Obligation de moyens et obligation de résultat

Publié le 01/10/2014 Vu 47 640 fois 0
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L’inexécution contractuelle doit s’apprécier au regard de l’intensité de l’obligation souscrite. C’est ici que la distinction d’origine doctrinale entre « obligations de moyens » et « obligations de résultat » prend tout son sens. En effet, est-ce au créancier de prouver que son partenaire a commis un manquement afin d’engager sa responsabilité pour obtenir des dommages et intérêts, ou à l’inverse, est-ce à celui qui n’a pas rempli son obligation de prouver qu’il en a été empêché par un cas d’impossibilité exclusif de dommages et intérêts ?

L’inexécution contractuelle doit s’apprécier au regard de l’intensité de l’obligation souscrite. Câ

Obligation de moyens et obligation de résultat

En matière contractuelle et notamment en matière de responsabilité, le texte de référence est l’article 1147 du Code civil : en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution de l’obligation, il appartient au débiteur de justifier que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

La responsabilité est donc présumée et la charge de la preuve pèse sur celui qui n’a pas exécuté ou a mal exécuté. Néanmoins, d’autres dispositions du Code civil (article 1137) prévoient que le créancier de l’obligation doit démontrer que son débiteur n’a pas agi ou a mal agi et a commis une faute. A partir de ces textes, la doctrine a dégagé la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat. Au cours du 20ème siècle, cette dichotomie du droit français a été initiée par René Demogue dans son « Traité des obligations en général ».

Il propose ainsi de classer les obligations contractuelles par leur objet et démontre une unité entre les responsabilités contractuelles et délictuelles reposant toutes les deux sur l’existence d’une faute qui, tantôt doit être prouvée en établissant une négligence ou une imprudence, tantôt découle du simple fait que le résultat n’est pas atteint.

Cette distinction a ensuite été reprise par la jurisprudence même si elle est aujourd’hui souvent contestée en des termes parfois sévères. L’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription proposait d’intégrer dans le Code civil cette distinction ; suggestion qui n’a pas été reprise dans le projet de réforme du droit des contrats. Cette distinction repose sur le contenu de l’obligation, sur ce qui a été promis. L’obligation est de résultat lorsque le débiteur s’est engagé à obtenir un résultat déterminé ou pour reprendre les termes de l’article 1149 alinéa 1 de l’avant-projet « lorsque le débiteur est tenu, sauf en cas de force majeure, de procurer au créancier la satisfaction promise ». A contrario, il y aura obligation de moyens lorsque le débiteur a promis de mettre son activité au service du créancier, mais sans garantir que tel ou tel résultat sera obtenu, ou selon l’article 1149 alinéa 2 de l’avant-projet « lorsque le débiteur est seulement tenu d’apporter les soins et diligences normalement nécessaires pour atteindre un certain but ».

  • L’intérêt de la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat

  1. La charge de la preuve

L’intérêt essentiel de la distinction se manifeste à propos des conditions de la responsabilité éventuelle du débiteur. En effet, si l’obligation est de résultat et que le résultat promis n’a pas été atteint, le débiteur est présumé responsable. A titre d’exemple, si la livraison d’une certaine quantité de marchandises à un moment donné n’a pas été atteinte, la responsabilité est encourue de plein droit. Le débiteur ne peut échapper à cette responsabilité qu’en démontrant que l’inexécution provient d’un cas de force majeure.

Qu’est-ce que la force majeure ? Selon une définition classique, un obstacle ne constitue un cas de force majeure que s’il présente pour le débiteur qui l’invoque trois caractères : l’irrésistibilité, l’imprévisibilité et l’extériorité. Un arrêt de l’assemblée plénière du 14 avril 2006 a défini la force majeure comme « l’événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ».

Ainsi, cet arrêt énonce qu’il faut la réunion de ces conditions cumulatives pour qu’il y ait force majeure, conditions appréciées à des moments distincts, alors que l’extériorité demeure incertaine. A l’opposé, lorsque l’obligation est de moyens, il incombe au créancier de démontrer que le débiteur n’a pas mis en œuvre les moyens nécessaires. Certaines obligations telles que l’obligation de sécurité pesant sur le transporteur de personnes peuvent être soit de moyens, soit de résultat. Pendant la phase d’exécution du contrat proprement dit, il s’agirait d’une obligation de résultat, alors qu’avant et après, il s’agirait d’une obligation de moyens (Cass. Civ., 21 novembre 1911 ; Cass. civ., 1ère, 7 mars 1989).

  1. Appréciation par les juges du fond

En cas de désaccord entre les parties sur la portée de l’obligation, c’est au juge qu’il appartiendra de décider si cette obligation est de moyens ou de résultat. Il arrive que son appréciation évolue dans le temps. En effet, concernant la responsabilité médicale, elle  reposait depuis un arrêt de 1936 sur une obligation de moyens, puis, la jurisprudence a admis que pesait sur le médecin une obligation de résultat pour les matériels et les produits qu’il utilise, et pour les maladies nosocomiales. Ces solutions ont été reprises par la loi du 4 mars 2002. L’appréciation du juge va se faire en fonction de différents critères :

  • la volonté présumée des parties : peut être le critère déterminant de l’intensité de l’obligation mais le juge du fond, au titre de son pouvoir d’appréciation et de requalification (article 12 du Code de procédure civile) peut restituer à l’obligation sa véritable qualification ;
  • le caractère aléatoire ou non du résultat attendu : si l’obtention du résultat est par essence aléatoire, le débiteur ne peut être tenu à une obligation de résultat. C’est l’application de ce critère qui explique que le médecin ne puisse être tenu, au titre de son obligation principale de soins, à une obligation de résultat. Le résultat de son intervention est toujours aléatoire parce que la science a ses limites et parce que les thérapies les plus éprouvées peuvent ne pas produire les mêmes effets chez tous les patients ;
  • le rôle actif ou passif du créancier dans l’exécution de l’obligation : dans l’hypothèse où le créancier est activement impliqué dans le processus d’exécution de l’obligation à laquelle le débiteur est tenu, cette obligation ne peut être qu’une obligation de moyens. Il est, en effet, impossible d’imposer une obligation de résultat là où le créancier n’est pas le seul maitre de l’obtention du résultat.

Le juge va prendre en compte la qualité de l’auteur, la nature du dommage et de l’obligation, la présence d’un aléa et la participation active du créancier ; la combinaison de ces éléments constituant un faisceau d’indices lui permettant de rechercher la volonté des parties. Les modes de preuve sont libres (témoins, expertises) et si la faute est prouvée, la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle sera établie à moins que l’auteur ne puisse dénier l’existence d’un lien de causalité entre sa faute et le dommage.

  • La portée de la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat

  1. L’obligation de l’avocat et du médecin

Concernant les obligations de donner et de ne pas faire (article 1126 du Code civil), il s’agit sans nul doute d’obligations de résultat parce qu’à été promis un résultat absolu, non susceptible de plus ou de moins (exemple : transférer la propriété, ne pas faire concurrence, livraison d’une chose à telle date). Concernant les obligations de faire, elles peuvent être de moyens ou de résultat. En matière médicale, la question de la nature de l’obligation du médecin s’est posée à plusieurs égards. Les progrès de la médecine ont poussé la jurisprudence à reconnaître de plus en plus une obligation de résultat alors que les aléas de la médecine avaient traditionnellement fait opter les tribunaux pour une obligation de moyens.

Le médecin s’engage non pas à guérir mais à mettre en œuvre tous les moyens afin d’améliorer l’état du patient. Le célèbre arrêt Mercier de 1936 est aujourd’hui repris à l’article L.1142-1 du Code de la santé publique tel qu’il résulte de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il réaffirme le principe de responsabilité pour faute « les professionnels de santé (…) ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic et de soins qu’en cas de faute ».

Cependant, afin de ne pas pénaliser les patients, la même loi a prévu un système d’indemnisation pour les dommages les plus graves et la Cour de cassation admet des exceptions au principe de responsabilité pour faute pour les infestions nosocomiales ainsi que pour les dommages causés par les produits de santé. Le médecin étant également tenu d’une obligation d’information, la jurisprudence avait d’abord retenu que le patient devait rapporter la preuve de l’inexécution de l’obligation avant de décider en 1997, qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation.

 La responsabilité de l’avocat peut également être recherchée s’il manque à son devoir de conseil. Il doit en effet conseiller un fondement juridique qui ne soit pas erroné pour l’action en question (Civ. 1ère, 16 septembre 2010). Les manquements ne s’apprécient qu’au regard du droit positif : la Cour de cassation a jugé qu’on ne pouvait reprocher le fait de ne pas s’être fondé sur un revirement quand ce dernier n’a pas encore eu lieu (Civ. 1ère, 15 décembre 2011). Ainsi, tout en retenant la qualification de l’obligation de moyens, la jurisprudence impose l’application, au titre des diligences à accomplir, d’un référant strict à l’encontre de l’avocat mais il n’a pas été jugé tenu de rappeler à son client le nécessaire respect de l’obligation générale de bonne foi (Cass. civ., 1ère, 31 octobre 2012).

  1. Des catégories intermédiaires

A partir de quelques textes épars concernant le régime de certains contrats spéciaux, la jurisprudence a pu ajouter des catégories intermédiaires d’obligations dans lesquelles le débiteur devrait rapporter simplement la preuve de son absence de faute pour se dégager. Il en est ainsi concernant le contrat d’entreprise, l’article 1789 du Code civil ne rend l’entrepreneur responsable de la chose qui lui a été confiée que si la perte de cette chose est due à sa faute ; la jurisprudence admettant néanmoins que cette faute est présumée et que l’entrepreneur doit, pour se dégager, prouver son absence de faute. Cette catégorie, généralisée dans les contrats de restitution, semble aussi parfois s’appliquer à une obligation de sécurité.

 Il s’agit là d’une obligation de moyens renforcée, parfois appelée obligation de résultat atténuée : c’est bien au débiteur qu’il incombe de se dégager mais la preuve exigée est plus aisée que celle de la force majeure. Il existe également une obligation de résultat renforcée pour laquelle aucune cause d’exonération totale n’est envisageable.

Dans ce contexte, la volonté des parties est très importante et le faisceau d’indices évoqués n’a plus d’intérêt. Ces catégories intermédiaires sont en voie de régression. Une partie de la doctrine soutient néanmoins que cette distinction binaire est sans doute trop primaire pour refléter la réalité contractuelle contemporaine et qu’il faudra certainement la reconsidérer.

Sources :

  • Bertrand Fages, Droit des obligations, LGDJ, 4ème édition, 2013
  • François Terré, Philippe Simler, Yves Lequette, Droit civil : Les obligations, Dalloz, 11ème édition, 2013
  • Corinne Renault-Brahinsky, Droit des obligations, Gualino, 11ème édition, 2014
  • Code civil 2014

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