Si le moyen utilisé par l'agent est non pas le mensonge, mais la contrainte, son comportement est qualifié d'extorsion. S'il soustrait lui-même la chose en profitant de la vulnérabilité de sa victime, il y a alors vol aggravé.
À l'origine, l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse ne fut qu'une variété de l'abus de confiance destinée à assurer la protection des biens des mineurs. Il fallut attendre la réforme du Code pénal et la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 pour qu'il acquière sa pleine autonomie, et voit son domaine étendu à toute une série d'autres personnes vulnérables.
La victime de l'abus, c'est-à-dire l'individu en état d'ignorance ou de faiblesse, peut être aujourd'hui : un mineur, une personne particulièrement vulnérable pour cause d'âge, de maladie, d'infirmité, de déficience physique ou psychique, de grossesse, ou encore une personne en état de sujétion psychologique ou physique, ce qui vise les victimes de mouvements sectaires.
L'auteur de l'abus doit quant à lui avoir intentionnellement tiré parti de la vulnérabilité de la victime, de telle manière que celle-ci doit s'être livrée, au profit de l'auteur, à un acte ou une abstention qui se sont révélés pour elle gravement préjudiciables.
Les personnes physiques, coupables de l'infraction, sont punissables de peines complémentaires et de peines principales correctionnelles d'emprisonnement et d'amende susceptibles d'être aggravées lorsque l'infraction a été commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement sectaire. Les personnes morales sont également punissables de peines d'amende et des diverses peines privatives de droits que prévoit l'article 131-39 du Code pénal.
La victime du délit d'abus de faiblesse ou d'ignorance peut demander réparation de son préjudice. Celle-ci prend la forme d'une indemnisation à la charge du condamné ou de son commettant si le délit a été commis dans les fonctions auxquelles le prévenu était employé (C. civ., art. 1242, al. 5, issu de Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, anc. art. 1384, al. 5). Les associations de consommateurs peuvent réclamer des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 621-1 du code de la consommation (T. corr. Paris, 1er juin 1993, RTD com. 1994, p. 134, obs. P. Bouzat). Elles peuvent aussi demander « la diffusion par tous moyens appropriés de l'information au public du jugement rendu » (C. consom., art. L. 621-11).
I. Éléments constitutifs
A. Matérialisation du délit
Le délit d’abus de faiblesse protège uniquement les personnes en état d’ignorance ou de faiblesse. Sont visés (Code pénal, article 223-15-2) :
- les mineurs ;
- les majeurs particulièrement vulnérables (en raison de l’âge, de la grossesse, d’une maladie ou d’une déficience physique ou psychique apparente et connue de l’auteur) ;
- les personnes en état de sujétion psychologique ou physique (par exemple, sous l’emprise d’un mouvement sectaire).
Cet état de vulnérabilité est apprécié au moment de l’accomplissement de l’acte préjudiciable.
Certains tribunaux sont exigeants sur la condition de vulnérabilité de la victime.
L’infraction suppose qu’une personne abuse volontairement de cette vulnérabilité, qui doit donc être apparente ou connue de son auteur. La victime est amenée à accomplir quelque chose dont elle n’aurait pas voulu si elle n’avait pas été fragilisée. Autrement dit, il est reproché à l’auteur du délit d’avoir exercé une certaine contrainte morale envers la victime afin de parvenir à ses fins.
L’acte (ou l’abstention) résultant de cette contrainte doit porter un préjudice grave à la personne vulnérable. Lorsque la personne vulnérable a été placée en curatelle renforcée, aucun acte de disposition ne pouvant plus être accompli par elle seule, le délit ne peut être retenu. En revanche, ce préjudice n’a pas à s’accompagner nécessairement d’un enrichissement de l’auteur de l’infraction.
Faut-il pour autant que les conséquences dommageables de l’abus se produisent immédiatement ? La Cour de cassation a répondu à plusieurs reprises par la négative. Ainsi, le fait de disposer de ses biens par testament entre dans les prévisions de l’article 223-15-2 du Code pénal, malgré son caractère révocable.
Ont été condamnés pour abus de faiblesse :
B. L’intention de l’auteur
L’intention délictueuse réside dans la conscience que le prévenu a de la faiblesse ou de l’ignorance de la victime et dans sa volonté d’exploiter en connaissance de cause cet état. Il ne peut y avoir abus par imprudence, maladresse ou négligence puisqu’il faut que l’auteur du délit utilise « des ruses ou artifices » ou qu’il exerce une contrainte.
Ainsi, un professionnel, au cours d’un démarchage à domicile, fait souscrire à un couple de personnes âgées une commande et téléphone au fils des victimes en ne révélant pas le véritable contenu de l’offre signée : CA Toulouse, 11 oct. 2012, no 11/00807.
Pour tenter de s’exonérer ou d’atténuer sa responsabilité, le prévenu invoque parfois son absence d’intention délictueuse en prétendant ignorer l’état de faiblesse ou d’ignorance de la victime. Cet argument est inopérant.
Lorsqu’il est salarié, le prévenu avance parfois qu’il a agi sous la pression de son employeur, mais les juges estiment qu’il n’y a pas contrainte. Enfin, dans le cas où il a remboursé la victime, le prévenu utilise ce moyen pour tenter d’échapper à sa responsabilité. Mais ce procédé n’est pas retenu ; il constitue même, aux yeux des magistrats, une preuve supplémentaire de sa culpabilité (T. corr. Paris, 27 sept. 1991, BID 1991, no 12, p. 32).
Du fait de la similitude de leur structure, les délits d’abus de faiblesse ou d’ignorance prévus, l’un par l’article 223-15-2 du Code pénal, l’autre par le Code de la consommation, se recoupent. Ainsi s’expliquent les difficultés pour les dissocier dans certains cas et les conflits de qualification (cf. CA Riom, ch. corr., 11 juin 2003, Contrats, conc. consom. 2004, comm. 48, note G. Raymond, où les magistrats ont prononcé une peine d’emprisonnement ferme de trois mois à l’égard d’un démarcheur à domicile, qui a abusé de la faiblesse d’une personne âgée, sans préciser sur quelle disposition législative ils ont fondé leur décision).
II. Répression et constitution de partie civile
A. Répression
La tentative n’est pas répréhensible.
Les poursuites pénales peuvent être déclenchées dans la limite de six ans après les faits. En principe, le délai de six ans commence à courir dès la commission des faits.
Toutefois, si l’infraction demeure dissimulée en raison de manœuvres caractérisées de son auteur, le délai court à compter de sa découverte dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, sans pouvoir aller au-delà de 12 ans après la commission des faits (CPP art. 9-2). À noter que cette dissimulation s’apprécie au regard de la victime de l’abus, et non de ses ayants droit, rendu sous l’empire des anciennes règles de prescription, mais transposable au nouvel article 9-2).
L’infraction étant souvent découverte après la mort de la victime, au moment du règlement de la succession, s’est posée la question de savoir si ses héritiers ou de précédents légataires privés de la succession peuvent agir au pénal contre l’auteur. En procédure pénale, il est de principe constant que seule la victime directe d’un délit a la possibilité de se constituer partie civile.
La Cour de cassation a jugé que le préjudice subi par les héritiers d’une personne victime d’un abus de faiblesse n’est qu’indirect. Leur constitution de partie civile est irrecevable et ils ne peuvent pas déclencher les poursuites devant le tribunal correctionnel ou le juge d’instruction.
Toutefois, les héritiers peuvent porter les faits à la connaissance du procureur de la République qui décidera s’il est opportun de poursuivre l’auteur. Si un procès pénal a lieu, ils peuvent y demander réparation civile à l’auteur du délit. Lorsque le procureur ne déclenche pas les poursuites, la seule option pour les héritiers est la saisine d’une juridiction civile d’une action en responsabilité.
- Lorsque le délit d’abus de faiblesse est commis au moyen d’une vente immobilière, la prescription de l’action publique court à compter du jour de l’acte de vente, sans possibilité de report à la date du transfert de propriété ou du paiement intégral du prix. Cette solution ne vaut toutefois qu’en l’absence de dissimulation de l’infraction aux yeux de sa victime.
- Quand l’infraction se réalise au moyen de plusieurs actes relevant d’un mode opératoire unique, le délai de prescription ne démarre qu’à compter du dernier prélèvement sur le patrimoine de la victime. Il en est ainsi en cas de remise de chèques étalée dans le temps, ou de la modification de la clause relative au bénéficiaire d’une assurance-vie six ans après la souscription du contrat.
B. Constitution de partie civile
À la suite de poursuite du chef d’abus de faiblesse, la Cour d’appel a reçu les constitutions de partie civile du frère de la victime, exécuteur testamentaire, et des petits-neveux et petites-nièces de celle-ci, légataires universels.
Pour déclarer une personne irrecevable en son action, du chef d’abus de faiblesse sur la personne de son père décédé, une cour d’appel, sans prononcer sur sa demande tendant à voir réparer son préjudice personnel résultant des agissements de personnes en contact avec son père, a jugé que l’action publique n’avait été mise en mouvement ni par la victime ni par le ministère public et que les héritiers ne pouvaient pas être considérés comme victimes directes de faits commis à l’égard de leur auteur lorsque ce dernier, bien qu’informé, n’avait pas déposé plainte ni manifesté son intention de son vivant.
En effet, selon la Cour, il se déduit de ces textes que le dommage dont la partie civile, seule appelante d’un jugement de relaxe, peut obtenir réparation, doit résulter d’une faute démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite et que si les juges répressifs, saisis des seuls intérêts civils, peuvent, après avoir mis l’auteur présumé de la faute en mesure de s’expliquer sur le nouveau fondement envisagé, donner à la faute civile le fondement adéquat, différent de celui sur lequel reposait la qualification des infractions initialement poursuivies, c’est à la condition de ne pas prendre en considération des faits qui n’étaient pas compris dans les poursuites.
Sources :