Le 5 mars 2015, le Tribunal de Grande Instance de Paris a jugé que Facebook pourra désormais être jugé par la justice française dans un litige l'opposant à ses utilisateurs.
En effet, le TGI de Paris s’est déclaré compétent pour juger le réseau social Facebook, dans le cadre d'une affaire l'opposant à un utilisateur français en déclarant inapplicable une clause attributive de compétence qui figure dans ses conditions générales d’utilisation (CGU) laquelle désigne les tribunaux de Californie où se trouve son siège social en cas de litige.
Ainsi, selon le juge, la clause attributive de compétence contenue dans les CGU du site internet Facebook est abusive car elle oblige l'utilisateur « à saisir une juridiction lointaine, à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat souscrit, est de nature à dissuader le consommateur d’exercer tout recours à l’encontre de Facebook. Elle instaure "un déséquilibre entre les parties».
Cette décision du Tribunal de grande instance de Paris, très commentée par la presse généraliste, invite à rappeler les conditions de validité d’une clause attributive de compétence.
Pour rappel, la clause attributive de compétence ou clause de prorogation de for est une clause d’un contrat par laquelle les parties choisissent par avance la juridiction qui sera compétente pour connaître du litige qui pourra naître à l’occasion de l’exécution de leur contrat.
Cette possibilité - offerte aux parties à un contrat de désigner le tribunal qui sera territorialement compétent pour connaître des éventuels litiges pouvant s'élever dans le cadre de leur relation contractuelle - est soumise à des conditions de validité qui varient selon qu’on se situe au plan interne, international ou communautaire.
Nous envisagerons ci-après :
- Les conditions de validité de fond de la clause attributive de compétence (I) ;
- Les conditions de validité formelle de la clause attributive de compétence (II) ;
I. Les conditions de validité de fond des clauses attributives de compétence.
En principe, les parties à un contrat peuvent désigner le tribunal qui sera territorialement compétent pour connaître des éventuels litiges pouvant s'élever dans le cadre de leur relation contractuelle.
Toutefois, cette possibilité est soumise à des conditions de validité de fond qui varient selon qu’on se situe au plan interne, international ou communautaire.
En général, les clauses de prorogation de for sont licites lorsqu’elles sont invoquées dans un litige à caractère international.
Dans le cadre communautaire, le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit règlement Bruxelles I, n’admet les clauses attributives de juridiction que sous certaines conditions.
D’abord, la clause attributive de juridiction ne doit pas exclure une compétence exclusive au sens de l’article 22 du règlement.
Ensuite, le règlement prévoit des dispositions pour protéger les parties faibles. Trois parties faibles sont protégées :
- Les assurés (article 13)
- Les consommateurs (article 17)
- Les travailleurs (article 21)
Le treizième considérant du préambule du règlement Bruxelles I précise ainsi : « S'agissant des contrats d'assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales ».
En effet, la clause attributive de compétence est inadaptée lorsque l’une des parties est une partie faible et cela pour plusieurs raisons.
D’abord, on peut craindre que la partie en position de force impose à la partie faible la clause attributive de compétence par un contrat d’adhésion.
Ensuite, il est à craindre que la partie forte, pour décourager la partie faible, ne délocalise la juridiction compétente dans un pays lointain. Dès lors, le coût, l’éloignement, l’obligation d’engager une action dans un pays étranger peuvent décourager la partie faible de mettre en jeu la clause attributive de compétence.
La clause constitue alors un instrument de déni de justice, c’est-à-dire l’impossibilité pour un plaideur de saisir la justice pour faire valoir ses droits.
Pour cette raison, le règlement Bruxelles I prive la partie faible de la possibilité de renoncer par avance à la protection que lui accorde le règlement.
Ainsi, la clause attributive de juridiction n’est valable que si elle est stipulée postérieurement à la naissance du différend, c’est-à-dire à un moment où la partie faible a la libre disposition de ses droits. Dans ce cas, elle peut finalement renoncer à la compétence de son juge naturel par une clause attributive de juridiction.
La clause attributive de compétence stipulée avant la naissance du litige dans le contrat de consommation ou le contrat de travail est nulle pour le règlement.
Pour le contrat d’assurance, la clause attributive de compétence doit aussi être postérieure à la naissance du différend. Elle ne peut pas être stipulée dans le contrat d’assurance mais dans un acte postérieur à la naissance du différend (article 13 du règlement).
A défaut, la clause attributive de compétence ne peut pas être opposée par l’assureur à l’assuré. Autrement dit, l’assuré pourrait en bénéficier s’il le souhaite mais l’assureur lui ne pourrait pas attraire l’assuré devant le juge rendu compétent par la clause.
Ainsi, selon la CJCE : « une clause attributive de juridiction, […], n'est pas opposable à l'assuré bénéficiaire de ce contrat qui n'a pas expressément souscrit à ladite clause et a son domicile dans un État contractant autre que celui du preneur d'assurance et de l'assureur ». (CJCE 12 mai 2005 Soc. Fin. et indus. du Pelloux, n° C-112/03)
La Cour de cassation a ajouté une règle de validité de fond aux clauses attributives de compétence. En effet, elle interdit les clauses attributives de compétence qu’elle qualifie de potestatives. (Cass. civ 1ère, 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-26022)
Dans cette affaire, la Cour de cassation a approuvé la décision des juges du fond qui ont déclaré nulle en raison de son caractère potestatif à l'égard de la banque, la clause attributive de compétence figurant dans le contrat conclu entre une banque et un client, aux termes de laquelle la banque se réservait le droit d'agir au domicile du client ou devant « tout autre tribunal compétent » alors que le client était seul tenu de saisir les tribunaux luxembourgeois.
En droit interne français, l’article 48 du code de procédure civile n’autorise les clauses attributives de compétence qu’en matière commerciale.
A cet égard, l’article 48 du code de procédure civile dispose :
« Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée. »
Ainsi, pour qu’une clause attributive de compétence soit valable, il faut qu’elle soit stipulée dans un acte de commerce. En d’autres termes, la clause attributive de compétence stipulée dans un contrat civil est réputée non écrite. (Cass. civ. 2e, 13 juillet 2006, pourvoi no 03-15605 ; Cass. civ. 2e, 4 juillet 2007, pourvoi no 06-16140)
Toutefois, en matière internationale, la clause attributive de compétence est valable même dans les contrats non commerciaux. (Cass. civ. 1re, 25 novembre 1986 ; CA Paris, 20 décembre 1989 ; CA Versailles, 8 avril 1993)
En effet, la Cour de cassation a jugé que « les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites lorsqu'il s'agit d'un litige international et lorsque la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d'une juridiction française » (Cass. civ 1ère, 17 décembre 1985, pourvoi n° 84-16338)
Il résulte de cette jurisprudence que, dans le cadre d'un litige international, l'unique condition de licéité d'une clause attributive de compétence en droit international privé commun est le respect des compétences territoriales impératives françaises.
Par exemple, en matière contractuelle, la Cour de cassation a jugé que la compétence du conseil de prud’hommes français était impérative lorsque le contrat de travail litigieux était exécuté sur le territoire français. (Cass. soc, 29 septembre 2010, pourvoi n° 09-40688 : « une clause attributive de compétence incluse dans un contrat de international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l'article R. 1412-1 du code du travail applicables dans l'ordre international »)
Ainsi, une clause attributive de compétence à un juge étranger ne peut pas priver le Conseil de prud’hommes français de sa compétence. A contrario, lorsque le contrat de travail s’exécute à l’étranger, la clause est valable même si le domicile du salarié est en France.
De même, la Cour de cassation a jugé que les tribunaux français étaient toujours compétents en matière de contrat d’assurance de biens lorsque le bien assuré était situé sur le territoire français : « Attendu que la cour d'appel, qui a souverainement constaté que le cheval assuré se trouvait en France au moment du sinistre, a légalement justifié la compétence de la juridiction française au regard des dispositions impératives de l'article R. 114-1 du Code des assurances et rejeté, par voie de conséquence, l'exception de litispendance internationale » (Cass. civ 1ère, 17 juin 1997, pourvoi n° 95-18045)
II. Les conditions de validité formelle des clauses attributives de compétence
On note un très grand libéralisme dans l’acceptation de la forme de la clause attributive de compétence.
En effet, la seule condition de forme imposée par le règlement est simplement un accord de volonté entre les parties (article 23 du règlement).
Ainsi, la clause attributive de juridiction peut valablement être conclue:
- par écrit : tout document écrit permet de prouver l’existence de la clause. Cet écrit n’est pas forcément signé par les parties. La clause attributive de compétence par référence est permise,
- verbalement avec confirmation écrite : la clause attributive de compétence peut être un accord verbal confirmé par écrit par l’une des parties,
- sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles,
- dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage du commerce.
Dès lors, la clause attributive de compétence peut figurer dans tout document écrit et même dans un document auquel le contrat signé par les parties se réfère à condition que soit démontrer que la partie à qui la clause est opposée pouvait prendre connaissance de ces documents avant la signature du contrat.
Par ailleurs, la jurisprudence a défini des conditions de validité formelle de la clause.
Ainsi, il a été jugé que la clause attributive de compétence doit figurer dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée de façon très apparente (Cass. civ. 2e, 7 juin 2012, pourvoi no 11-13105). Il n'est donc pas possible de la faire figurer dans un document qui ne constate pas directement l’engagement de la partie à qui elle est opposée, telle une facture. (Com. 16 novembre 1983)
En outre, la jurisprudence a estimé que la clause attributive de compétence doit être stipulée de bonne foi et en caractère normalement lisible pas en petit caractère pour qu’on puisse en prendre connaissance sans difficulté particulière.
Ainsi, la clause attributive de compétence figurant au verso d'un imprimé qui n'a été signé qu'au recto ne satisfait pas à cette exigence, et ce d'autant plus qu'en l'espèce la clause attributive de compétence était écrite « en petits caractères d'imprimerie et à la fin d'un texte copieux et serré, difficilement lisible et peu apparent pour un lecteur moyen » (Cass. civ. 2e, 20 février 1980 – CA Paris, 27 novembre 1991 – CA Aix-en-Provence, 22 janvier 1992).
De même, dans un arrêt rendu le 25 février 2010, la Cour d'appel de Versailles a déclaré nulle la clause attributive de compétence insérée au verso des conditions d'un contrat de fourniture de gaz à un commerçant, sans que ne figure au recto un renvoi attirant l'attention du commerçant et sans qu'aucun élément distinctif, notamment de police, ne distingue particulièrement ce paragraphe. (CA Versailles, 25 février 2010)
Yaya MENDY