~~« Les partenaires sociaux ne se saisissent pas suffisamment des souplesses que la loi leur donne pour déroger au cadre réglementaire standard ». De qui est cette affirmation lapidaire ? D’un groupe de réflexion patronal ? D’un expert du dialogue social, au libéralisme affirmé ? Et bien non, elle est tout simplement de notre Premier ministre, Manuel Valls.
Voilà qui va réjouir un certain nombre de syndicalistes ...
La négociation collective : une richesse sous exploitée
Manuel Valls s’est exprimé ainsi dans la lettre de mission adressée à la commission sur les accords collectifs présidée par Jean Denis Combrexelle. Celle-ci vient de débuter ses travaux et devrait rendre son rapport en septembre prochain, avec des solutions concrètes pour dynamiser la négociation en France.
Dans cette lettre, notre premier ministre poursuit en écrivant que « la place donnée à l’accord collectif, par rapport à la loi, dans le droit du travail français, est encore trop limitée ».
Il est un fait que la négociation pourrait être plus forte et plus développée. Cependant, et contrairement aux idées reçues, la négociation interprofessionnelle est sur le plan quantitatif la plus importante parmi les pays européens (semaine sociale Lamy n° 1666, p. 5 , Jacques Freyssinet). De même, la négociation aux niveaux inférieurs est loin d’être inexistante.
Mais, c’est vrai que la négociation est surtout présente dans les entreprises d’une certaine taille et que de nombreux champs ne sont jamais abordés en négociation. Elle pourrait donc être plus audacieuse, non vécue comme une contrainte mais comme une richesse permettant de concilier les besoins des entreprises et les aspirations des salariés et ainsi de mieux servir le client.
Prenons l’exemple du temps travail. Les possibilités offertes par la loi pour négocier dans ce domaine ont été trop peu utilisées. Pourtant, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps travail a renversé la hiérarchie des normes. Il est donc possible depuis longtemps de fixer par accord d’entreprise des dispositions différentes, même moins avantageuses que celles fixées par l’accord de branche. Ainsi, la durée légale de travail peut-elle être augmentée. Rappelons que celle-ci n'est pas une durée obligatoire, c’est simplement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. De même, beaucoup de choses peuvent être instituées en matière d’aménagement pluri hebdomadaire de travail, de contingent d’heures supplémentaires ou encore de majoration supplémentaire.
Pour seulement 1/3 des Français, le dialogue social est un atout sur le plan économique
Alors pourquoi les entreprises ne se saisissent-elles pas des facultés offertes par la loi ? Parmi les nombreuses raisons qui freinent les ardeurs en la matière, en voici quelques-unes.
La complexité du droit social est souvent avancée. Cependant, beaucoup d’entreprises n’investissent pas suffisamment dans l’ingénierie sociale et le recours aux conseils externes sont trop tardifs. Le réflexe d’être accompagné tout au long de l’année par un spécialiste des questions sociales, comme l’entreprise peut l’être par son expert-comptable, est encore trop faible dans notre pays. De même, les directions des ressources humaines sont, dans bien des cas, sous staffées. On comprend alors pourquoi de nombreux DRH ne lancent-ils pas certaines négociations, d’autant plus qu’il existe déjà de nombreuses négociations obligatoires.
Côté syndical, on peut pointer une culture de la revendication souvent plus forte qu’une attitude de proposition. Mais on peut aussi souligner qu’en raison de la technicité accrue de la matière, du nombre important de réunions et de sollicitations nombreuses des salariés, les délégués syndicaux ne poussent pas aux négociations.
Il faut aussi relever qu’un récent sondage nous révèle que seulement 31 % des Français estiment que l’impact du dialogue social sur les réformes économiques est un atout (Axys Consultants, Le Figaro et BFM Business). Alors, dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le dialogue social ne se développe pas plus.
Décloisonner la société
La mission assignée à la commission pour encourager les entreprises est loin d’être simple. La solution ne peut pas provenir que d’une impulsion de la loi. Toute complexification juridique aurait même un effet repoussoir. Il faut une action plus large, plus globale permettant de dépasser les clivages et les poncifs qui ont la vie dure.
Ainsi, par exemple, trop souvent le comité d’entreprise est considéré comme un ennemi et le fonctionnement des institutions représentatives du personnel, très largement méconnu des managers. Or, pourtant qui est acteur du dialogue social au quotidien, qui peut l’initier ? Dans les grandes entreprises, ce sont les cadres dirigeants.
La dichotomie employeurs/salariés reste très forte. On a l'impression de rester au stade des tribus gauloises. Sur le terrain, beaucoup d'observateurs constatent une régression au niveau des mentalités.
Il est urgent de tout faire pour réduire cette fracture, gommer cette « acculture », décloisonner la société. Cela ne se fera pas rapidement. Il est certain que cela passe par un renforcement de la transmission des savoirs en la matière, au collège, au lycée, dans les universités et grandes écoles . Il faut aussi apprendre à dialoguer, à accepter de revoir ses positions, à écouter les autres…Ce qui est loin d’être une chose facile.