Le pouvoir disciplinaire de l'employeur pour des faits commis au cours d'une grève

Publié le 20/06/2016 Vu 2 172 fois 0
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Pour qu'un salarié soit sanctionné au cours d'une grève il est nécessaire que celui-ci ait commis une faute lourde. Tel n'est pas le cas si la grève est en fait requalifiée en mouvement illicite...

Pour qu'un salarié soit sanctionné au cours d'une grève il est nécessaire que celui-ci ait commis une faut

Le pouvoir disciplinaire de l'employeur pour des faits commis au cours d'une grève

Les règles énoncées sont celles applicables aux entreprises du secteur privé, les règles étant particulières dans le secteur public.

La  jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de Cassation par un arrêt du 17 janv. 1968, n° 66-40.382 définie la grève comme étant « la cessation collective et concertée par le personnel d’une ou plusieurs entreprises en vue d’appuyer des revendications professionnelles connues de l’employeur ». Elle est ensuite apparue dans le CT à l’article L2511-1. La grève est un droit fondamental reconnu et protégé par la Constitution.


En cas de grève, pour déterminer les sanctions possibles que l’employeur peut infliger à ses salariés pour des faits commis pendant la période de grève il faut raisonner en deux étapes.

Une 1ère étape où l’on vérifie que le mouvement mené par les salariés est bien un mouvement de grève licite au sens de la jurisprudence et du code du travail, si c’est le cas le pouvoir disciplinaire de l’employeur sera très restreint, puisque celui-ci ne pourra licencier que si le salarié a commis une faute lourde au cours de la grève.

A défaut, si les conditions nécessaires pour que le mouvement soit qualifié de grève ne sont pas remplies, nous sommes alors en présence d’un « mouvement illicite », dans cette situation l’employeur conserve son entier pouvoir disciplinaire à l’égard des salariés.

ETAPE 1 : LE MOUVEMENT DE GREVE EST-IL VALABLE ?

Les 3 conditions citées aux A, B et C sont des conditions cumulatives, tous ces critères doivent être remplis pour que la grève soit valable.

A – La cessation  doit être totale, collective et concertée

1) Une cessation totale

La cessation doit être totale/ complète. C’était tellement évident que la CASS ne l’avait pas ajouté dans son attendu de principe. Seront ainsi considérés comme étant des mouvements illicites et non pas comme une grève les mouvements suivants :

-           La « grève perlée » : la cessation doit être franche, ce qui exclut ici les ralentissements. S’il y a un abaissement des cadences sur la production industrielle dans une usine, il n’y aura pas cessation totale donc on sera sur un mouvement illicite (Cass. soc., 25 janv. 2011, n° 09-69.030).

-           La cessation du travail limitée à une obligation particulière du contrat de travail, comme par exemple une le non-respect d’une obligation d’astreinte, ou encore l’exécution volontairement défectueuse, ou la « grève d’autosatisfaction » qui vise à ne pas exécuter seulement une partie du contrat que l’employeur avait interdit par exemple si des salariés ne viennent pas travailler le samedi alors que l’employeur leur avait demandé. Cela constitue des mouvements illicites, car la cessation n’est pas totale. Les salariés pourront donc être sanctionnés (Cass. soc. 21 juin 1989 n°88-44.240)

La cessation n’est possible que pendant vos horaires de travail effectif, si vous avez choisi de venir militer le samedi matin alors que vous ne travaillez pas vous n’êtes pas dans le travail, donc il n’y aura pas cessation totale de travail.

Pour autant, il est possible qu’il y ait des cessations très courtes de travail, par exemple une cessation d’une heure peut être considérée comme totale. Egalement de nombreux arrêts dans le secteur de l’industrie, si vous faites grève une heure, le temps de remettre en route les machines la production de l’entreprise s’arrête bien plus qu’une heure. Le temps de grève n’est que l’heure où les salariés ont fait grève.

Toutefois, ces arrêts courts et répétés constituent l’exercice normal du droit de grève mais ils deviennent abusifs s’ils entrainent une désorganisation de l’entreprise.

Sont possibles les « grèves tournantes » où des catégories de professionnelles font faire grève à tour de rôle seulement dans le secteur privé sous la réserve de l’abus.

Idem pour la « grève bouchon » qui consiste en ce que seulement des salariés essentiels fassent grèves pour bloquer toute la société alors que le reste va être présente (sans pouvoir travailler…) mais devra donc être payé, sous la réserve là encore de l’abus.

2) Une cessation collective et concertée

La cessation doit être collective et concertée ça veut dire qu’il faut qu’il y ait plusieurs salariés. L’idée c’est une volonté commune d’agir, mais cela ne nécessite pas la majeure partie des salariés. Il faut au moins 2 salariés, sauf si vous êtes une entreprise d’un seul salarié alors vous pouvez par exception faire grève, de même si vous êtes le seul salarié à participer à une grève nationale on estimera que ce sera collectif et concerté pour respecter le principe constitutionnel de la grève (Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863).

Concernant la grève nationale, le simple fait de participer à une protestation des décisions politiques de la puissance publique n’est pas suffisant, il faut pour que cela soit qualifié de grève et non pas de mouvement illicite que le mouvement national auquel le salarié se joint comporte des revendications d’ordre professionnel communes à l’ensemble des salariés, par exemple le salarié qui va à une grève national concernant la défense des retraites.

Il n’est pas exigé donc que tous les salariés, ni même une majorité d’entre eux soit en grève (jurisprudence constante). La grève peut donc être qualifié alors qu’elle ne concerne qu’une catégorie de salariés, qu’un atelier de l’entreprise ou encore qu’une fraction du personnel même minoritaire.

B – La revendication professionnelle

Les revendications doivent exister et le caractère doit véritablement être professionnel. Ce qui veut dire que par principe vous ne pouvez pas faire grève pour l’augmentation du coût de la vie, car votre employeur ne peut pas le modifier. En revanche, vous pouvez faire grève en demandant une augmentation des salaires suite à l’augmentation du coût de la vie.

Ont par exemple un caractère professionnel les revendications portant sur le salaire, les conditions et horaires collectifs de travail, l’emploi, l’hygiène et la sécurité etc.

Ainsi, une grève de solidarité ayant pour seul objet de soutenir un salarié licencié est un mouvement illicite, en revanche les salariés pourront faire une grève de solidarité si leur soutien s’accompagne de revendications professionnelles intéressant directement le personnel, c’est ça tout le point à discuter en cas de litige. Par exemple, le mouvement engagé contre le licenciement d’un délégué syndical qui s’était engagé à défendre les conditions de travail des salariés de l’entreprise pourra être qualifié de mouvement licite de grève (Cass. soc. 5 janvier 2001 n°10-10685).

Elles n’ont pas à être limitée et raisonnable, les salariés peuvent un peu tout demander… par exemple des tracts d’un syndicat appelant à la grève général et proposant le SMIC à 1700 euros par mois en repassant à 32 heures. Même si c’est complètement illusoire, d’un point de vue juridique c’est bien une revendication professionnelle.

Les revendications professionnelles doivent être connues de l’employeur, pour autant, vous n’avez pas au préalable à demander à l’employeur avant de faire grève.

C – La connaissance des revendications par l’employeur

Il faut informer l’employeur mais il n’y a aucune procédure spécifique pour le faire, vous pouvez simplement lui déposer un tract pour l’informer (Cass. Soc 30 mars 1999 n°97-41104). En général on considère que la connaissance de l’employeur est acquise. Ce sont surtout  les problématiques évoqués dans le A et le B qui sont sujets à discussion en jurisprudence.

ETAPE 2 : LES CONSEQUENCES SUR LE POUVOIR DISCIPLINAIRE DE L'EMPLOYEUR

A – Un pouvoir disciplinaire de l’employeur affaibli en cas de mouvement de grève reconnu licite

L’employeur ne peut sanctionner un salarié pour des faits commis lors d’une grève que s’ils sont constitutifs d’une faute lourde.

La faute lourde est, en droit du travail, définie comme la faute commise par le salarié démontrant une intention de nuire à son employeur. En cas de grève, la définition de la faute lourde est modifiée car elle sera caractérisée en cas de faute d’une exceptionnelle gravité, par exemple la jurisprudence considère qu’il y a faute lourde en cas de :

  • Violences, coups et blessures, séquestrations, voies de fait « La voie de fait ou violence légère est un acte, contraire au droit, qui cause une atteinte corporelle minime et temporaire à la victime. »
  • Destruction ou dégradation de matériel
  • Entraves à la liberté du travail

A contrario, selon la jurisprudence, ne sont pas considérée comme étant une faute lourde le fait de :

  • Participer de manière passive à un piquet de grève sans voie de fait
  • Participer à une occupation des locaux sans entrave à la liberté du travail
  • Refuser de restituer le véhicule affecté pour son travail si l’employeur ne peut pas prouver qu’il avait l’intention de confier ce véhicule à des non-grévistes
  • Distribuer un tract syndical pour dénoncer les mauvaises conditions de travail
  • Insulter, en dehors de toutes violences physiques

La seule possibilité pour licencier ce sera la faute lourde. Pour autant, il faut que la faute lourde soit constituée mais l’employeur disposant d’un pouvoir de direction, sanction et contrôle, dans ce cadre-là il peut considérer que vous avez commis une faute lourde mais il peut vous licencier seulement pour faute grave ou faute sérieuse par exemple.

L’idée est qu’en période de grève vous n’avez le droit de licencier que pour la faute lourde, mais les conséquences de la faute lourde sont très graves (privé d’indemnité de licenciement, de préavis, retarde votre inscription au chômage etc.), et donc en tant qu’employeur si vous avez un salarié avec une très grande ancienneté vous pouvez considérer qu’il a bien fait une faute lourde mais qu’il ne mérite pas toutes les sanctions. L’employeur va donc pouvoir moduler la sanction.

Dans la lettre de licenciement vous licenciez pour faute lourde, puis vous justifiez que « au vu de votre ancienneté, et de votre passé disciplinaire sans problème, je vous licencie pour faute sérieuse… ».

Il est donc possible d’individualiser la sanction en cas de plusieurs personnes qui participent à une faute lourde que sur des critères objectifs (ancienneté, passé disciplinaire etc.) mais pas pour des motifs discriminatoires (L1232-2).

B – Le pouvoir disciplinaire étendu de l’employeur en cas de mouvement illicite ou d’abus du droit de grève

1) Le mouvement illicite

En cas de mouvement illicite, l’employeur retrouve son pouvoir disciplinaire, il n’a pas à licencier que pour faute lourde, il peut sanctionner en présence de tous types de fautes (sérieuse, grave ou lourde). Il peut également décider de ne sanctionner que par un blâme, ou un avertissement par exemple, puisqu’il retrouve son entier pouvoir disciplinaire et a donc le choix total quant à la sanction.

Le simple fait de participer à un mouvement illicite constitue une faute, puisqu’il va en fait constituer un abandon de poste pouvant justifier le licenciement du salarié. Et n’étant pas dans le cadre de la grève, aucune des garanties y afférent ne pourra être prise en compte.

2) L’abus du droit de grève

A l’origine, le mouvement répond aux critères pour être qualifié de grève. Or, compte tenu des circonstances dans lequel il est exercé celui-ci va être considéré comme abusif, ce qui a pour conséquence que le mouvement ne pourra plus être qualifié de « grève », mais il sera qualifié de « mouvement illicite », et donc l’employeur retrouvera son entier pouvoir de sanction.

Le critère principal caractérisant un abus du droit de grève est lorsque celle-ci risque d’entrainer, ou entraine la désorganisation de l’entreprise et non de sa seule production (Cass Soc 4 novembre 1992 n°90-41899). Ce sera par exemple le cas lorsque :

- Des « débrayages » répétés désorganisant l’entreprise, ce sont des arrêts courts mais répétés du travail qui vont avoir des impacts importants, notamment quand il faut remettre en route des machines etc. (Cass Soc 25 février 1988 n°85-43293)
- Les arrêts successifs de travail entraine une perte de clientèle, si c’est le cas il y aura bien un abus du droit de grève (Cass Soc 7 avril 1993 n°91-16834, en l’espèce ce n’est pas le cas car la clientèle a bien été conservée).

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