« Dans le domaine de l’intégration juridique et économique, s’unir revient non seulement à chercher la force, mais également à mieux vivre en harmonie. C’est cette deuxième finalité qui apparaît le plus au travers du droit communautaire » dixit le Professeur Mayatta Ndiaye MBAYE[1]. Le traité OHADA[2] qui est né le 17 octobre 1993 à Port-Louis ( Ile Maurice) inaugure cette nouvelle ère d’harmonisation en disposant clairement en son article 1er qu’il « a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats parties, par l’élaboration des règles communes, simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels ». Le préambule du Traité avait déjà exprimé la nécessité pour ce droit d’être appliqué avec diligence, dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques, afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager l’investissement.
En réalité, l’objectif de l’OHADA c’est l’intégration économique des Etats signataires du traité. Mais cette intégration économique n’est possible que grâce à une intégration juridique définie[3] comme le transfert des compétences, fait par plusieurs Etats, dans un secteur précis, à une organisation internationale dotée des pouvoirs supranationaux ou supra étatiques, pour réaliser un ensemble juridique unique et cohérent dans lequel les législations nationales s’insèrent en s’harmonisant, pour atteindre des objectifs politiques, économiques ou sociaux que les Etats membres se sont fixés.
Le nouveau droit africain des affaires, quelques années après sa mise en vigueur, continue de susciter des doutes et des interrogations chez certains juristes. Ce ne sont évidemment pas les moins avisés qui se demandent si l’OHADA est effectivement un dispositif de salut pour les Etats africains qui y sont parties ou plutôt une pure nouvelle aventure. L’inquiétude semble permise aux praticiens du droit qui, depuis trop longtemps habitués aux vieilles institutions se retrouvent placés du jour au lendemain devant une entreprise juridique et judiciaire aussi colossale que l’OHADA.
La justice est fille de trois facteurs fondamentaux : le texte applicable, la juridiction compétente pour l’appliquer et l’exécution de la décision issue de l’application du texte ; si ces données paraissent assez simples dans les législations, elles peuvent cependant se révéler assez complexes dans les relations des Etats avec l’OHADA en raison de ce que le droit harmonisé pourrait se révéler difficilement identifiable, présenter un vide législatif ou rencontrer l’hostilité d’un Etat membre à l’exécution d’une décision de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). Il est difficile de procéder à un examen exhaustif de l’ensemble des problèmes susceptibles de surgir dans les rapports des Etats membres avec l’OHADA. Une telle réalité ne saurait en rien dispenser d’une analyse minutieuse des problèmes qui entourent « l’exécution des décisions de la CCJA dans les droits internes». Nous n’allons pas épiloguer longtemps sur les concepts de droits internes et de droit harmonisé[4]. Le contenu essentiel de ces concepts se dégage aisément du traité fondateur de l’OHADA. L’article 1er dudit traité, cité plus haut, définit l’harmonisation du droit par « l’élaboration et l’adoption de règles communes » applicables aux Etats parties au traité. Par déduction, les droits internes sont ceux qui n’engagent pas la Communauté des Etats membres ; ce sont des droits qui ne rayonnent qu’à l’intérieur des frontières des Etats qui les ont édictés, conformément au principe de la territorialité des lois.
Ce sujet est latent et digne d’intérêt car l’exécution du droit harmonisé dans les Etats parties constitue une condition sine qua non du fonctionnement de l’espace OHADA. La raison d’être de la CCJA est de résoudre les situations juridiques qui lui sont soumises. L’exécution de ses décisions peut engendrer de nombreux problèmes. Qu’il s’agisse des dérèglements de l’appareil judiciaire, de la faiblesse des moyens humains et matériels de la justice, de sa manipulation ou de sa fragilisation, force est de constater que ces difficultés qui relèvent davantage de considérations sociologiques ou politiques n’intéressent pas particulièrement notre étude plus préoccupée par les difficultés juridiques d’exécution. Par ailleurs, il ne serait pas digne d’intérêt de faire une étude sur les voies d’exécution qui font déjà l’objet d’une règlementation uniformisée. Les difficultés juridiques d’exécution qui retiendront notre attention sont essentiellement celles qui sont antérieures à toute saisie.
Si la sobriété des textes de l’OHADA et le caractère supranational de l’institution témoignent d’un cadre favorable (I), il existe des obstacles procéduraux et substantiels qui contrarient et éprouvent véritablement l’exécution des décisions de la CCJA dans les droits internes (II).
I/-Une exécution prouvée
L’exécution des décisions de la CCJA dans les droits internes est avérée en premier lieu par les textes qui fondent une application directe des arrêts (A), puis en un second lieu, par un exequatur communautaire des sentences (B).
A/-Une exécution directe des arrêts
La disposition de base est contenue dans l’article 20 du traité constitutif de l’OHADA : « les arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats Parties une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales. Dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution sur le territoire d’un Etat partie ». L’importance de cette disposition mérite d’être d’autant plus relevée que la CCJA est une sorte de troisième degré de juridiction. Ses arrêts ont donc pour effet de neutraliser toute autre décision contraire d’une juridiction d’un Etat membre. Il en découle la suppression du contrôle du juge national, donc la dispense d’exequatur, au sens où l’exequatur est un mécanisme de reconnaissance. Aussi, n’est-il pas nécessaire de recourir aux mécanismes d’une convention d’entraide judiciaire pour faire exécuter les arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans l’espace OHADA. L’exécution de l’arrêt de la CCJA ne nécessite pas le prononcé préalable d’une décision d’exequatur habituellement délivrée par l’autorité judiciaire nationale compétente. Aux termes de l’article 41 du Règlement de procédure de la CCJA, « les arrêts de la CCJA ont force obligatoire à compter du jour de leur prononcé ».
Par ailleurs, il n’est prévu à l’article 46 du Règlement de procédure de la CCJA que la formalité de l’apposition de la formule exécutoire qui est effectuée « sans autre contrôle que celui de la vérification de l’authenticité du titre par l’autorité nationale que le Gouvernement de chacun des Etats Parties désignera à cet effet et dont il donnera connaissance à la Cour ». Ainsi, un transfert d’une compétence habituellement dévolue à la juridiction nationale déterminée par la loi nationale est fait au profit de la CCJA.
Enfin, une fois engagée, l’exécution forcée d’une décision de la CCJA ne peut être suspendue que par ordonnance motivée du président de la CCJA. Aussi, l’article 29 de l’AUPSRVE[5] protège-t-il le créancier poursuivant en disposant in fine que la carence ou le refus de l’Etat de prêter son concours engage sa responsabilité[6]. Par ailleurs, le sursis à exécution des arrêts de la CCJA ne peut intervenir qu’en vertu d’une décision de cette cour[7]. Il en résulte une très grande sécurité juridique et une interprétation uniforme des décisions qui minimisent les risques d’entrave à leur exécution par les autorités nationales.
L’exécution des sentences arbitrale aurait pu être compromise par quelque incident ; mais la CCJA en anticipant à cet égard a prévu une procédure originale d’exéquatur communautaire.
B/-Un exequatur communautaire pour les sentences arbitrales
Dans l’arbitrage de droit commun, la force exécutoire nécessaire à l’exécution de la sentence demeure l’apanage des juridictions étatiques. Mais l’OHADA comporte d’intéressantes spécificités sur la question. La CCJA jouant son rôle d’appui et d’encadrement de la procédure, a compétence exclusive pour accorder l’exequatur qui confère à la sentence force exécutoire dans les Etats-parties de l’OHADA. En effet, Aux termes de l’article 25 du Traité de l’OHADA, les sentences arbitrales rendues dans l’espace OHADA ont « autorité de la chose jugée sur le territoire de chaque Etat-partie au même titre que les décisions rendues par les juridictions de l’Etat » relativement au litige tranché qui ne peut plus être porté devant une autre instance étatique ou arbitrale[8].
En outre, conformément aux stipulations du règlement d’arbitrage de la CCJA, les sentences ont autorité « définitive » de la chose jugée[9]. Mais elles ne sont exécutables qu’après l’apposition de la formule exécutoire délivrée par l’autorité nationale désignée à cette fin.
L’exequatur communautaire rend exécutoire la sentence dans tous les pays de l’espace OHADA. Son caractère communautaire évite ainsi à une sentence déclarée régulière d’être rejetée comme irrégulière dans un autre Etat-partie[10]. L’exequatur ne peut être d’ailleurs refusé que dans les cas prévus expressément par le règlement d’arbitrage de la CCJA[11]. L’intervention de l’« autorité compétente désignée» pour apposer la formule exécutoire en vigueur dans l’Etat où l’exécution est envisagée se limite à une simple vérification de l’authenticité du titre délivré par la CCJA[12].
L’exequatur communautaire constitue en somme une véritable avancée en ce qu’elle permet au plaideur de solliciter directement des mesures d’exécution forcée dans tous les Etats de l’OHADA. À ce jour, hormis les sentences rendues sous l'égide du CIRDI[13], aucun règlement d'arbitrage ne confère un tel caractère exécutoire international. C’est une disposition spéciale du Règlement de la CCJA qui a l'avantage de permettre l'exécution des sentences contre des parties (aussi bien les Etats que les sociétés) ayant des patrimoines dans plusieurs États membres de l'OHADA, limitant ainsi le rôle parfois interventionniste des juges nationaux[14].
L’opposition à exequatur étant ouverte dans les mêmes hypothèses que celles du refus d’exequatur ou de l’action en contestation de validité on peut se poser la question de savoir si le demandeur qui a négligé de faire opposition dans les quinze jours peut introduire une requête aux fins de contestation de validité de ladite sentence, en prétendant être dans le délai de deux mois prévu pour sa recevabilité.
Une telle action ne saurait prospérer pour deux raisons :
1. les motifs du refus d’exequatur et de la contestation de la validité sont identiques ; il en découle que si l’exequatur a été accordé, il convient d’en déduire qu’aucun des motifs n’a été retenu.
2. l’ordonnance du Président de la CCJA accordant l’exequatur et régulièrement notifiée, devient définitive en l’absence d’opposition formée dans le délai de quinze jours. Aucune action ne peut donc paralyser l’obtention de la formule exécutoire.
Dans la pratique, l’existence de la sentence arbitrale est établie par la production de son original accompagné des copies authentifiées de la convention d’arbitrage. Cette dernière confirme l’accord des parties à soumettre le litige à l’arbitre saisi. Cependant, si la convention arbitrale est valable, elle pourrait poser des problèmes de preuve au stade de l'exequatur[15].
Les sentences arbitrales et les décisions juridictionnelles rendues par les arbitres, les juridictions nationales ou supranationales dans leur rôle d’interprétation et d’application du droit communautaire sont passées de la phase de la simple satisfaction morale et intellectuelle que confère leur prononcé à celle des titres exécutoires prêts à procurer aux gagnants les prestations pécuniaires et autres qui y sont contenues. Certes l’obtention de ces titres exécutoires est une avancée significative dans le processus d’exécution mais à la vérité, de tels titres exécutoires sont semblables aux effets de commerce réguliers mais non encore encaissés.
L’exécution des décisions de la CCJA peut se retrouver donc soumise à rude épreuve.
II/-Une exécution éprouvée
En dépit de leur efficacité quasi certaine en raison des garanties qui entourent leur exécution, il est évident que certaines décisions de la CCJA rencontrent des difficultés ultimes d’exécution qui peuvent être d’ordre procédural (A) ou substantiel (B).
A/-Une exécution contrariée par des obstacles procéduraux
A y voire de près, la procédure d’exécution des décisions de la CCJA comporte quelques insuffisances :
L’exequatur est communautaire, mais la formule exécutoire est nationale. C’est une solution critiquée par certains auteurs qui considèrent que « si on veut vraiment que les autorités nationales, qui peuvent être imprévisibles, ne remettent en cause les mérites du système, on devrait concevoir une formule exécutoire communautaire … si on enlève aux autorités nationales le pouvoir de contrôler la régularité des sentences CCJA, on doit aussi leur enlever toute possibilité de paralyser l’exequatur sous le prétexte de la vérification de l’authenticité du titre »[16].
Un intérêt non négligeable s'attache en effet à la nature de l’autorité qui est désignée pour l'apposition de la formule exécutoire. Faisant usage de la faculté qui leur est ouverte par le règlement de procédure de la CCJA, les Etats ont désigné tantôt un greffier[17], tantôt un juge[18], tantôt une autorité administrative[19]. On peut parier que l’attitude à adopter face à une sentence arbitrale condamnant l'Etat, par exemple, peut beaucoup varier d’une autorité judiciaire à une autorité administrative. Celle-ci aura très souvent une forte inclination à invoquer la souveraineté de l'Etat dont il se considère comme le défenseur naturel. Il se pourrait aussi que l'autorité chargée d’apposer la formule exécutoire prête attention à la nationalité de la partie condamnée.
A ces risques plus ou moins visibles, il faudrait ajouter l'inconvénient, pour le bénéficiaire d’un exequatur, d'avoir à solliciter autant de formules exécutoires que de pays dans lesquels il veut procéder à l'exécution forcée. Et si la formule exécutoire est apposée dans un pays et refusée dans l’autre, l'autorité des décisions de la CCJA devient très relative.
Au juste, si derrière la formalité d’apposition de la formule exécutoire il y a des enjeux souterrains, on peut comprendre le droit actuel. Si ce n'est pas le cas, la domestication de la formule exécutoire est injustifiée dans un espace où le pouvoir de juger est communautarisé et les voies d'exécution uniformisées.
L’exequatur des sentences CCJA n’est donc pas automatique ; il peut être refusé. Conformément à l’article 30 du Règlement d’arbitrage de la CCJA, l’exequatur peut être refusé par le Président de la CCJA mais uniquement dans quatre hypothèses :
- l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ;
- l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ;
- lorsque le principe du contradictoire n’a pas été respecté ;
- la sentence est contraire à l’ordre public international.
Plusieurs auteurs se sont interrogés sur le contenu de « l’ordre public international des Etats parties »[20]. S'agit-il de la somme des ordres publics internationaux des Etats ou de la zone d’'intersection de ces ordres publics? Il semble juste de retenir la seconde alternative, car autrement on pourrait aboutir à un contenu de l’ordre public international plus dense que les ordres publics, mêmes internes des Etats. L’option prise par le législateur est d’obliger le juge à s'en tenir à l’exigence de la non violation des conceptions les plus fondamentales de la justice dans les Etats membres de I'OHADA[21].
Il faut ajouter qu’il ne suffit pas d'avoir une décision d'exequatur; encore faut-il l'exécuter. Entre l'ordonnance d'exequatur et l'exécution, il y a toujours la formalité d'apposition de la formule exécutoire. En prévoyant que la formule exécutoire ne sera apposée que dans les Etats, le législateur africain a peut-être terni l'image d'une construction jusque-là éclatante.
L’OHADA ne dispose pas matériellement de moyens de contrainte propres. La CCJA manque donc de pouvoir de coercition; cette situation peut rendre incertaine l’exécution de certaines décisions. La souveraineté des Etats ne doit pas être un obstacle à l'atteinte des objectifs qu'ils se sont fixés vu qu’on ne peut forcer une autorité administrative à délivrer la formule exécutoire si son supérieur hiérarchique lui intime l’ordre de s’en abstenir, ce supérieur lui-même instruit par l’environnement immédiat du pouvoir.
A côté des obstacles procéduraux, des blocages liés au droit substantiel peuvent ralentir l’exécution des décisions de la CCJA
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B/-Une exécution entravée par des obstacles substantiels
La force exécutoire conférée par l’article 20 du Traité OHADA aux arrêts de la Cour les assimile aux décisions rendues par les juridictions des Etats-parties et n’exige pas le prononcé préalable de l’exéquatur. Cependant, elle ne permet pas de procéder immédiatement à l’exécution d’où la nécessité de transcription dans les droits internes ; ceci fait intervenir l’exécution forcée soumise pour ce faire à deux régimes juridiques :
- les règles de droit national auxquelles le règlement de procédure renvoie;
- les règles particulières de Règlement de procédure qui dérogent souvent aux dispositions du droit interne des Etats parties.
La problématique de l’immunité d’exécution des Etats et des personnes morales de droit public dans l’espace OHADA s’est posée avec l’arrêt CCJA du 7 juillet 2005 portant sur l’affaire Aziablévi YOVO et autres contre Société TOGO TELECOM. Par cet arrêt, la CCJA a jugé, en application de l’article 30 de l’AUPSRVE, que les entreprises publiques bénéficient d’une immunité d’exécution. Dans cette affaire, la CCJA a fait une application correcte de l’article 30 mais cette disposition apparaît à contre-courant car, n’étant en adéquation ni avec les dispositions internes des Etats parties sur lesquelles elle prime ni avec l’objectif de promotion de l’entreprise et des investissements que l’OHADA s’est fixé.
A priori, une confusion a été faite, par inadvertance, par les rédacteurs de l’AUPSRVE, entre entreprise publique et établissement public, aboutissant de fait à une régression au regard des conséquences pratiques d’une telle solution qui apparaît critiquable en droit et en fait.
L’arrêt de la CCJA est de ce point de vue un recul par rapport à la finalité même de l’OHADA, tout comme la solution extensive de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public est en déphasage avec l’évolution du droit comparé français qui restreint la portée de cette immunité lorsque la saisie est pratiquée sur des biens affectés à une activité industrielle ou commerciale, celle-ci relevant des règles du droit privé[22]. En effet, dans une affaire République Islamique d'Iran et OIATE contre Société FRAMATONE et autres, la Cour de Cassation française a décidé le 20 mars 1989 que "si l'immunité d'exécution dont jouit l'État étranger et ses Départements ministériels est de principe, elle peut toutefois être exceptionnellement écartée notamment lorsque le bien saisi a été affecté à l'activité économique ou commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice, même si cette affectation n'a pas été prévue par une clause expresse du contrat, la juridiction saisie pouvant rechercher par tous moyens si cette affectation existe". Il s'agit de donner à l'immunité d'exécution des personnes morales de droit public, un contenu restreint aux seules missions de service public qui caractérisent l'activité publique des personnes bénéficiaires. Autrement dit, lorsqu'une personne morale de droit public bénéficiaire de l'immunité d'exécution sort du cadre de l'activité publique qui la justifie, le juge devrait en restreindre la portée.
La contrainte sur l'Etat et l'administration fait presque partout l'objet de réserve, de réticence. Critiquant le caractère absolu de cette immunité d'exécution qui restreint l'efficacité du titre exécutoire, la doctrine camerounaise a par exemple suggéré de restreindre la portée de l'immunité d'exécution des personnes publiques, lorsque la saisie est pratiquée sur des biens affectés à une activité industrielle ou commerciale, celle-ci relevant des règles de droit privé[23]. Finalement, dans l'éventualité où un État membre de l'OHADA soulèverait son immunité d'exécution, l'arrêt Creighton[24] de la Cour de cassation française semblerait à priori apporter un élément de réponse. Dans cette affaire, le gouvernement de l'État du Qatar avait confié à la société américaine Creighton la construction et l'entretien d'un hôpital. En 1986, ayant été expulsée du chantier pour inexécution du contrat, la société Creighton a initié une procédure arbitrale en application de la clause compromissoire CCI que contenait le contrat de construction. Quelques années plus tard, en exécution de sentences arbitrales devenues définitives, Creighton a fait procéder en France à des saisies-attribution sur des sommes détenues au nom du Qatar par différentes banques. La Cour d'appel a ordonné la mainlevée des saisies au motif qu'il n'était pas établi que le Qatar avait renoncé à son immunité d'exécution. La plus haute juridiction de France a cassé l'arrêt de la Cour d'appel et a décidé que la renonciation à l'immunité d'exécution peut être déduite de l'acceptation par l'État à l'occasion de la signature d'une clause d'arbitrage CCI, remettant ainsi en cause les principes établis sur cette question dans l'arrêt Eurodif21.
La promotion des investissements dans l’espace OHADA et la protection du créancier n’ont pas fait perdre au législateur communautaire la protection des droits substantiels du débiteur.
On remarque donc que, muni d’une sentence mettant en cause un débiteur, le créancier pourrait être tout de même limité. Les protections qui profitent à tous les débiteurs, personnes morales et surtout physiques, concernent une catégorie de biens qui ne peuvent pas faire l’objet de saisie en vue du recouvrement forcé. La réforme des procédures d’exécution ayant abandonné cette question aux droits nationaux des Etats parties, ce pan du droit demeure régi par le Code de procédure civile et commerciale adopté dans la plupart des Etats, par voie législative ou réglementaire.
Faut-il le remarquer, la loi n’est pas la seule limite à l’exécution facile d’une sentence communautaire, car bien des fois la protection péremptoire du débiteur poursuivi s’en mêle. Il peut paraître paradoxal de se soucier de protéger un débiteur qui ne paye pas ses dettes plutôt que de protéger le créancier qui réclame justice. Cependant, l’indisponibilité juridique résultant des saisies antérieures et l’ouverture d’une procédure collective d’apurement du passif à l’encontre du débiteur[25], rendent insaisissables certains biens du débiteur. Les biens du débiteurs, généralement protégés sont ceux qui sont hors du commerce[26], ceux aliénables mais inéligibles en raison de l’intérêt que la communauté nationale leur attache[27] ou encore ceux nécessaires à sa subsistance. La protection des biens vitaux du débiteur est une mesure humaine qui vise à permettre au débiteur de survivre et de travailler pour payer progressivement sa dette. L’insaisissabilité peut être alors en raison du caractère alimentaire du bien[28]. Certaines pensions et rentes, parce qu’elles sont aussi indispensables à la vie, ne peuvent non plus faire l’objet de saisie. La jurisprudence englobe dans cette catégorie tous les arrérages qui ont un caractère alimentaire notamment les pensions alimentaires dues à un conjoint à la suite d’un divorce, les pensions civiles et militaires, les pensions d’accidents de circulation ou de travail, de sécurité sociale, de retraite ou d’invalidité du combattant. Allant plus loin dans le souci d’assurer le minimum vital au débiteur, une décision[29] a, non sans difficulté, posé le principe de l’insaisissabilité du montant des créances insaisissables versées dans un compte bancaire. En raison de ce principe d’insaisissabilité[30], lorsqu’une mesure d’exécution sera pratiquée sur un tel compte, son titulaire pourra, sur justification de l’origine des sommes, demander le cantonnement de la quotité saisissable. Cette demande rencontrera probablement la résistance de la thèse opposée selon laquelle l’inscription d’une rémunération sur un compte bancaire lui fait automatiquement perdre sa spécificité et partant, la protection accordée au salarié débiteur[31]. De même, les salaires, traitements et appointements ne sont pas intégralement saisissables. Le caractère professionnel du bien peut également en justifier l’insaisissabilité. L’article 327 du CPCC du Cameroun et 1213 du CPCCSAC du Bénin protège les livres relatifs à la profession du saisi, jusqu'à la somme de 20.000 francs au Cameroun et 500 000 francs au Bénin; les machines et instruments servant à l'enseignement pratique ou exercice des sciences et arts, jusqu'à concurrence de la même somme et au choix du saisi ; les équipements des militaires, suivant l'ordonnance et le grade.
La protection du débiteur indigent peut être également assurée par le juge qui pour des raisons d’équité peut suspendre les mesures d’exécution forcée à l’égard du débiteur malheureux. Cette protection momentanée s’accorde par des délais de grâce aux cours desquels la saisie des biens du débiteur est différée. L’institution du délai de grâce en matière de paiement n’est pas une création du droit OHADA. Sous le régime du code civil, les délais de grâce étaient déjà prévus par l’article 1244, qui dispose que: « Le débiteur ne peut point forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d’une dette même divisible ».
CONCLUSION
Face aux difficultés qui entravent l’exécution des décisions de la CCJA, il convient d’envisager la création dans chaque Etat d’un « juge de l’exécution ». Dans ce cadre on peut proposer l’institution d’une autorité supranationale chargée de veiller à l’exécution des décisions de la CCJA. Elle aurait le privilège de fixer des sanctions. Il pourrait s’agir par exemple d’amendes et d’astreintes comminatoires prononcées et liquidées par la CCJA à prévoir dans le règlement de procédure. Mais là encore on ne saurait contraindre des Etats à s’acquitter de ces peines. Que faire alors si de telles mesures demeurent sans effets ?
Il faut envisager toutes mesures de contrainte (comme mise en quarantaine) jusqu’à exclusion éventuelle de l’OHADA ; envisager des mesures de publicité à grande échelle pour toutes sanctions (à prévoir dans le traité) ; adopter des mesures de formation et d’information ; organiser des séminaires de formation et d’information sur la compétence de la CCJA à l’égard des Magistrats des Cours Suprêmes et Cours de Cassation des pays membres.
L’exécution des décisions de la CCJA hors de l’espace OHADA est faite conformément à la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères dite Convention de New York du 10 juin 1958. L’examen de la régularité des décisions de la CCJA peut poser problème car il se fait au regard des règles applicables dans le pays où leur reconnaissance et leur exécution sont demandées.
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V/- TEXTES LEGISLATIFS ET REGLEMENTAIRES
- Textes communautaires
- Règlement d’arbitrage de la CCJA.
- Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
- Traité révisé du 17 OCTOBRE 2008 relatif à l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.
- Textes nationaux
- Code de Procédure Civile camerounais.
- Code de Procédure Civile, Commerciale, Sociale, Administrative et des Comptes en République du Bénin.
VI/- JURISPRUDENCE
- Arrêt CCJA du 7 juillet 2005 portant sur l’affaire Aziablévi YOVO et autres contre Société TOGO TELECOM.
- Arrêt CCJA N° 027/2008 du 30 avril 2008.
- Arrêt Sté Creighton limited c/. Ministre des Finances de l'État du Qatar et ministre des Affaires municipales et de l'agriculture du Gouvernement de l'État du Qatar, (2000).
[1] Cour d’initiation au droit communautaire, licence I, sciences juridiques et politiques, année universitaire 2010- 2011, Université Cheick Anta Diop de Dakar, Op cit page 2.
[2] Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Cette organisation compte à ce jour 17 Etats membres qui sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République Centrafrique, les Iles Comores, le Congo, la Côte-d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo et la RDC.
[3] Cf Lexique Dalloz, termes juridiques, voir intégration.
[4] Il est vrai qu’il ne s’agit pas en réalité de « droit harmonisé » mais plutôt de « droit uniformisé », puisque là où l’Acte uniforme intervient, la législation nationale contraire disparaît.
[5] « L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des décisions et des autres titres exécutoires. La formule exécutoire vaut réquisition directe de la force publique. La carence ou le refus de l’Etat de prêter son concours engage sa responsabilité.».
[6] CCJA Arrêt N° 027/2008 du 30 avril 2008 qui précise que la mise en œuvre de cette disposition ne doit pas déroger aux conditions normales de saisine de la Cour, définies, en matière contentieuse, aux articles 13 et 14 du Traité OHADA.
[7] Art. 46-2 du Règlement de procédure.
[8] Art 10 Al.5 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
[9] Art. 27 du règlement d’arbitrage.
[10] Carole DONGMEZA NAXESSI, L’arbitrage et la promotion des investissements dans l’espace OHADA, Université Hassan II, Maroc - Master en droit des affaires 2008.
[11] Art.30 du règlement.
[12] Article 31 du Règlement d’arbitrage de la CCA.
[13] Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Voir art. 54 de la Convention de Washington de 1965 reproduite dans H. LESGUILLONS, Lamy Contrats internationaux, Tome 8, division 11, annexe 080/1-1. Voir également www.worldbank.org/icsid/, cité par BOIVIN et PIC.
[14] G.K. DOUAJNI, supra, note 3 à la p. 130. Voir également. Ph. FOUCHARD, « Suggestions pour accroître l'efficacité internationale des sentences arbitrales », (1998) 4 Rev. Arb. 653 à la p. 671.
[15] Jean-Marie TCHAKOUA, l'exécution des sentences arbitrales dans l'espace OHADA : regard sur une construction inachevée à partir du cadre camerounais, in THE AFRICAN LAW REVIEW, Revue africaine des sciences juridiques, Vol.6 N° 1, 2009, Université Yaoundé II, Faculté des sciences juridiques et politiques.
[16] Cf. Pr. Paul Gérard POUGOUE in Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA. Presses Universitaires d’Afrique, 2000, p. 260.
[17] C'est le cas du Cameroun, du Bénin, du Gabon, du Mali.
[18] C’est le cas de la République centrafricaine, du Niger, du Sénégal.
[19] C'est le cas du Burina Faso, de la République fédérale islamique des Comores, de la République du Congo, de la Côte d'ivoire, de la Guinée, de la Guinée Bissau, de la Guinée équatoriale, du Tchad et du Togo.
[20] PG. Pougoué, J.AI. Tchakoua et A Féneon, Droit de l'arbitrage dans l’espace OHADA. PUA. Yaoundé, 2000. p. P. Meyer, OHADA, Droit de l’arbitrage, Collection Omit uniforme, Bruylant, Bruxelles, 2002. 11° .JfJ5.
[21] Voir à cet effet L'EXECUTION DES SENTENCES ARBITRALES DANS L'ESPACE OHADA : REGARD SUR UNE CONSTRUCTION INACHEVEE A PARTIR DU CADRE CAMEROUNAIS par Jean-Marie Tchakoua Agrégé des Facultés de Droit, Maître de conférences à l'Université de Yaoundé II Soa, in Revue africaine des sciences juridiques, Volume 8 2009.
[22] Au Cameroun par exemple c’est un décret du 16 mars 1954 qui rend le code de procédure civile
français de 1806 applicable en Afrique Equatoriale Française.
[23] G. KENFACK DOUAJNI, L'immunité d'exécution des personnes morales de droit public, in Revue camerounaise de l'Arbitrage, n° 18, précitée ; Félix ONANA ETOUNDI, L'incidence du droit communautaire OHADA sur le droit interne de l'exécution des décisions de justice dans les Etats parties : cas du Cameroun, Thèse de Doctorat d'Etat en droit des affaires, Yaoundé, janvier 2005, p. 467, cité par MAIDAGA dans « Le défi de l'exécution des décisions de justice en droit OHADA ».
[24] Sté Creighton limited c/. Ministre des Finances de l'État du Qatar et ministre des Affaires municipales et de l'agriculture du Gouvernement de l'État du Qatar, (2000) 3 J.D.I. 1054. Voir également, Ambassade de la Fédération de Russie en France c. Noga, (2001) 1 J.D.I. 116, voir BOIVIN et PIC.
[25] Au terme de l’article 75 de l’acte uniforme portant procédure collective d’apurement du passif, « la décision d’ouverture de la procédure collective suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à faire reconnaître des droits et des créances, ainsi que toutes les voies d’exécution tendant à obtenir le paiement par les créanciers qui, normalement, font partie de la masse ».
[26] A l’exception de la saisie des sommes d’argent qui permet le paiement immédiat de la créance liquide du poursuivant, la saisie des biens corporels du débiteur permet plus tard au créancier de se faire payer sur le prix de leur vente. Il découle de ce principe qu’un bien qui ne peut pas être aliéné ne mérite pas d’être saisi. Les biens inaliénables dont la propriété ne peut être aisément transmise à autrui renferment essentiellement les droits extra patrimoniaux laissés à l’exercice exclusif du titulaire. Ces biens dépourvus de valeur pécuniaire ostensible regroupent les droits personnels(le droit d’usage et d’habitation, l’usufruit légal des père et mère qui ne sont ni saisissables, ni cessibles parce qu’ils ne peuvent être exercés que par les personnes auxquelles ils ont été attribués) moraux et familiaux (Il existe enfin des biens qui ont une destination spécifiquement familiale et qui, pour cette raison, ont été déclarés inaliénables et par conséquent insaisissables. Il en est ainsi des papiers du saisi, notamment les lettres missives ne renfermant aucune valeur, des souvenirs de famille à condition qu’ils ne présentent pas une valeur pécuniaire sérieuse. Dans le même ordre d’idées, ne peuvent être saisis les portraits, les décorations, les bijoux familiaux. Les raisons de ces insaisissabilités sont liées à l’extra patrimonialité de ces objets et au respect dû au secret des familles et au for intérieur de ses membres).
[27] Exemple de l’insaisissabilité des effets de commerce traditionnellement déduite des instructions du code de commerce car, si tout créancier pouvait saisir l’effet de commerce, celui-ci ne présenterait plus aucune sécurité et ne pourrait plus circuler, parce que personne ne l’accepterait en paiement.
[28] Article 1213 CPCCSAC Bénin :« al 7 : les farines et menues denrées nécessaires à la consommation du saisi et de sa famille pendant un mois
8- une vache ou trois brebis ou deux chèvres, au choix du saisi, avec les pailles, fourrages et grains nécessaires pour la litière et la nourriture desdits animaux pendant un mois ».
Ces mêmes dispositions se retrouvent à l’article 327 du CPC du Cameroun
[29] BIT, Résumé des normes internationales du travail, 2e éd., Genève 1990, p.52.
[30] Ce principe a été favorablement accueilli par l’acte uniforme n° 6 qui, en son article 52 dispose de manière générale que « les créances insaisissables dont le montant est versé sur un compte bancaire demeurent insaisissables ».
[31] Limoges, 7 mai 1979, Gaz. Pal. 1979, 2, 634 notes BERTIN (Ph.).