L’exploitation de nos fautes de frappes, de nos fautes d’orthographes dans la saisie de l’adresse d’un site web par un nouveau type de cybersquatter, les typosquatters. Nouvelle variété de piratage de site internet, auquel les juges doivent faire face devant un vide juridique en la matière. La cour d’appel de Paris récemment a pris une position de rigueur dans le but d’endiguer ce phénomène sur la toile.
Le nom de domaine est une adresse qui permet de retrouver plus facilement un site internet, cela évite à l’internaute d’apprendre la suite de chiffres et de lettres composant l’adresse du site internet en question. Le nom de domaine constitue une source de valeur économique pour les entreprises, c’est pourquoi beaucoup de sites font l’objet de détournement, de cybersquatting, et plus particulièrement de typosquatting. Le typosquatting consiste pour le typosquatteur d’acheter des noms de domaine dont la graphie ou la phonétique se rapproche de celle d’un site fréquenté par les internautes, ainsi l’internaute en réalisant une faute de frappe, une faute d’orthographe, ou encore une homonomie, sera dirigé non vers le site voulu, mais vers le site du typosquatteur.
L’intérêt du typosquatting, réside alors dans l’attrait du nom de domaine piraté, en effet, une partie des internautes du site sera redirigé vers le site du typosquatteur, ce qui va augmenter considérablement le trafic sur la page web crée par le pirate. L’avantage pour le pirate, est alors de pouvoir augmenter ses recettes publicitaires, mais encore de rediriger les internautes vers un site concurrent du site piraté contre bien évidement rémunération du typosquatteur. Mais le pirate pourra aussi enregistrer le nom de domaine dans le but d’activer les serveurs de gestion de messagerie (serveur MX). Le typosquatteur pourra encore nuire à l’image du site ou de la marque piratée, en recréant une interface similaire au site piraté, cela s’apparente alors à une tentative de hameçonnage. Mais le pirate pourra tout aussi bien changer l’interface, et y intégrer des contenus propres à nuire à l’image du site piraté.
Bien que cette pratique soit dangereuse, il n’existe pas encore de textes en France concernant spécifiquement le Typosquatting, même si, en 2007 certains députés ont présenté une proposition de loi, celle-ci prévoyait notamment une sanction pénale, mais aussi le transfert du nom de domaine litigieux au plaignant ou sa suppression. Mais elle n’a pas été adoptée.
Ainsi, les seules possibilités qui s’ouvrent aux sites piratés est la voie judiciaire, en soulevant la contrefaçon, la concurrence déloyale ou encore le parasitisme.
Récemment, le Tribunal de Grande Instance de Paris, puis la cour d’appel de Paris qui a du se prononcer sur des faits de typosquatting concernant le site 2xmoinschère.com.
Plus récemment, c’est le Tribunal de Grande Instance de Paris, puis la cour d’appel de Paris qui a du se prononcer sur des faits de typosquatting concernant le site 2xmoinschère.com.
En l’espèce, il s’agissait d’une société : la société Trokers exerçant son activité sous le nom commercial « 2xmoinscher.com » une activité d’intermédiaire dans la vente à distance de produits neufs ou d’occasions. Celle-ci constate alors qu’en saisissant les adresses web www.2xmoinschers.fr et www.2moinscher.fr, cela permettait un renvoi automatique vers son site internet, mais ce renvoi était effectué via un intermédiaire, d’un autre site internet et d’un service d’affiliation fourni par une société auprès de laquelle elle avait souscrit pour la diffusion de publicité. De plus, les noms de domaine avaient été enregistrés par une autre société (la société Web Vision).
La société Trokers assigne alors cette dernière (société Web Vision) sur le fondement de la contrefaçon de marque, des droits d’auteur, mais aussi sur l’atteinte à son nom commercial et à ses noms de domaines.
C’est alors le TGI de Paris qui c’est prononcé en première instance (TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 2 avril 2009, Sté Trokers c/ Sté Web Vision), il déboute dans un premier temps la société Trokers concernant sa demande fondée sur la contrefaçon de marque, de même pour la demande concernant la contrefaçon du titre et des noms de domaine. Mais il fait droit en partie à la demande fondée sur l’atteinte au nom commercial et aux noms de domaine en cause.
La société interjette appel, c’est alors la cour d’appel de Paris qui est compétente dans cette affaire, or celle-ci tient une position beaucoup plus sévère à l’égard du typosquatteur. En effet, la cour estime que l’affilié qui enregistre un nom de domaine et redirige vers le site de l’annonce commet non seulement une atteinte aux noms de domaine et au nom commercial, mais aussi une contrefaçon de la marque et du droit d’auteur.
Cette solution est sévère, c’est pourquoi il est intéressant de rentrer plus en détail dans la réflexion qu’a adopté la cour dans cet arrêt, tout d’abord concernant l’infraction de contrefaçon (I), puis dans l’atteinte faite aux noms de domaine et au nom commercial, il faudra d’ailleurs envisager les solutions à adopter en matière de typosquatting (II).
La caractérisation de la contrefaçon reflétant une position de rigueur
La cour d’appel dans son arrêt adopte une position sévère pour les typosquatteur, puisque celle-ci reconnait non seulement la contrefaçon du droit d’auteur (A), mais aussi la contrefaçon du droit de marque (B).
La reconnaissance d’une contrefaçon du droit d’auteur en l’absence d’acte de reproduction : la caractérisation de la représentation illicite
La cour d’appel, dans cet arrêt infirme le jugement du TGI concernant la contrefaçon de droits d’auteurs sur le site internet de la société Trokers.
Dans un premier temps, la cour d’appel reconnait au site internet la qualité d’œuvre, qui est alors protégeable, car le site est une création qu’elle considère comme étant originale. En effet, selon la cour le site se distingue par sa représentation graphique, ce qui caractérise un effort de personnalisation du site pour se démarquer de ses concurrents. Le fait que le site soit une œuvre collective, n’empêche pas pour autant sa protection.
La cour d’appel confirme, en revanche, le jugement concernant la contrefaçon des droits d’auteurs de la société Trokers sur le titre de son site internet.
La cour dans cet arrêt adopte une position sévère, puisqu’elle admet l’atteinte au droit d’auteur sur le fondement de l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle, alors même qu’aucun acte de reproduction n’est ici caractérisé, car la société pirate n’a réalisé aucun site internet, il s’agit juste d’une redirection du flux d’internaute.
Mais, la cour estime qu’il s’agit d’une représentation illicite du site, ce qui lui permet de sanctionner ce comportement en tant que contrefaçon des droits d’auteurs.
Pour la cour d’appel, la société en redirigeant les internautes, a communiqué le site au public par un moyen non autorisé, ce qui caractérise alors une exploitation du site qui n’a pas été autorisé par le titulaire, et donc constitue une représentation illicite susceptible d’être sanctionnée via la contrefaçon.
L’existence d’une contrefaçon de la marque en l’absence de dénomination réelle de produits ou services identiques ou similaires
Dans le jugement du TGI, les juges n’ont pas caractérisé l’existence d’une contrefaçon par imitation de marque en considérant que celle-ci ne pouvait être réalisée que « lorsque la dénomination litigieuse sert à désigner un produit ou un service identique ou similaire aux produits et services désignés par la marque imitée et crée un risque de confusion avec ces derniers ».
La cour d’appel ne suit pas le TGI sur ce point, et pose une solution plus sévère.
En l’espèce, il apparait que la société n’exerce aucune activité, elle ne dirige pas les internautes vers un site proposant des produits ou services identiques ou similaires, puisqu’elle renvoi l’internaute vers le site du détenteur de la marque. Mais la cour d’appel considère que ce stratagème a été mis en place dans le but de créer une confusion dans l’esprit de l’internaute, celui-ci ne pouvant se rendre compte de la redirection opérée par la société pirate. Ainsi, la cour estime que même si en l’espèce il n’y avait pas de redirection vers un site proposant des produits identiques ou similaires, la contrefaçon est quand même retenue par la cour d’appel. Selon elle, le typosquatting concourt ici quand même à désigner des produits ou services identiques ou similaires, alors même qu’aucune réelle désignation de produits ou services n’est faite. C’est alors une position ferme qu’a adopté la cour d’appel, dans le but d’enrailler toutes les formes de typosquatting.
Il est toutefois possible de souligner que la Cour de Justice le 20 mars 2003 dans une affaire Arthur et Félicie a estimé qu’il était possible de sanctionner ces agissements sur le fondement de la contrefaçon par reproduction à l’identique lorsque les différences sont « si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçue aux yeux d’un consommateur moyen »
La jurisprudence nationale est encline à condamner les typosquatteurs en se fondant sur la contrefaçon de marque, en effet plusieurs arrêts ont retenu la contrefaçon de la marque.
La cour d’appel sanctionne encore l’atteinte aux noms de domaine et au nom commercial, il faudra alors envisager les solutions pour endiguer le problème (II).
La reconnaissance d’une atteinte au nom de domaine et au nom commercial : les solutions envisageables pour lutter contre le typosquatting
La cour d’appel ne s’arrête pas là et estime que la société a commis une atteinte au nom de domaine et au nom commercial de la société typosquattée (A), cette sévérité montre alors la volonté de la cour d’endiguer le phénomène dangereux que constitue le typosquatting, cependant d’autres solutions peuvent-elles être envisagées ? (B).
La caractérisation d’une atteinte au nom de domaine et au nom commercial
La cour d’appel concernant l’atteinte au nom de domaine reprend la décision de première instance.
La cour d’appel caractérise la présence d’une concurrence déloyale dans un seul but lucratif. La concurrence déloyale réalisée par une société exploitant indument les noms de domaine a déjà pu être sanctionnée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 31 janvier 2008, où une société avait exploité les noms de domaine www.pneuonline.com, www.pneusonline.com et www.pneu-online.com et cela de mauvaise foi, ce qui a alors fait perdre au site officiel www.pneus-online.com une chance d’obtenir une part plus large du marché de la vente de pneus en ligne.
Le tribunal de grande instance, concernant l’atteinte au nom commercial a estimé qu’ « En revanche la société Web vision ayant exclusivement utilisé les noms de domaine litigieux en vue de réorienter les internautes vers le site de la société 2xmoinscher.com il ne ressort pas de ces faits une atteinte spécifique au nom commercial de la société Trokers, les internautes moyennement attentifs n’ayant pas conscience de l’intervention de la société Web vision ».
Donc, pour le TGI l’atteinte au nom commercial n’est pas consommée. Mais la Cour d’appel ne confirme pas le point de vue du TGI.
Ainsi, encore une fois, la cour d’appel énonce une décision plus stricte que le tribunal de grande instance, en constant une atteinte au nom commercial par la société pirate qui a, selon la cour, utilisé sans autorisation le nom commercial de la société typosquattée dans l’unique but d’en tirer un profit personnel et en exploitant malicieusement celui-ci, c'est-à-dire en l’exploitant de mauvaise foi.
L’atteinte au nom de domaine, ainsi que l’atteinte au nom commercial ouvre naturellement droit à la société typosquatté à des dommages et intérêts.
Les solutions envisageables pour lutter contre le typosquatting
Par cet arrêt on remarque que les sanctions pour les typoquatteurs sont efficaces. Cependant, il apparait nécessaire de mettre en place des mesures de prévention, qui pourraient intervenir tout d’abord au niveau contractuel avec la mise en place d’une politique d’affiliation. L’affiliation est une technique permettant à un site marchand ou commercial de proposer, à un réseau de sites partenaires affiliés, de promouvoir par le biais de bandeaux ou de liens textes ses produits ou services. Les affiliés reçoivent en échange une commission sur les ventes, les visites ou encore les contacts commerciaux générés à partir de leur lien.
Il serait alors nécessaire d’établir des règles que devront suivre les affiliés ; notamment en leur interdisant et en sanctionnant le typosquatting.
De plus, il est possible pour un concurrent lésé par le site d’un affilié de rechercher la responsabilité de l’annonceur. En effet, l’annonceur doit selon la jurisprudence prendre certaines mesures, notamment informer les affiliés de la nécessité de respecter les droits des tiers, mettre en œuvre un dispositif de contrôle a posteriori, et d’agir promptement en cas de connaissance d’un acte manifestement illicite commis par l’un de ses affiliés.
Par un arrêt du TGI de Paris du 26 aout 2009, une possibilité d’éradication du typosquatting a été soulevée, la question qui était posée au juge du fond, était de savoir si le resgistrar pouvait être tenu responsable d’un tel agissement.
Il apparait alors que les resgistrars peuvent voir leur responsabilité engagée, en effet, le registrar est tenu d’une obligation de résultat, quand a été porté à sa connaissance toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Donc, en présence de typosquatting, le resgistrar à l’obligation de retirer le nom de domaine litigieux. Cependant, la responsabilité du registrar ne peut être engagée, selon le tribunal, sur le fondement de l’atteinte à une marque notoire, car celui-ci ne fait d’usage des noms de domaine dans la vie des affaires. De plus, lors de la procédure d’enregistrement, celui-ci n’a qu’une obligation de moyen concernant le respect des droits de propriété intellectuelle.
La mise en œuvre de mesures préventives, la responsabilité même occasionnelle du resgistrat, ainsi que la sévérité des tribunaux envers le typosquatting pourront mettre un frein à cette pratique, jusqu’à l’apparition d’un nouveau type de cybersquattage, de piratage.
Les sources :
CA Paris, pôle 5, ch. 1, 30 nov. 2011, Sté Web vision c/Sté Trockers, n° 09/17146, www.lamyline.fr Revue Lamy Droit de l’Immatériel - 2009 p.53
Marques : le TGI de Paris précise les responsabilités de l’Afnic et des unités d’enregistrement :http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=2718
Nom de domaine : le typosquatting sévèrement sanctionné par la cour d’appel de Paris :http://www.soskin-avocats.fr/publications/nom-de-domaines-le-typosquatting-severement-sanctionne-par-la-cour-d%E2%80%99appel-de-paris.html
Le Typosquatting : http://fr.wikipedia.org/wiki/Typosquatting#cite_note-0
PROPOSITION DE LOI visant à protéger les noms de domaines : http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion3726.asp
« Noms de domaine frauduleux : registre et registrar peuvent-ils être responsables ? »Par Cédric Manara : http://www.domainesinfo.fr/actualite/1999/noms-de-domaine-frauduleux-registre-et-registrar-peuvent-ils-etre-responsables.php
« Réseaux d’affiliation : le typosquatting sévèrement sanctionné » : http://www.alain-bensoussan.com/avocats/reseaux-daffiliation-le-typosquatting-severement-sanctionne/2011/12/05
Définition de l’Affiliation : http://www.definitions-marketing.com/Definition-Affiliation