Les conventions ayant pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d’une succession non encore ouverte ou d’un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi (Code civil, article 722).
La prohibition des pactes sur succession future est, avec la protection de la réserve, une pièce maîtresse de l'ordre public successoral, frappant de nullité absolue les actes de celui qui aliène sa liberté de tester ou qui, de son vivant, règle contractuellement la dévolution de sa succession.
La prohibition de pactes sur succession future est une composante de l'ordre public familial et exprime une limite à la liberté contractuelle. L'ordre public successoral connaît un mouvement de repli particulièrement net avec la possibilité de renoncer à l’action en réduction. Antérieurement, les réformes législatives sont intervenues ponctuellement : loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 sur les régimes matrimoniaux autorisant les clauses d’attributions ou d’acquisition des biens propres des époux, loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ayant modifié l'alinéa 2 de l'article 1868 du Code civil , loi n° 71-523 du 3 juillet 1971 (JO 4 juill. 1971) sur les rapports à succession et la réduction des libéralités, loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 sur le divorce permettant aux époux qui se séparent de corps par consentement mutuel, d'inclure dans leur convention une renonciation aux droits successoraux réservés au conjoint survivant, loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 précitée. Cette dernière loi introduit de lourdes exceptions.
Reprenant les analyses doctrinales, la Cour de cassation a défini ainsi le pacte sur succession future : « Ne constitue un pacte sur succession future que la convention qui a pour objet d'attribuer un droit éventuel sur tout ou partie d'une succession non ouverte » (Cour de cassation, Chambre 1re civile du 18 mai 1994, n° 92-11.829 : JurisData n° 1994-001270).
Toutefois, cette prohibition trouve ses limites, avec l'article 1075 du Code civil, lequel permet la distribution et le partage de ses biens et de ses droits avant l'ouverture de sa succession sous forme de donation-partage ou de testament-partage. Le testament-partage produit les mêmes effets qu'un partage, et les bénéficiaires (tout héritier présomptif) ne peuvent renoncer à se prévaloir du testament pour réclamer un nouveau partage de la succession (Code civil 1079 et art. 722 issu de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001).
Bien entendu, si l'un des héritiers réservataires était bénéficiaire d'un lot d'une valeur insuffisante par rapport au montant de sa réserve, une action en réduction pourra rétablir une répartition conforme à la loi (Code civil 1080). Avant la réforme, initiée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, seuls les descendants étaient habilités à bénéficier de ces dispositions.
En outre, la prohibition des pactes sur succession future s'applique au partage successoral et le notaire doit donc se montrer prudent en la matière.
I) Exposé des fondements
A) Illicéité fondée sur une considération morale
Dans une formule saisissante de réprobation, les pactes sur succession future sont appelés pactum corvinium : le pacte des corbeaux est la marque d’infamie qui caractérise ces accords de volonté. L’immoralité du pacte sur succession future est le premier argument dans l’ordre chronologique. Née à Rome, la pratique des pactes sur succession future fut sévèrement condamnée pour des considérations morales.
Il s’agissait de mettre un terme à l’esprit de spéculation qui animait les captateurs d’héritage (captores hereditatum) parvenus à se faire instituer par convention les héritiers de vieillards en instance de mourir, mais aussi des fils de famille qui, pressés par le besoin d’argent, avaient négocié à des usuriers les droits détenus dans la succession non ouverte de leur père. Ces pactes successoraux furent interdits, non pas pour absence d’objet, mais parce qu’ils bafouaient les principes moraux de l’époque.
À l’inverse, les conventions qui organisent la dévolution de toute la succession sont devenues valables à Rome lorsqu’elles sont devenues acceptables sous l’angle de la moralité publique. À ce sujet, les rédacteurs du Code civil ont-ils manqué de l’esprit de nuance ?
On peut le croire puisque le spectre du votum mortis était dans le Discours préliminaire de Portalis : "la cupidité qui spécule sur les jours d’un citoyen est bien souvent voisine du crime qui peut les abréger". Plus loin, il ajoutait que "la successibilité n’est point un droit naturel : ce n’est qu’un droit social qui est entièrement réglé par la loi politique ou civile, et qui ne doit point contrarier les autres institutions sociales" (Discours préliminaire sur le projet de Code civil, in Discours et rapports sur le Code civil : PU Caen, 1989, p. 1 à 62, spécialement p. 61).
B) Illicéité fondée sur tout ou partie de la succession
Un pacte sur succession future a nécessairement pour objet une succession non ouverte. Mais cette condition peut être entendue plus ou moins strictement. Et, de façon générale, la jurisprudence a tendance à adopter les positions les plus sévères : elle applique la prohibition aux actes portant sur la succession des parties comme aux actes portant sur la succession d’un tiers (6) ; et, dans ce dernier cas, l’accord de la personne dont on prétend régler la succession n’empêche pas la nullité.
La jurisprudence ne distingue pas davantage suivant que l’acte a pour objet d’augmenter ou de diminuer (par ex. par une renonciation) les droits successoraux de ceux qui l’ont passé. Et, ce qui est le plus lourd de conséquences, elle applique la prohibition des pactes sur succession future aux actes portant sur l’ensemble de la succession, une quote-part de celle-ci (Cass. req., 2 févr. 1874 : DP 1874, 1, p. 238 ; S. 1874, 1, p. 350 ; l’arrêt annule, comme pacte sur succession future, la cession, faite par un héritier présomptif, de sa part dans la succession à venir de son père, en paiement forfaitaire de ses dettes. – Cass. civ., 9 mai 1894 : DP 1894, 1, p. 546 ; l’arrêt annule, pour la même raison, un cautionnement donné par un père de famille à un créancier de son fils, avec stipulation que le créancier ne pourrait se payer qu’après son décès, dans sa succession, sur la quote-part de celle-ci revenant au fils débiteur).
La solution est maintenant claire, même si elle était acquise dès 1845, date à laquelle la Cour de cassation a jugé qu’en prohibant sans distinction les conventions sur une succession non ouverte, le Code civil a compris dans ses dispositions, tout aussi bien l’aliénation d’une chose particulière que celle de la totalité, ou d’une quote-part de cette succession.
II) Sanction du pacte prohibé
A) Sanction d’ordre public
La sanction essentielle de la prohibition des pactes sur succession future est la nullité absolue de l’acte, en raison des motifs d’ordre public sur lesquels repose la règle prohibitive.
Dès 1903, la Cour de cassation a jugé, après avoir rappelé le contenu des articles 791 et 1130 du Code civil, cités au visa d’un arrêt de cassation, que "ces prohibitions sont formelles et d’ordre public, et que toute convention qui a pour conséquence de les éluder est nulle aux termes de l’article 6 du Code civil". Les arrêts consacrant la nullité absolue sont assez nombreux (7).
Leur influence est encore présente dans des pourvois récents (8). Néanmoins, l’étude de la jurisprudence met en évidence que le débat porte davantage sur la qualification de l’acte que sur sa sanction. Ainsi, dans de nombreux arrêts, la nullité du pacte prohibé est sous-jacente ou évoquée, comme une évidente conséquence.
B) La responsabilité du notaire rédacteur de l’acte irrégulier
Si la nullité du pacte prohibé a causé un préjudice à autrui, notamment aux parties qui se seraient fiées, de bonne foi (V. a contrario : CA Montpellier, 1re ch., sect. A, 27 nov. 2001, n° 00/01207 : JurisData n° 2001-164939. – CA Grenoble, 1re ch., 27 mai 2002, n° 00/02220 : JurisData n° 2002-203144, où la mauvaise foi est une exception efficace à l’action en responsabilité délictuelle), aux conventions qu’elles croyaient valables et les auraient exécutées, cette sanction peut s’accompagner, suivant le droit commun, d’une action en responsabilité.
Comme il s’agit souvent d’actes authentiques, l’action en responsabilité sera plus souvent dirigée contre le notaire rédacteur, qu’à l’encontre du cocontractant que son ignorance met à l’abri : il est plus souvent victime que fautif. Le préjudice subi par le demandeur à l’action en responsabilité devra être réparable en droit, c’est-à-dire être certain, direct et personnel. Une faute délictuelle devra avoir été commise par le notaire qui a instrumenté l’acte, en dépit de la prohibition des pactes sur successions future.
Le principe de la responsabilité éventuelle de l’officier ministériel ne fait pas de doute (V. par exemple, CA Bordeaux, 8 juin 1954 : Gaz. Pal. 1954, 2, p. 289), mais il ne faut pas oublier qu’en raison de la complexité de la notion de pacte sur succession future, le juge ne pourra relever une faute à la charge du notaire que s’il a accepté d’insérer dans un acte une clause dont la nullité, comme pacte sur succession future, était incontestable au jour où l’acte a été dressé. On ne peut pas demander au notaire de deviner les évolutions et les nuances, souvent imprévisibles, de la jurisprudence.
La Cour de cassation a jugé, à propos d’une question étrangère au pacte sur succession future, que "les éventuels manquements d’un notaire à ses obligations professionnelles ne peuvent s’apprécier qu’au regard du droit positif existant à l’époque de son intervention, sans qu’on puisse lui imputer la faute de n’avoir pas prévu une évolution ultérieure du droit ; qu’en énonçant que l’on ne pouvait reprocher à M. X. de n’avoir pas prévu un revirement de jurisprudence, la cour d’appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision, sans introduire la discrimination évoquée par le troisième grief du moyen" (9).
La tendance actuelle est néanmoins à plus de sévérité – Cour de cassation, 1re chambre civile du 14 mai 2009, n° 08-15.899 : JurisData n° 2009-048152 ; Bull. civ. 2009, I, n° 92, à propos de la responsabilité d’un avocat ayant commis la faute de ne pas tenir compte d’une "évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l’extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer" (10).
Les recours contre les notaires demeurent exceptionnels. Néanmoins, la Cour de cassation est parfois sévère.
Dans cette affaire, elle a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt qui avait condamné à des dommages-intérêts in solidum un "conseiller en investissements viagers" et un notaire, qui avaient introduit dans des actes de vente (sous seing privé en ce qui concerne le conseiller, authentique en ce qui concerne le notaire) une clause stipulant que le prix serait payé en dix annuités ou seulement jusqu’au décès du vendeur si celui-ci survenait avant l’expiration du délai de dix ans.
Qu’il soit annulé ou simplement exposé à la nullité, le pacte prohibé peut néanmoins faire l’objet d’un nouvel acte : la validité de ce pacte est un tempérament à la nullité.
NB : a jurisprudence a néanmoins admis des tempéraments à la nullité, en cas de volonté des héritiers de réitérer l’acte irrégulier dans un acte valable.
SOURCES :