Le devoir d’information, nommé aussi obligation ou devoir de renseignement, apparaît en premier lieu lors de la phase précontractuelle. La jurisprudence retient l’existence d’une obligation générale d’information à la charge des professionnels et à destination des clients potentiels. Il s’agit de prévenir des avantages, des inconvénients et des circonstances déterminantes par rapport au contrat envisagé.
Le préjudice de l’adhérent, mal conseillé lors de son adhésion, doit s’apprécier par référence à la perte de celui-ci d’une chance d’obtenir une assurance plus étendue (Cour de cassation, 1re chambre civile du 13 novembre 1996, n° 94-16.863), ou la perte de chance de souscrire une autre police d’assurance prenant en compte l’état de santé défaillant de l’emprunteur (Cour de cassation, chambre criminelle du 19 mars 1988, n° 97-80.453) ou encore perte de chance de pouvoir s’adresser à d’autres assureurs (Cour de cassation, 1re chambre civile du 18 septembre 2008 n° 06-17.859).
Toute perte de chance consécutive à une information incomplète ouvre droit à réparation (Cour de cassation, 2e chambre civile du 20 mai 2020, n° 18-25.440).
La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue ; elle ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cour de cassation, 1re chambre civile du 9 décembre 2010, n° 09-69.490) et ne peut donc correspondre qu’à une fraction du préjudice subi (Cour de cassation, 2ème chambre civile du 17 mars 2011, n° 10-15.527). En revanche, un préjudice entièrement consommé ne peut pas être réparé sous la forme de perte de chance (Cour de cassation, 1re chambre civile du 9 décembre 2010, n° 09-16.531).
La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable (Cour de cassation, 1re chambre civile du 14 octobre 2010 n° 09-69.195).
L’indemnisation sous forme de perte de chance est souvent retenue en cas de dommages causés par la faute d’un professionnel.
I) Une obligation contractuelle, au départ, non envisagée par les parties
A) Le devoir d’information
La jurisprudence se réfère à un devoir professionnel d’information, de conseil, de mise en garde du banquier et non à une simple obligation de nature contractuelle. Un manquement à ce devoir est toutefois générateur d’une responsabilité de nature contractuelle ou délictuelle, alors même que l’on peut se situer dans la phase de négociation précontractuelle ; mais nous savons que la distinction entre responsabilité délictuelle et contractuelle a perdu beaucoup de son intérêt dans le cadre de la responsabilité civile des professionnels.
Pour justifier son immixtion dans le contrat, notamment au regard du principe directeur de la force obligatoire, la Cour de cassation s’est fondée sur les anciens articles 1134, alinéa 3 et 1135 du Code civil ainsi que sur la volonté implicite des parties et la nature des contrats en question.
L’obligation d’information consiste à donner des informations objectives sur l’opération et le contrat envisagés, lesquelles doivent être claires, précises et complètes. Le devoir de conseil qui la complète implique, pour le banquier, de se prononcer sur l’opportunité de son client de conclure le contrat envisagé au regard de sa situation personnelle.
L’avis donné est en ce sens subjectif puisque le débiteur doit émettre un jugement de valeur sur l’opération susceptible d’aller jusqu’à déconseiller le client de conclure le contrat. Le devoir de mise en garde, propre aux banquiers, consiste à avertir le client des risques inhérents à l’opération projetée dans le but que le client ait connaissance des avantages et inconvénients de celle-ci.
B) Pour ce qui est des contrats d’assurance
Le contrat d’assurance est un contrat consensuel qui se forme valablement par le seul échange des consentements des parties. La preuve de l’existence et du contenu du contrat doit cependant être rapportée par écrit (Cour de cassation, 2ème chambre civile du 17 mars 2011, n° 10-16.553).
L’assureur est tenu d’un devoir général d’information, qui est parfois renforcé, envers le candidat à l’assurance, notamment en matière d’assurance-vie. Le non-respect de ce devoir par l’assureur est sanctionné par la mise en œuvre de la responsabilité (Cour de cassation, 2ème chambre civile du 7 juillet 2011, n° 10-16.267).
Pour donner à cette obligation une forte intensité, la Cour de cassation a jugé que le devoir d’information du banquier prêteur en matière d’assurance est dû à tout emprunteur qu’il soit averti ou non (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 septembre 2015, 14-18.854).
En 2007, au visa de l’article 1147 du Code civil, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a précisé que le banquier avait une obligation d’éclairer le client sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur et que la seule remise d’une notice ne suffit pas à satisfaire à cette obligation (Cour de cassation, Assemblée plénière, 2 mars 2007, 06-15.267). Confirmés depuis (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 4 juillet 2019, 18-20.639), certains auteurs ont vu dans ces arrêts la reconnaissance d’un véritable devoir d’éclairer autonome et distinct des autres (V. en ce sens, P. Pailler, précisions sur les obligations d’information du banquier souscripteur d’une assurance de groupe, D. 2016. 953).
En l’espèce, le client emprunteur reprochait au banquier de ne pas l’avoir informé que la garantie de l’assurance souscrite ne s’étendait pas à toute incapacité, mais seulement à une incapacité totale. Ce manquement n’était contesté ni par les juges du fond ni par la Cour de cassation.
En revanche, la preuve des conséquences de cette inexécution interroge. Il était question de savoir si en manquant à ses devoirs d’information, de conseil et de mise en garde, la banque avait fait perdre une chance au client emprunteur de souscrire une assurance mieux adaptée à sa situation.
II) La reconnaissance de la perte de chance par la Cour de cassation pour l’emprunteur
A) La perte de chance
La Cour de cassation a reconnu que « le préjudice résultant, pour l’emprunteur, du manquement de la banque à [son] obligation [d’information] consiste en une perte de chance de souscrire une assurance mieux adaptée à sa situation personnelle » (Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 mars 2015, 13-26.794).
La perte de chance est définie par la jurisprudence comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 octobre 2018, 17-18.146). Pour la caractériser, le demandeur doit donc établir la disparition, à la suite du fait dommageable, d’une éventualité favorable et raisonnable pour laquelle il aurait pu opter (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 10 avril 1996, 94-13.802).
En principe et la Cour de cassation le rappelle d’emblée dans son attendu toute perte de chance est réparable. La perte de chance, même faible (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 16 janvier 2013, 12-14.439), ou minime (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 octobre 2016, 15-23.230 15-26.147) doit être indemnisée, à la condition toutefois d’être « raisonnable » ou « réelle et sérieuse » et non « hypothétique ou éventuelle ». Par son contrôle, la Cour de cassation veille à ce que la chance perdue existe véritablement.
Sur la caractérisation de la perte de chance de l’emprunteur de souscrire une meilleure assurance, si la tendance est à la sévérité envers les établissements bancaires on trouve des arrêts plus ou moins exigeants sur la preuve à rapporter.
Dans certaines décisions, la Cour de cassation a accepté que la perte de chance soit déduite du manquement du banquier à ses obligations. Par cette règle, le juge renforce la portée des devoirs d’information, de conseil et de mise en garde des professionnels et spécifiquement des banquiers.
Au contraire, dans d’autres décisions, la Cour de cassation a opéré un contrôle en s’assurant que la perte de chance ait bien été caractérisée, indépendamment de la preuve d’une faute du banquier. Elle vérifie la présence du caractère raisonnable, réel et sérieux de la perte de chance invoquée.
B) La question était ici de savoir si l’éclairage donné par le banquier aurait eu une réelle utilité.
La démonstration de la perte de chance implique de prouver la disparition, à la suite du fait dommageable, d’une éventualité favorable et raisonnable pour laquelle l’emprunteur aurait pu opter, Mais jusqu’où va cette preuve ?
L’emprunteur est-il tenu de démontrer qu’il aurait, avec certitude, souscrit une autre assurance s’il avait eu les informations nécessaires ? Ou doit-il seulement prouver que celles-ci lui auraient permis d’avoir le choix de le faire ?
En l’espèce, l’assuré arguait qu’il avait perdu la chance de souscrire une meilleure assurance là où l’assureur faisait valoir qu’il incombait à celui-ci d’établir qu’il aurait souscrit une telle assurance. À rebours de la position des juges d’appel, la Cour de cassation attend de l’assuré qu’il établisse l’existence d’une éventualité favorable et raisonnable pour laquelle il aurait pu opter et non qu’il démontre avec certitude qu’il aurait forcément souscrit un autre contrat.
L’objet de la preuve de la perte de chance réside dans le fait que l’assuré n’a pas été raisonnablement mis en situation de pouvoir souscrire une garantie mieux adaptée qui existait pourtant sur le marché.
En résumé, la seule preuve de l’existence d’un choix raisonnable permis par l’octroi d’une information adéquate suffit. En exigeant davantage, la cour d’appel a ajouté des conditions à l’application de l’article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure alors que toutes celles attendues pour obtenir une réparation sur le fondement de cet article étaient réunies.
Protectrice des clients emprunteurs, surtout lorsqu’ils sont non avertis, cette décision s’inscrit dans la continuité de la politique de la Cour de cassation en la matière et invite les banquiers, notamment en leur qualité de distributeur de produits d’assurance, à la prudence dans l’exécution de leurs devoirs d’information.
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