L’intéressée et son conjoint portent plainte avec constitution de partie civile, estimant que l’enregistrement (ultérieurement diffusé sur une chaîne de télévision) procède d’une violation du secret professionnel (Code pénal, article 226-13) et constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée (Code pénal, article 226-1). La chambre de l’instruction confirme l’ordonnance de non-lieu aux motifs (concernant la seconde infraction), d’une part, que l’image et les paroles d’une personne placée en garde à vue ne relèvent pas de l’intimité de sa vie privée et, d’autre part, que, en l’espèce, la suspecte, qui avait vu la caméra, ne s’était pas opposée à l’enregistrement comme elle en avait la possibilité. Mais la Cour de cassation est d’un avis contraire sur ces deux aspects.
En premier lieu, elle déclare que « l’enregistrement de la parole ou de l’image d’une personne placée en garde à vue est susceptible de constituer une atteinte à l’intimité de sa vie privée ». L’affirmation, quoique discutable, ne surprend pas au vu de la jurisprudence antérieure. Il y a tout d’abord lieu d’observer que, en l’état de la rédaction de l’article 226-1 du Code pénal, l’« atteinte à l’intimité de la vie privée » d’autrui n’est pas simplement le nom du délit prévu par ce texte, mais plus encore l’un de ses éléments constitutifs, qui s’ajoute donc à l’acte de captation, d’enregistrement ou de transmission de paroles prononcées à titre privé ou confidentielles ou à celui de fixation, d’enregistrement ou de transmission de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé (réalisé au moyen un procédé technique).
Or, si la Cour de cassation ne nie pas directement que cette atteinte soit bien une composante de l’infraction, elle en neutralise cependant l’exigence. Elle estime en effet – comme cela a pu être dit dans une autre affaire – que « constitue une atteinte volontaire à l’intimité de la vie privée le seul fait de fixer, enregistrer et transmettre sans le consentement de celle-ci l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé », formule qui revient à affirmer que l’atteinte est ipso facto vérifiée lorsque le reste des éléments constitutifs de l’infraction est caractérisé. Cette position permet alors de considérer fictivement, car contre les évidences, que les agissements sont attentatoires à l’intimité de la vie privée (par exemple lorsqu’est captée l’image de jurés d’assises en train de délibérer), comme c’est le cas dans l’arrêt rapporté : la garde à vue d’un individu n’a pas rapport à sa vie privée, et encore moins à l’« intimité » de celle-ci, c’est-à-dire à ce qu’il y a de plus profond en elle.
Si elle confirme ainsi une jurisprudence désormais bien établie, la décision commentée n’en est pas moins intéressante, car cette jurisprudence a surtout cours lorsqu’est en cause l’image des personnes : en fait de paroles, la chambre criminelle a au contraire déjà admis qu’un enregistrement puisse ne pas entraîner d’atteinte à l’intimité de la vie privée, eu égard à la teneur des propos alors que la première chambre civile se montre, à l’inverse, insensible à cette éventualité6. Or, la Cour de cassation retient en l’espèce que c’est indifféremment « l’enregistrement de la parole ou de l’image » d’une personne placée en garde à vue qui est de nature à porter atteinte à sa vie privée, par des motifs (« ou ») qui alignent ainsi le sort des paroles sur celui de l’image.
En second lieu, la Cour de cassation énonce qu’« une personne faisant l’objet d’une garde à vue n’est pas en mesure de s’opposer à cet enregistrement ». L’affirmation ne doit pas être prise au pied de la lettre, puisque l’intéressé peut fort bien, de facto, manifester oralement et ostensiblement son désaccord. La haute juridiction entend donc plutôt signifier que, privé de liberté par l’effet d’une « mesure de contrainte » (Code de procédure pénale, article 62-2, al. 1er), l’individu n’est pas à même de se rebiffer face à des journalistes entreprenants. En conséquence, nonobstant son éventuelle placidité, la présomption de consentement, posée par l’article 226-1, alinéa 2, du Code pénal en cas d’actes accomplis au vu et au su de la personne concernée et sans opposition de sa part, ne peut jouer.
Pour conclure, l’on tirera de l’arrêt un double enseignement. Premièrement, les policiers qui procèdent à l’enregistrement audiovisuel d’une garde à vue conformément à l’obligation procédurale prévue à l’article 64-1 du Code pénal, commettent un délit, mais qui est justifié par l’ordre de la loi (Code pénal, article 122-4, al. 1er). Deuxièmement, les journalistes qui filment la personne retenue avec l’accord de l’officier de police judiciaire commettent en revanche un délit punissable, car non justifiable par le commandement de l’autorité légitime (Code pénal, article 122-4, al. 4) ; quant à l’OPJ, il se rend complice de l’infraction par aide ou assistance, ou même par fourniture d’instructions, voire par provocation (Code pénal, article 121-7), en plus de faire fautivement échec au secret de l’enquête et de l’instruction et, sans doute, de violer le secret professionnel auquel il est tenu (Code pénal, article 226-13). Mais, sur ce tout dernier point, la Cour de cassation a en l’espèce déclaré maintenues les dispositions de l’arrêt de non-lieu.
I) Caractéristiques de l’atteinte à la vie privée résultant de l'enregistrement d'une garde à vue.
Selon l’article 9 du Code civil, « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
A) Éléments matériels
L’article 226-1, 1° du Code pénal vise la captation, l’enregistrement et la transmission de paroles, par des moyens techniques appropriés.
· Paroles
Par parole, il faut entendre toute expression d’une pensée manifestée en un langage articulé ou même en des gestes pour des sourds-muets. Ce n’est pas la voix qui est protégée, ni même les sons proférés ou exprimés, comme la musique créée par un compositeur, les cris ou les bruits quelconques. La protection légale concerne les propos tenus, quelle que soit la langue utilisée.
Peu importe que les propos soient inaudibles : l’article 226-1, 1° pourra trouver à s’appliquer (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 19 mai 1981, 80-94.634).
· Captation
L’article 226-1, 1° vise, en premier lieu, la captation clandestine de paroles, qu’elle s’accompagne ou non de l’enregistrement des propos tenus. Le texte ne distingue pas, en effet, selon que les paroles sont échangées directement ou par l’intermédiaire d’un appareil, qu’il s’agisse d’un téléphone ou de tout autre mode de communication partiellement ou exclusivement audio (ex. : audio ou visioconférence).
Ainsi est punissable l’écoute clandestine à l’aide de stéthoscopes très sensibles appliqués sur la cloison pour surprendre les propos tenus dans la pièce voisine, de mini-micros dissimulés dans la pièce elle-même.
A été déclaré coupable d’atteinte à l’intimité de la vie privée, le directeur d’une entreprise qui, au moyen d’un interphone installé dans le local servant de cantine aux employées, avait écouté les conversations de celles-ci réunies en ces lieux à l’occasion du déjeuner, alors que ces conversations étaient relatives non seulement à la vie professionnelle, mais aussi à l’intimité de la vie privée de différentes personnes (T. corr. St-Étienne, 19 avr. 1977 : D. 1978, p. 123, note R. Lindon).
· Enregistrement
L’article 226-1, 1° vise, en deuxième lieu, l’enregistrement clandestin de paroles.
Seul l’enregistrement de paroles prononcées par une personne est réprimé. Ainsi, il a été jugé, sous l’empire de l’ancien article 368 du Code pénal, que la pose, sur la ligne téléphonique du plaignant et à sa demande, d’un appareil enregistrant le numéro de l’abonné appelant, ainsi que la date et l’heure de l’appel, ne constituait pas une infraction à l’article précité (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 16 janvier 1974, 73-92.072).
Il a de même été jugé que les enregistrements d’appels téléphoniques anonymes et réitérés, à la diligence du destinataire, afin de permettre l’identification de l’auteur, ne présentaient pas le caractère d’une atteinte à l’intimité de la vie privée de l’auteur desdits appels (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 2 mars 1992, 91-84.325).
L’article 226-1, 1°, comme l’ancien article 368, sanctionne le fait d’enregistrer, au moyen d’un appareil quelconque, des paroles prononcées à titre privé par une personne, sans le consentement de celle-ci, et ce quels que soient les résultats techniques de l’enregistrement, les propos enregistrés seraient-ils inaudibles.
A été déclaré coupable d’atteinte à la vie privée un employeur qui avait dissimulé un magnétophone à déclenchement vocal dans le faux plafond du bureau occupé par deux de ses employés (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 24 janvier 1995, 94-81.207).
De même a été retenue la culpabilité d’une pharmacienne qui, devant subir une période d’hospitalisation, avait fait installer clandestinement dans son officine un dispositif permettant d’écouter et d’enregistrer les conversations tenues dans cette officine, confiée à la direction d’une gérante, l’installateur de l’appareil étant déclaré auteur du délit et la pharmacienne complice de ce délit.
Il a été jugé que le délit d’atteinte à la vie privée était caractérisé dans le cas où, à la suite d’une ordonnance de non-conciliation entre des époux, il avait été constaté que deux lignes téléphoniques desservant l’appartement de l’épouse étaient dérivées vers celui occupé par le mari dans un autre immeuble, celui-ci ayant reconnu avoir fait placer du matériel d’écoute et avoir procédé à des enregistrements.
B) Élément intentionnel
Aux termes de l’article 121-3 du Code pénal, il n’y a point de délit sans intention de le commettre. Il en est ainsi du délit de l’article 226-1, 1°, qui précise que celui-ci doit avoir été commis “volontairement”. Aucun dol spécial n’est cependant requis. Mais il ne suffit pas que l’auteur ait agi avec la conscience qu’il se livrait à un acte illicite ; il faut aussi qu’il ait eu la volonté de porter atteinte à la vie privée d’autrui.
Cet élément intentionnel avait été souligné par la Cour de cassation (Cass. crim., 3 mars 1982 : Bull. crim. 1982, n° 68 ; D. 1982, jurispr. p. 579, note Lindon) qui a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt ayant constaté que les propos téléphoniques tenus par une personne dans un lieu privé avaient été enregistrés à son insu et qu’au cours de la communication, cette personne avait été notamment appelée à parler de sa vie conjugale et de ses relations personnelles avec un tiers, après avoir été mise en condition et soumise à un véritable questionnaire soigneusement préparé et orienté. Par un arrêt du 7 octobre 1997, la chambre criminelle a, à nouveau, relevé que le délit n’est punissable que si le prévenu a eu la volonté de porter atteinte à la vie privée d’autrui (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 7 octobre 1997, 96-81.485).
De même, la chambre criminelle a approuvé une cour d’appel qui, pour dire établi en tous ses éléments, y compris l’élément intentionnel, le délit d’atteinte à la vie privée, a retenu que les interceptions pratiquées de manière clandestine et irrégulière sur les lignes téléphoniques du domicile ou du local professionnel des parties civiles avaient, par leur conception, leur objet et leur durée, nécessairement conduit les auteurs de ces écoutes à pénétrer dans l’intimité de la vie privée des personnes concernées et de leurs interlocuteurs (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 30 septembre 2008, 07-82.249, Publié au bulletin).
II) Les conséquences d’ordre procédural de l’enregistrement d’une personne gardée à vue
A) Absence de consentement de l’auteur des paroles
S’agissant de cette seconde condition, l’enregistrement n’est constitutif, aux termes de la disposition précitée, que si la personne dont les paroles ou l’image ont été captées n’a pas consenti à cet enregistrement, alors que le consentement est présumé lorsque l’enregistrement a été accompli au vu et au su de la personne enregistrée sans qu’elle s’y soit opposée, tout en étant en mesure de le faire. De ce fait, soit l’enregistrement par le journaliste a lieu à l’insu de la personne gardée à vue, auquel cas l’absence de consentement est établie, ce qui permet la constitution de l’infraction.
Soit, à l’opposé, l’enregistrement par le journaliste a lieu au vu et au su de la personne gardée à vue. En pareille hypothèse, à suivre la chambre criminelle, le consentement de la personne fait défaut, car, bien que l’enregistrement n’ait pas été accompli à son insu, elle n’était pas en mesure de s’y opposer. Pareille solution est parfaitement cohérente et est aisément justifiable par la coercition attachée à la garde à vue. La personne gardée à vue ne peut, en effet, quitter les locaux de police ou de gendarmerie pour s’opposer à l’enregistrement.
Elle ne peut non plus intimer efficacement l’ordre au journaliste de cesser l’enregistrement étant donné qu’elle est privée de liberté, qu’elle est tenue à la disposition de l’officier de police judiciaire (OPJ) alors que la mesure dont elle fait l’objet est placée sous le contrôle du procureur de la République, ceci conformément aux articles 62-2 et suivants du Code de procédure pénale.
La situation de la personne gardée à vue est, à ce titre, totalement inverse à celle de l’OPJ filmé pendant l’exercice de ses missions qui peut, contrairement à cette dernière, s’opposer à la captation de ses paroles ou de son image, ce qui mettrait alors un obstacle à la constitution du délit de l’article 226-1 du Code pénal.
Le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée apparaissant pleinement constitué par l’enregistrement, effectué par un journaliste, d’une personne gardée à vue, reste, en second lieu, posée la question de savoir si un tel journaliste peut, particulièrement si sa présence lors de la garde à vue a été autorisée par les représentants de l’autorité publique, invoquer avec succès un fait justificatif pour s’exonérer. La réponse apparaît négative au regard des deux faits justificatifs qui semblent les plus pertinents en la matière, en l’occurrence la liberté d’expression et le commandement de l’autorité légitime.
S’agissant du premier, le journaliste auteur de l’enregistrement de la garde à vue ne semble pas pouvoir s’appuyer sur l’information du public sur les enquêtes de police pour éviter le prononcé d’une condamnation.
Cette position se justifie aisément au regard de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, le 2 mars 2018, relativement aux limites à la liberté d’expression, qui découlent de l’article 11 du Code de procédure pénale et rendent illégitime la présence de journalistes lors des perquisitions, dans laquelle cette dernière disposition a été déclarée conforme à la Constitution. Or la garde à vue étant couverte, au même titre que les perquisitions, par le secret, l’article 11 du Code de procédure pénale doit, en la matière, l’emporter sur la liberté d’expression, liberté qui ne devrait donc pouvoir paralyser le jeu de l’article 226-1 du Code pénal.
S’agissant, du commandement de l’autorité légitime, l’autorisation qu’aurait reçue le journaliste de l’OPJ ou du procureur de la République de filmer une personne gardée à vue ne vaut pas fait justificatif.
Une autorisation ou une tolérance de l’autorité administrative n’est pas, en effet, un ordre, seul de nature à neutraliser l’article 226-1 du Code pénal. Pareille autorisation ou tolérance semble, par ailleurs, difficilement permettre de retenir l’erreur invincible sur le droit10, tant son illégalité apparaît manifeste aussi bien au regard de la position de la chambre criminelle, qu’au regard de celle du Conseil constitutionnel sur le secret de l’enquête.
B) Invocation de l’article 11 du Code pénal
Une fois acquis le caractère constitutif, au sens de l’article 226-1 du Code pénal, de l’enregistrement, par un journaliste, des paroles ou de l’image d’une personne placée en garde à vue, reste posée la question des conséquences d’ordre procédural d’un tel enregistrement, de savoir s’il est de nature à permettre l’annulation de la garde à vue.
Dans l’absolu, une réponse positive devrait pouvoir être donnée à cette question, par référence aux solutions prétoriennes relatives à la présence de journalistes à l’occasion du déroulement des perquisitions dans le cadre de l’enquête de police ou de l’information judiciaire.
L’enregistrement, par un journaliste, du déroulement d’une garde à vue doit, en effet, et de la même manière que l’enregistrement du déroulement d’une perquisition, être regardé comme une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction de l’article 11 du Code de procédure pénale, qui permet, d’après la chambre criminelle, le prononcé de la nullité de l’acte de procédure considéré.
Par ailleurs, à transposer la solution issue de l’arrêt rendu le 9 janvier 2019 en matière de perquisitions, l’atteinte au secret de l’enquête de nature à justifier le prononcé de la nullité devrait pouvoir être caractérisée, qu’il y ait enregistrement ou non, par la seule et simple présence du journaliste à l’acte d’enquête, qu’il soit une perquisition ou une garde à vue, même si cette présence a été autorisée par l’autorité publique, sans qu’il importe qu’elle l’ait été par l’OPJ ou par le procureur de la République.
La question de la nature de la nullité ? Encore une fois, à suivre la jurisprudence rendue à propos des perquisitions, cette nullité devrait être une nullité d’ordre public, dispensant le demandeur de devoir rapporter la preuve d’un grief, dans la mesure où la violation du secret de l’enquête ou de l’instruction caractérisée par la présence ou les agissements du journaliste est regardée par la chambre criminelle comme portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne.
De la sorte, la personne qui a fait l’objet d’une garde à vue à laquelle ont assisté, avec l’autorisation de représentants de l’autorité publique, un ou plusieurs journalistes, apparaît bien fondée à demander, en invoquant une violation de l’article 11 du Code de procédure pénale, l’annulation de cette mesure, que les journalistes aient ou non procédé à un enregistrement. Et en cas d’enregistrement, à poursuivre les journalistes du chef d’atteinte à l’intimité de la vie privée, l’enregistrement des paroles ou de l’image d’une personne gardée à vue paraissant à la fois constitutive et difficilement justifiable.
SOURCES :