L’originalité de l’œuvre musicale a des composantes qui lui sont spécifiques, tant au niveau de sa nature (I. La nature de l’originalité de l’œuvre musicale) que de sa preuve (II. La preuve de l’originalité de l’œuvre musicale).
I. La nature de l’originalité de l’œuvre musicale
L’originalité de l’œuvre musicale a son siège dans l’un des éléments de cette dernière. Cette originalité prend certaines particularités dans le cas des œuvres dérivées et des œuvres composées avec l’assistance d’un ordinateur.
A. Les éléments de l’œuvre susceptibles d’originalité
L’œuvre de musique est une combinaison de trois éléments : la mélodie, l’harmonie et le rythme.
1. La mélodie
La mélodie est l’élément principal d’identification d’une œuvre. Elle peut être originale en tant que telle, sauf en cas de simplicité confinant à la banalité. C’est l’élément principal à examiner pour juger de l’originalité d’une œuvre.
Une œuvre qui emprunte une mélodie à une œuvre antérieure ne peut en général se voir reconnaître la qualité d’originalité. Le changement opéré par rapport à l’œuvre première dans l’harmonie et le rythme n’y change rien, en principe. Ainsi, de simples différences rythmiques ne confèrent pas d’originalité à la reprise d’une ligne mélodique (Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 5 décembre 2007, 05/18 502, au sujet de la chanson "Seul" de la comédie musicale 'Dom Juan' dont le refrain reprend les 21 premières notes de la chanson "Mon frère" de Maxime Le Forestier [1]).
2. L’harmonie
L’harmonie est une succession d’accords. Elle n’est pas originale en tant que telle, en principe. Certains enchaînements d’accords peuvent d’ailleurs être courants dans un genre donné.
En conséquence, la reprise d’une harmonie d’une œuvre antérieure n’exclut pas l’originalité, dès lors que la mélodie est bien différente.
3. Le rythme
Le rythme est l’organisation des événements musicaux dans le temps. En principe, il n’est pas original en tant que tel et sa reprise d’une œuvre antérieure ne constitue pas une contrefaçon. Bien souvent, le rythme est propre à un genre donné et appartient au fonds commun de création des compositeurs.
4. La combinaison des éléments
L’œuvre musicale est une combinaison de mélodie, d’harmonie et de rythme perçus simultanément. L’appréciation de l’originalité se fait sur la base de cette impression d’ensemble. Pour la Cour de cassation, l’originalité de l’œuvre musicale "doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments, fussent-ils connus, qui la composent, pris en leur combinaison." (Civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-11944 [2].
5. Étendue de l’originalité
L’originalité de l’œuvre musicale n’est recherchée qu’aux fins d’une protection contre la contrefaçon. Or cette protection ne s’étend pas à l’intégralité de l’œuvre; elle n’est en fait accordée qu’aux éléments porteurs d’originalité.
B. L’originalité de l’œuvre dérivée
L’œuvre musicale peut clairement s’inspirer d’une œuvre antérieure et recevoir néanmoins la protection du droit d’auteur. Pour cela, l’œuvre dérivée doit justifier d’une originalité propre, en particulier au regard de l’œuvre dont elle dérive.
1. L’arrangement
L’arrangement est défini par la Sacem dans son règlement général [3] à l’article 68, selon lequel « constitue un arrangement la transformation d’une œuvre musicale avec ou sans paroles par l’adjonction d’un apport musical de création intellectuelle ».
Les arrangements sont originaux s’ils portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur et ne résultent pas de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire technique. Les juges vérifient la marge de liberté dont l’arrangeur disposait et l’apport créatif fait à l’œuvre d’origine.
2. L’adaptation
L’adaptation est l’interprétation d’une œuvre dans un autre style. Elle est originale si elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, mais la plupart du temps, elle ne bénéficie que de la protection du droit d’artiste-interprète.
3. La compilation
La compilation est courante dans le domaine du disque et sa protection est moins évidente que le recueil littéraire. Il faut des choix originaux reflétant la personnalité du compilateur. Or la plupart des compilations musicales ne résultent pas de choix créatifs, mais commerciaux; or la simple juxtaposition d’œuvres d’un artiste ou d’un genre donné n’est pas considérée comme originale.
4. La transcription
La transcription est l’adaptation à un instrument donné d’une œuvre destinée à l’origine à autre instrument. C’est un exercice technique n’exigeant pas de créativité particulière. Simple reproduction de l’œuvre première, elle ne donne pas lieu à la protection du droit d’auteur.
5. La variation
D’après le Dictionnaire encyclopédique de la musique d’Oxford, la variation est "une structure strophique ou la première section présente [un thème d’une œuvre antérieure] qui est ensuite répété de nombreuses fois avec diverses modifications." Celles-ci sont des changements mélodiques, harmoniques et rythmiques. La protection du droit d’auteur est accordée à la variation lorsque les changements opérés aboutissent à une œuvre originale qui se démarque de l’œuvre première.
6. L’improvisation
Elle peut prétendre à la qualité d’œuvre autonome, sous condition d’originalité. L’improvisation doit alors dépasser la simple reproduction de motifs courants dans le genre considéré.
Par exemple, les improvisations du guitariste flamenco Manitas de Plata ont été jugées originales parce que les morceaux qu’il exécute sont assortis "d’un accompagnement qui est son œuvre personnelle" et qu’il "crée même de toute pièce des fandangos, chants et danses gitans" (Civ. 1, 1 juillet 1970, n° 68-14.189 [4]).
C. L’originalité de l’œuvre composée avec l’assistance d’un ordinateur
L’originalité de l’œuvre musicale composée à l’aide d’un ordinateur est reconnue, à condition que l’œuvre tienne à des choix personels et non à la seule application d’un programme informatique. Ainsi, "le recours à des instruments ou à des outils pour la création ne fait pas obstacle à la protection d’une œuvre musicale, la composition musicale assistée par ordinateur, dès lors qu’elle implique une intervention humaine et des choix de l’auteur, conduisant à la création d’une œuvre originale et comme telle protégeable, quelle que soit l’appréciation sur son mérite ou sa qualité qui est indifférente" (Cour d’appel de Paris – 15 mars 2016 – n° 042/2016).
Le juge recherchera les choix esthétiques et arbitraires faits par l’auteur qui sont les signes d’une "création intellectuelle" personnelle permettant au compositeur d’exprimer "son esprit créateur de manière originale" (même arrêt). On notera dans les indices d’originalité relevés par le juge une référence à l’effort intellectuel qui rappelle la qualification de l’originalité dans les œuvres utilitaires, notamment celles du domaine de l’informatique.
II. La preuve de l’originalité de l’œuvre musicale
A. L’absence d’antériorité
1. L’absence d’antériorité, un indice objectif d’originalité
L’originalité de l’œuvre musicale est difficile à apprécier en raison de la nature abstraite de la musique. Le juge se sert beaucoup du critère de la nouveauté, qui est objectif et vérifiable.
L’œuvre est considérée comme originale en l’absence d’antériorité : "une œuvre musicale répond [au critère d’originalité] si aucune antériorité musicale n’est rapportée" (TGI Paris, 3e ch., 29 juin 1987, V. Sanson c/ R. Palmer, Cah. dr. auteur 1988, no 2, p. 29).
2. La charge de la preuve de l’originalité
L’originalité est présumée tant qu’aucune preuve contraire n’est rapportée. C’est à celui qui conteste l’originalité de l’œuvre musicale d’administrer la preuve de l’antériorité. En pratique, il s’agit de l’auteur accusé de contrefaçon qui conteste l’originalité de l’œuvre première auquel il a fait des emprunts.
3. La recherche d’antériorités
Le juge confie à un expert la tâche de comparer l’œuvre première empruntée à l’œuvre invoquée qui lui est antérieure. Le rapport d’expertise, très technique, établit une comparaison détaillée des œuvres en cause. L’antériorité est constituée par un élément d’une œuvre antérieure semblable à un élément de l’œuvre prétendument contrefaite.
4. L’appréciation du juge
La reprise, même partielle et brève, d’une œuvre première originale dans une œuvre seconde peut constituer une antériorité.
Le juge s’attachera davantage aux ressemblances qu’aux différences. L’existence de ressemblances suffit d’ailleurs à établir la contrefaçon, indépendamment de l’existence de différences (Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 2, 20 janvier 2012 - n° 11/01924).
Si l’absence d’antériorité est suffisante à prouver l’originalité de l’œuvre musicale, elle n’est cependant pas nécessaire pour y parvenir. Il peut y avoir originalité malgré la présence d’emprunts.
B. L’originalité de l’œuvre musicale usant d’emprunts
1. L’emprunt discret
L’emprunt est discret lorsqu’il ne constitue pas un élément caractéristique de l’œuvre nouvelle. Celle-ci peut alors jouir de la protection du droit d’auteur. C’est le cas de l’œuvre dérivée reconnue originale.
Pour la Cour de cassation, "tout auteur est libre de puiser son inspiration dans le folklore, sans que, pour autant, son œuvre perde son caractère original, dès lors qu’il traite cette œuvre suivant son tempérament et son style propre, et lui donne les caractères d’une composition véritable" (Civ. 1, 23 octobre 1962 [5]).
2. L’emprunt dépourvu d’originalité
L’antériorité peut manquer d’originalité, parce que l’emprunt est un élément d’une grande banalité ou un procédé courant d’un genre donné. L’auteur qui l’utilise ne commet aucune contrefaçon et son œuvre peut même être protégée si elle dispose d’éléments constitutifs d’originalité.
3. L’exception du caractère fortuit des ressemblances
En raison de sources d’inspiration commune, des ressemblances peuvent apparaître avec des œuvres du passé. L’antériorité peut alors être écartée en cas de bonne foi du compositeur. Celui-ci devra rapporter la preuve qu’il était dans l’ignorance de l’œuvre antérieure qui présente des ressemblances avec la sienne, soit que l’œuvre première n’était pas encore divilguée à la date de la composition de l’œuvre seconde, soit que sa diffusion resta confidentielle. Cette preuve est cependant difficile à rapporter, surtout en notre époque de diffusion numérique de la musique. La Cour de cassation a ainsi annulé un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait admis le caractère fortuit des ressemblances entre la chanson 'Djobi, Djoba' des Gipsy Kings et la chanson antérieure 'Obi Obá' d’El Principe Gitano qui n’avait été commercialisée en France qu’au Pays basque et en Catalogne française (Civ. 1, 16 mai 2006, n° 05-11.780 [6].
Sources :
[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000018859037
[2]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000031264064
[3]https://societe.sacem.fr/docs/Statuts_Reglement_general_2018.pdf
[4]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000006982832&fastReqId=1350118279&fastPos=16&oldAction=rechJuriJudi
[5]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000006961586&fastReqId=632818788&fastPos=5
[6]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007052427