Il est fréquent que les sanctions du recel successoral soient invoquées par des cohéritiers à l’encontre de l’un d’entre eux et notamment lorsqu’il s’agit d’un héritier réservataire.
L’article 778, alinéa 2 du Code civil dispose d’ailleurs que « lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part ».
Une personne étant décédée en ayant institué deux légataires universels en l’absence d’héritier ab intestat, l’un d’eux invoque à l’encontre de l’autre les sanctions du recel. Sa demande est rejetée par la cour d’appel au motif qu’en l’absence d’héritier ab intestat et a fortiori de réservataires, il ne pouvait y avoir ni rapport, ni réduction.
La Cour suprême censure l’arrêt pour méconnaissance du premier alinéa de l’article 778 du Code civil. En effet, le recel existe dès lors qu’un légataire a diverti des droits d’une succession. Dans l’espèce jugée, l’un des légataires avait perçu des sommes par remise de chèques et retraits par carte bancaire.
Il n’y aurait pas eu recel si la preuve de libéralités avait été apportée puisqu’il n’y avait ni rapport, ni réduction, mais la cour d’appel n’avait pas recherché, comme elle y était invitée, si les avantages consentis par le défunt à l’un des légataires constituaient des libéralités. Si tel avait été le cas, il n’y aurait pas eu recel successoral, mais si la preuve de l’intention libérale n’était pas établie, le légataire avait dissimulé l’existence de valeurs dépendant de la succession et encourait les sanctions du recel.
L’article 778 du Code civil prévoit les conditions et les effets du recel successoral dont traitait sous l’empire du droit antérieur l’ancien article 792 du Code civil. Ainsi, constitue un recel successoral pour la Cour de cassation toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l’égalité du partage quels que soient les moyens employés pour y parvenir.
Le recel successoral est donc un délit sanctionné par une peine privée, laquelle au demeurant est double.
D’une part, l’héritier se trouve déchu tant de la faculté d’accepter sous bénéfice d’inventaire que de celle de renoncer : il est considéré comme acceptant pur et simple.
D’autre part, il est privé de sa part dans les objets recelés que ses cohéritiers se partageront sans lui. Seuls peuvent rechercher la mise en œuvre de la sanction du recel, en le démontrant, les personnes en droit de se prévaloir de la qualité d’héritier, ou de créanciers du défunt.
En outre, la responsabilité du notaire dans l’existence du recel successoral commis par un ou des héritiers pose question. En effet, le notaire en tant qu’officier ministériel peut voir sa responsabilité être engagée pour sa négligence ou sa complicité dans l’existence d’un recel successoral.
La preuve de l’exécution du devoir de conseil incombe au notaire. Dans le domaine de la responsabilité notariale, les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité sont nulles, d’une nullité d’ordre public.
En raison de la sévérité des solutions jurisprudentielles, il importe que le notaire se ménage par avance la preuve de l’exécution de son obligation de conseil en faisant souscrire par son client une reconnaissance écrite des conseils donnés. Conformément au droit commun, pour pouvoir être indemnisé, le préjudice résultant d’une faute notariale doit être certain et actuel.
Le préjudice futur et la perte d’une chance représentent également des préjudices indemnisables. Toutefois, en matière de responsabilité notariale, la Cour de cassation apprécie avec une grande complaisance le caractère de certitude du préjudice : elle admet en effet le caractère certain du dommage en raison de la faute commise par l’officier public, même lorsque le demandeur dispose d’une action contre un tiers susceptible d’en assurer l’entière réparation, affirmant à cette occasion l’absence de subsidiarité de la responsabilité des notaires.
Le concours entre la faute commise par le notaire et la faute d’un tiers ou de la victime entraîne, en principe, un partage de responsabilité, sauf lorsque le demandeur est l’auteur d’une faute intentionnelle. Les procès en responsabilité notariale sont soumis aux règles de compétence territoriale et d’attribution ainsi qu’aux règles de prescription du droit commun.
I) Qu’est-ce que le recel successoral ?
A) Condition du recel successoral
En ce qui concerne l’élément matériel - On retrouve ici l’utilisation d’un faux. La falsification de document qui conduit à modifier le partage au profit de l’héritier. La présentation d’un faux testament instituant l’héritier légataire.
Il peut s’agir également de la dissimulation. En effet, toute dissimulation de biens ou droits de succession (Code civil, article 778) est susceptible d’être qualifiée de recel. Il en va notamment de :
- De la dissimulation d’une dette envers le défunt ;
- De la suppression de livres de commerce, factures et tout autre document afin de masquer la valeur d’un bien successoral ;
- De la destruction de tout testament instituant un tiers légataire universel ou à titre universel.
Il en va également de l’omission intentionnelle d’héritier. La dissimulation d’un héritier ne constituait pas, traditionnellement un recel, l’article 792 du Code civil ne concernant, pour la Cour de cassation, que les effets de la succession et non la personne d’un cohéritier.
La connaissance était contraire au bon sens : comment admettre que soit sanctionné celui qui détourne l’héritier, mais non celui qui dissimule l’existence d’un héritier ? Cette conception restrictive a fort heureusement été abandonnée par la réforme de 2006, l’article 778 du Code civil assimilant désormais au recel d’un bien la dissimulation de l’existence d’un héritier.
Pour ce qui est de l’élément intentionnel – Le recel successoral suppose une intention frauduleuse de l’héritier de l’héritier qui entend rompre à son profit l’égalité du partage. Mais cette fraude aux droits de ses cohéritiers n’est pas la seule retenue. Le recel peut supposer également une fraude aux droits des créanciers successoraux dont un élément de gage est distrait par l’acte de recel.
Ainsi, allégué par des cohéritiers ou des créanciers, le recel ne peut être qualifié que si l’héritier a agi dans un dessin frauduleux et de mauvaise foi. La preuve de cet élément intentionnel paraît d’autant plus décisive que la jurisprudence interprète de façon libérale l’élément matériel du recel. Et en toute hypothèse, cette preuve doit être rapportée, positivement, l’intention frauduleuse ne pouvant se présumer.
B) Sanction du recel successoral
Tout héritier qui détient des biens et valeurs ayant dépendu de la succession doit les révéler à ses cohéritiers. A défaut, il se rend coupable de recel successoral, ce qui le conduit d’une part à être déchu du droit d’accepter à concurrence de l’actif net, d’autre part à être privé de tout droit dans les valeurs recelées.
L’article 778, alinéa 2 du Code civil prévoit expressément que le recel peut porter sur une donation rapportable ou réductible, mais cette disposition ne peut s’appliquer qu’en présence d’héritiers réservataires.
II) La responsabilité du notaire en cas de recel successoral
A) La responsabilité du notaire
Le recel successoral, désormais codifié à l’article 778 du Code civil (792 avant la loi du 23 juin 2006), constitue le fondement de nombreuses actions d’héritiers à l’encontre de leurs cohéritiers, notamment à raison de la dissimulation invoquée de donations, certaines ostensibles, d’autres déguisées ou indirectes.
Pour la Cour de cassation, constitue un recel « toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l’égalité du partage quels que soient les moyens employés pour y parvenir »
Par ailleurs, dans le cadre du règlement des successions, la pratique, l’usage et, plus récemment, la loi reconnaissent au notaire un rôle déterminant pour l’établissement de la dévolution successorale.
A cet effet, Le notaire est investi d’une mission de vérification et d’authentification des éléments qui lui sont fournis par les héritiers notamment les actes de l’état civil, le livret de famille ou tous documents utiles, comme le précise expressément l’article 730-1 du Code civil.
Le notaire va également rechercher si le défunt a fait une donation. Il va rechercher s’il a établi un testament. Pour cela, il doit consulter le fichier central des dispositions des dernières volontés.
Les risques les plus fréquemment rencontrés concernent l’éventuelle omission d’un ou de plusieurs héritiers, qui ne sont pas toujours révélés par les livrets de famille ou d’une gratification à l’un des cohéritiers dont il a connaissance. C’est dans ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation dans son arrêt du 25 mars 2009 estimant qu’un notaire engageait sa responsabilité à l’encontre de l’héritier oublié s’il disposait d’éléments lui permettant de suspecter l’existence d’autres héritiers par le biais de la remise du livret de famille faisant état d’un premier mariage.
En outre, pour s’affranchir de toute responsabilité, le notaire aura tout intérêt à se préconstituer la preuve de son conseil au gratifié de révéler l’existence de cette donation le plus tôt possible. D’autant plus que les héritiers ont l’obligation de rappeler, dans la déclaration de succession, l’ensemble des libéralités consenties par le défunt, même celles qui l’ont été antérieurement à la période de rappel fiscal.
En définitive, il n’en demeure pas moins vrai que les notaires doivent rester extrêmement prudents en matière de liquidation successorale, car une action en responsabilité à leur encontre de la part d’héritiers recelés n’est pas à écarter.
B) Exercice de l’action
Étudier l’exercice de l’action en responsabilité suppose tout d’abord que l’on recherche quelles sont les personnes pouvant agir et contre qui l’on peut diriger cette action. Ensuite, après avoir déterminé quelles sont les parties à l’action, il conviendra de préciser quelles sont les règles concernant la prescription et la compétence.
1 ° Parties à l’action
Demandeur – Le procès en responsabilité notariale est le plus souvent engagé par les clients de l’officier public. Il peut cependant s’agir également de tiers. Ainsi, par exemple, le demandeur peut être une personne non-cliente, mais qui a subi un préjudice du fait de l’acte instrumenté par le notaire. Toutefois, le manquement au devoir de conseil ne saurait être invoqué par un tiers à l’acte.
C’est ainsi, à propos d’une libération de fonds par l’officier public entre les mains du vendeur, dont un établissement de crédit estimait qu’elle l’avait privé de la possibilité de mettre en place une procédure d’exécution, que la Cour de cassation a jugé que « le notaire qui instrumente un acte de vente n’est tenu d’aucun devoir d’information et de conseil envers les tiers dont il n’a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d’un droit opposable aux parties » (Cass. 1re civ., 3 mai 2018, n° 17-12.473).
Défendeur – Quant au défendeur, il s’agit le plus souvent du notaire. Des situations particulières peuvent toutefois se présenter, dans l’hypothèse de la cessation de l’activité du notaire ou dans celle de son décès.
Dans l’hypothèse de la cessation de l’activité, le notaire continue d’être responsable des fautes commises pendant le temps de son exercice. Son successeur est lui-même personnellement tenu de ses propres actes dommageables. L’un et l’autre peuvent cependant encourir une responsabilité partagée, lorsque des négligences se produisent dans la transmission des dossiers en cours. Dans l’hypothèse du décès du notaire, l’action peut être diligentée contre les héritiers.
Cette solution, qui se justifie pleinement en raison des règles du droit successoral, est cependant appliquée par les tribunaux avec une certaine prudence. En effet, les juges ont tendance à tenir compte, semble-t-il, du fait qu’il s’agit alors souvent de procès tardifs. Les moyens de défense sont plus difficiles à réunir. Il convient par conséquent de compenser les difficultés de preuve que peuvent rencontrer les héritiers. C’est ce qu’exprime l’un des attendus de l’arrêt de la cour d’appel de Pau du 19 octobre 1960.
2 ° Prescription
Depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, “Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer” (C. civ., art. 2224). Non moins important est l’article 2232, alinéa 1er du Code civil, instaurant un délai butoir de 20 ans en la matière.
Ce texte dispose ainsi : “Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit”. Seul demeure l’effet interruptif attaché à une demande en justice, même par voie de référé (C. civ., art. 2232, al. 2).
Prescription civile et prescription pénale – Lorsque la faute revêt un caractère pénal, le juge civil n’est plus lié par les délais de prescription de l’action publique : en effet, la loi n° 80-1042 du 23 décembre 1980 (JO 24 déc. 1980), modifiant l’article 10 du Code de procédure pénale, a dissocié la prescription de l’action civile de celle de l’action publique.
Désormais, lorsqu’un même fait constitue à la fois une faute civile et une faute pénale, l’action civile exercée devant un tribunal civil se prescrit selon les règles du Code civil. En revanche, l’unité des prescriptions demeure, lorsque l’action en responsabilité est engagée devant une juridiction répressive.
Compétence territoriale – Les procès en responsabilité notariale, après de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles, sont désormais soumis au droit commun des actions en justice : la juridiction territorialement compétente sera soit celle du domicile du notaire, soit celle du lieu où le fait dommageable a été accompli, soit, en cas d’appel en garantie, celle où la demande originaire est pendante, conformément aux dispositions des articles 42, 46 et 333 du nouveau Code de procédure civile.
Enfin, l’action disciplinaire diligentée contre un officier public, doit toujours être poursuivie, suivant la nature de l’infraction commise, soit devant la chambre de discipline du Conseil régional (L. n° 2004-130, 11 févr. 2004. – D. n° 2004-1304, 26 nov. 2004, modifiant D. n° 45-0117, 19 déc. 1945 pris pour l’application du statut du notariat.
SOURCES :