentielles à son équilibre viennent à changer. On parle aussi de clause de sauvegarde.
De plus, aux termes de l’article 1226 du Code civil, « la clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l’exécution d’une convention, s’engage à quelque chose en cas d’inexécution ». La clause pénale est la clause portant fixation forfaitaire et comminatoire du montant des dommages-intérêts contractuels dus en cas d’inexécution du contrat. Ce caractère contractuel et forfaitaire retire en principe au juge tout pouvoir d’appréciation concernant le montant des dommages-intérêts.
Or, la loi prévoit que dans certaines hypothèses le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine convenue ; par exemple si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Enfin, la force obligatoire fait, en principe, totalement obstacle à ce que le juge réécrive le contenu du contrat en supprimant les clauses qui lui paraitraient instaurer un déséquilibre entre les parties. Il n’existe pas en droit français un instrument général de lutte contre les clauses abusives.
La clause jugée abusive sera réputée non-écrite, ce n’est que dans l’hypothèse, plus que marginale, où l’on admettrait que la clause était déterminante du consentement des parties que l’on pourrait étendre la nullité à l’entier contrat. Il existe également des cas particuliers de contrat où la modification unilatérale des conditions est tolérée par une partie.
- Cas particuliers : modification unilatérale possible des conditions d’un contrat
- Le contrat de travail
Le contrat de travail fait exception au principe de la force obligatoire des conventions en vertu du pouvoir de direction de l’employeur. Cependant, la jurisprudence distingue deux types de modifications : celle portant sur le contrat et celle entrainant une simple modification des conditions de travail.
Lorsque la modification du contrat affecte un des éléments essentiels qui était une des conditions déterminantes de l’accord du salarié lors de l’embauche, cette modification exige l’accord des deux parties. Si le salarié refuse la proposition faite par l’employeur, ce dernier ne peut qu’abandonner le projet ou engager une procédure de licenciement.
Quant à la modification des conditions de travail, l’employeur peut imposer unilatéralement une modification des modalités d’exécution du travail (notamment par le biais d’un avenant). Le refus par le salarié de continuer le travail ou de le reprendre après un changement de ses conditions de travail décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction constitue, en principe, une faute grave qu’il appartient à l’employeur de sanctionner par un licenciement (Cass. soc. 10 juillet 1996).
La nature de la modification est appréciée au cas par cas par les tribunaux. Ainsi, une modification de la rémunération affecte le contrat lui-même et peut être refusée par le salarié. De plus, un changement de lieu de travail, individuel ou collectif, peut être assimilé à une modification d’un élément essentiel du contrat, sauf si cette modification est prévue dans le contrat de travail ou dans la convention collective, ou si elle est inhérente à la fonction. Le refus par le salarié, dont le contrat contient une clause de mobilité, de la modification de son lieu de travail constitue en principe un manquement à ses obligations contractuelles, mais ne caractérise pas à lui seul une faute grave (Cass. soc. 5 mai 2010).
Même à rémunération égale, une diminution des responsabilités et des attributions d’un salarié constitue une modification de son contrat et peut donc être refusée, sauf s’il s’agit de simples aménagements de fonction. Les horaires et la durée du travail sont en général considérés comme des éléments essentiels du contrat sauf si la modification est ponctuelle ou mineure et n’entraine aucune réduction de la rémunération.
- Le contrat de fourniture de services de communications électroniques
Le deuxième cas particulier, prévu par la loi, où il n’est pas nécessaire d’avoir le consentement des deux parties pour la modification des conditions du contrat est l’exemple des contrats conclus par les particuliers et les fournisseurs d’accès à distance (article L. 121-84 du Code de la consommation). Un fournisseur de services de communications électroniques peut être un opérateur téléphonique ou un fournisseur d’accès à internet. Pour que la modification unilatérale par le fournisseur ne soit pas abusive, elle suppose la réunion de conditions.
Pour le contrat à durée indéterminée, tout projet de modification doit être notifié au client au moins un mois avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. La charge de la preuve de la réception de la notification semble reposer sur le fournisseur, une lettre recommandée avec accusé de réception est donc préférable à l’envoi d’un e-mail. Ainsi, à défaut de réception de la notification dans les délais, le rétablissement du contrat initial peut être demandé (Cass. ch. civ. 1, 20 mai 2010).
Le consommateur dispose alors d’un délai de quatre mois après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions pour résilier son contrat sans aucuns frais. La Cour de cassation en son arrêt du 27 novembre 2013 a cassé l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article L. 121-84 du Code de la consommation et a décidé qu’étant donné que les conditions de délais étaient remplies, la modification unilatérale par la société de communication électronique d’un abonnement d’accès à internet, téléphone et télévision était licite.
Pour le contrat à durée déterminée, si aucune disposition ne prévoit de modifications, alors rien ne permet aux fournisseurs de services d’imposer de nouvelles conditions. Cependant, un fournisseur peut toujours proposer un nouveau contrat ou de nouvelles conditions générales à ses clients en leur demandant leur accord. Si ces derniers refusent, les anciennes conditions continuent à s’appliquer, mais s’ils acceptent, les nouvelles conditions s’appliquent sans possibilité pour les clients de résilier sans frais.
Sources :
- Code civil 2014
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Force_obligatoire_du_contrat_en_France
- http://www.sedlex.fr/cas-pratiques/les-modifications-des-contrats-des-conditions-generales/
- http://droit-finances.commentcamarche.net/contents/603-les-modifications-du-contrat-de-travail
- http://www.juridiconline.com/actualites-juridiques/societes/90-contrats/15657-modification-unilaterale-des-conditions-dun-contrat-de-fourniture-de-service-de-communications-electroniques.html