La clause compromissoire d’un contrat d’assurance, soit la stipulation par laquelle les parties à un contrat s’engagent à soumettre à l’arbitrage les contestations qui pourraient s’élever entre elles, selon l’article 1442 du code de procédure civile, est opposable aux victimes exerçant une action directe contre les assureurs en responsabilité. En effet, la clause n’est pas manifestement inapplicable dans cette relation entre les victimes et les assureurs en responsabilité, au-delà donc des parties contractantes initiales et alors même que le tiers victime n’a pas exprimé son consentement à l’arbitrage, selon l’énonciation de la Cour de cassation.
Au fondement de cette solution, la Cour du Quai de l’Horloge se base sur le principe compétence-compétence, selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer, par priorité, sur sa propre compétence, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage ; en justification de l’application du principe, la Cour a analysé la clause compromissoire comme un accessoire au droit d’action, au risque de heurter de front le principe du consensualisme et le principe de consentement des parties à l’arbitrage, des piliers de notre droit.
La Cour de cassation, en son arrêt rendu en date du 19 décembre 2018 en formation de Première chambre civile, énonce sans ambiguïté dans l’exposé de ses motifs que « (…) selon le principe compétence-compétence, il appartient à l’arbitre de statuer, par priorité, sur sa propre compétence sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage ; qu’ayant constaté de la contrat souscrit par la société X stipulait que les litiges concernés par le contrat d’assurance devaient être portés, à l’exclusion des juridictions ordinaires, devant une juridiction d’arbitrage de Hambourg et réglés selon les règlements de la German Maritime Arbitrators Association, la cour d’appel, qui a retenu que la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs, a exactement décidé que le tribunal de commerce de Nancy était incompétent (…) ».
En l’espèce, une péniche appartenant à une société de transport maritime, titulaire d’une police d’assurance souscrite auprès d’un pool de sociétés d’assurances, celle-ci étant pourvue d’une clause compromissoire, a heurté un barrage et causé en conséquence des dommages à l’ouvrage, dont la gestion est confiée à l’établissement public Voies Navigables de France (VNF). L’établissement public VNF a alors assigné la société propriétaire du navire qui a causé les dommages et ses assureurs devant les juridictions de Nancy en réparation de son préjudice, notamment ; la cour d’appel a conclu à l’incompétence des juridictions étatiques, à l’observation de la clause compromissoire stipulée dans le contrat d’assurance.
Selon VNF, au soutien de son pourvoi, la clause d’arbitrage lui est inopposable, car il est une partie tierce à la police d’assurance, liant initialement la société de transport maritime et le pool de sociétés d’assurances, et ainsi qu’elle n’a pas exprimé son consentement à l’arbitrage. Ainsi, la clause compromissoire lui est manifestement inapplicable, et le contentieux relève ipso facto de la compétence des juridictions étatiques, et non de la juridiction arbitrale.
La Cour de cassation énonce dans ses motifs que la clause compromissoire est opposable aux victimes en vertu du principe compétence-compétence, qui trouve à s'appliquer car ladite clause n’est pas manifestement inapplicable, alors même que la victime qui exerce une action directe contre l’assureur en responsabilité est tierce au contrat d’assurance, et donc n’y a pas consenti in fine.
À la base de cette solution, la Cour analyse la clause d’arbitrage comme l’accessoire du droit d’action, en conséquence applicable au tiers qui exerce une action directe contre l’assureur en responsabilité, prévue par l’article L. 124-3 du code des assurances.
Nous pouvons conjecturer que le caractère accessoire de la clause est determiné par la Cour en vertu de l’attachement entre le préjudice du tiers-victime et l’exécution du contrat d’assurance, le tiers-victime devenant du fait de la réalisation du préjudice, automatiquement partie à « l’exécution » du contrat, alors même qu’il n’y a pas consenti, par le mécanisme de l’opposition des exceptions au contrat d’assurance par l’assureur en responsabiltié.
Cette solution va à l’encontre de piliers de notre droit, le principe du consensualisme et le principe du consentement des parties à l’arbitrage et peut s’analyser comme un forçage du consentement de la victime, allant à l’encontre de la règle spécifique posée à l’article 246 du code de procédure civile, qui dispose que « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l'oppose, à moins que celle-ci n'ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement acceptée. »
Et, il n’y a pas dans ce cas de transmission du droit d’action, à la base du raisonnement de l’accessoire attaché au droit substantiel transmis, pour la clause compromissoire, dans les hypothèses de cessions de contrats et de chaines de contrats translatifs ; la victime ne succède point en l’assuré ici, nous sommes dans un cadre extracontractuelle. L’action directe est éminemment personnelle, et la victime n’exerce pas un droit de l’assuré.
Antoine Dolisi
POUR EN SAVOIR PLUS ET SOURCES
Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 décembre 2018, F-D, numéro 17-28.951
Article 2061 du Code civil relatif à la convention d’arbitrage
Article 1142 du code de procédure civile relatif à la convention d’arbitrage
Article 1448 du code de procédure civile relatif à la convention d’arbitrage
Article L. 124-3 du code des assurances relatif aux assurances de responsabilité
Convention d’arbitrage et action directe de la victime contre l’assureur, de Monsieur V. Chantebout, Dalloz Actualité (rubrique civil), le 28 février 2019, éditions Dalloz
Opposabilité de la clause compromissoire aux victimes exerçant leur action directe contre les assureurs de responsabilité, de Monsieur le Professeur Ph. Delebecque, Le Droit Maritime Français, N°810, du 1er février 2019, LAMY REVUE, édition Wolters Kluwer