Maître Frédéric CHHUM est l’avocat du scripte, intermittent du spectacle.
1)Â Â Â Â Â Â Â Â Les faits
A compter du mois de décembre 1995, Monsieur X a été engagé dans le cadre d’une série
de contrats à durée déterminée d'usage, en qualité d’abord d’agent administratif, puis, Ã
compter du mois d’août 1999, en qualité de scripte, par FRANCE 3 Limousin Poitou
Charentes, désormais la société FRANCE TELEVISIONS.
En qualité de scripte, Monsieur X est en charge principalement de la préparation et de la mise
à l’antenne des éditions du journal télévisé de FRANCE 3 et travaille à la
production d’autres émissions de la chaîne.
Le 24 mai 2012, Monsieur X a fait part à son employeur de son souhait d’intégrer la société
de façon pérenne en occupant un poste de scripte à temps plein à Limoges.
Le 25 mai 2012, la société FRANCE TELEVISIONS a proposé à Monsieur X deux postes
de scripte en CDI, l’un à Toulouse, l’autre à Poitiers.
Le 31 mai 2012, Monsieur X a informé l’employeur de ce qu’il n’entendait pas accepter l’un
de ces postes qui ne correspondaient pas à sa demande en raison de leur localisation et de
la rémunération proposée.
Le 11 septembre 2012, Monsieur X a mis en demeure la société FRANCE TELEVISIONS
de l’intégrer au sein de FRANCE 3 Limoges sur la base d’un CDI à temps plein avec un
salaire brut de 45 000 €.
Le 17 septembre 2012, Monsieur X Â a saisi le conseil de prud'hommes.
Le 18 octobre 2013, la société FRANCE TELEVISIONS a proposé à Monsieur X une
intégration sur un poste de scripte à temps plein, classification technicien supérieur
confirmé, classification 4B, niveau de placement 7, pour une rémunération mensuelle brute
de 2 592,68 € (soit 31 112,21 € annuels).
Le 25 octobre 2013, Monsieur X a indiqué à la société FRANCE TELEVISIONS que si cette
proposition le satisfaisait dans son principe, il ne pouvait en accepter les conditions
statutaires et financières.
Le 11 avril 2014, la société FRANCE TELEVISIONS a proposé à Monsieur X une
intégration sur un poste de scripte à temps plein, classification cadre, classification 5S,
niveau de placement 12, pour une rémunération mensuelle brute de 2 962,90 € (soit
35 554,80 € annuels).
2) La requalification des contrats de travail à durée déterminée
L'article L. 1242-1 du code du travail dispose qu'un contrat à durée déterminée, quel que soit
son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié
à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Cependant, il n'est pas contesté que depuis le début de sa collaboration avec la société
FRANCE TELEVISIONS en décembre 1995, Monsieur X a été engagé dans le cadre de plus
de mille CDD successifs, dont plus de 350, toujours en qualité de scripte, depuis 2007.
Les tableaux fournis par Monsieur X de ses jours travaillés entre janvier 2006 et mai 2014
montrent que les CDD se suivent de façon quasi-ininterrompue et que depuis septembre
2007, il a travaillé de 54 à 132 heures par mois et en moyenne 110 jours par an. Monsieur X
n'est pas démenti lorsqu'il affirme qu'en qualité de scripte, il était essentiellement chargé de
la préparation et de la mise à l'antenne du journal télévisé du soir de FRANCE 3 Limoges,
ce que confirment les CDD et les tableaux de service prévisionnel hebdomadaires versés au
dossier.
Le journal télévisé de FRANCE 3 Limoges est diffusé quotidiennement. L'accord
collectif d'entreprise de FRANCE TELEVISIONS considère les emplois de scriptes comme
des emplois permanents. D'autres salariés scriptes sont employés par l'entreprise dans le
cadre de contrats à durée indéterminée.
En l'état de ces éléments, il apparaît que Monsieur X occupait un emploi lié à l'activité
normale et permanente de la société FRANCE TELEVISIONS.
L'utilisation des CDD ne se trouve donc pas justifiée par des raisons objectives liées au caractère par nature temporaire de l'emploi. Les contrats à durée déterminée doivent être requalifiés en un contrat à durée indéterminée. L'ancienneté de Monsieur X doit être fixée à compter du 8 décembre 1995, date de la première embauche.
3) La requalification des CDD en CDI Ã temps complet
En application de l'article L. 3123-14 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel
doit préciser notamment la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou
les semaines du mois ainsi que les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour
chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié.
A défaut, l'emploi est présumé à temps complet et il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, qu’il s’agissait d’un emploi à temps partiel, d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’était pas tenu de se tenir constamment à sa disposition.
En l'espèce, les CDD sont conclus pour une durée de un à cinq jours. L'employeur ne peut
donc soutenir que Monsieur X travaillait dans le cadre de CDD Ã temps plein - ce qui
rendrait les dispositions précitées inapplicables - au seul motif que les contrats prévoyaient
que la durée normale de travail était de 8 heures par jour pour les contrats inférieure à la
semaine, ou de 35 heures par semaine pour les contrats d'une semaine ou plus et que les
horaires de travail étaient fixés par la direction. (…)
Il résulte de ces constatations que le salarié ne pouvait pas prévoir avec certitude quand il
devait travailler, le planning étant susceptible d'évoluer et d'être modifié sans délai de
prévenance et que si l'employeur l'interrogeait à chaque sollicitation sur ses disponibilités,
le salarié pouvant, semble t-il, refuser la mission proposée, il devait, dans les faits, être à la
disposition de FRANCE TELEVISIONS, qui était son employeur exclusif, pour répondre
à ses attentes. La société FRANCE TELEVISIONS ne rapportant pas la preuve que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’était pas obligé de se tenir constamment à sa disposition, la relation de travail doit être requalifiée en CDI à temps complet. Le jugement de première instance doit être infirmé.
3) Les incidences financières de la requalification en CDI à temps complet
3.1) Sur le salaire de référence
Monsieur X prétend voir fixer les rappels de rémunération et indemnité lui revenant sur la
base de la rémunération perçue par Mme Z, une collègue scripte en CDI à temps
plein, soit 38 641 € bruts mensuels (3 220,28 € bruts) .
L'employeur justifie cependant que Mme Z bénéficie d'une ancienneté plus
importante que celle de Monsieur X, ayant commencé sa collaboration avec la société
FRANCE TELEVISIONS en 1992 et s'étant vu reconnaître une ancienneté "compactée" de
15 ans au 31 décembre 2012. (…)
En l'état des éléments soumis à son appréciation, la cour estime devoir retenir comme salaire
de référence pour la fixation des créances de Monsieur X, celui figurant sur la proposition
adressée au salarié le 11 avril 2014, soit une rémunération mensuelle brute de 2 962,90 €
(soit 35 554,80 € annuels) correspondant à un poste de scripte à temps plein, classification
cadre, classification 5S, niveau de placement 12.
3.2) Sur l'indemnité de requalification
Il ya lieu d'allouer à Monsieur X une indemnité de 2 962,90 € sur le fondement de l'article
L. 1245-2 du code du travail.
3.3) Sur le rappel de salaire du fait de la requalification
Le décompte proposé par Monsieur X ne peut être retenu, dès lors qu'il se base sur une
rémunération mensuelle de 3 220,28 € bruts et qu'il retient un nombre de jours travaillés
de 227 jours par an alors que la société FRANCE TELEVISIONS justifie que les salariés
de l'entreprise travaillent en moyenne 190 jours par an.
Il y a lieu dans ces conditions de retenir le décompte fourni par l'employeur qui prend en
compte cette durée de travail et une rémunération reconstituée basée sur le niveau B 21.1
de la grille conventionnelle applicable et de son évolution au fil des années considérées et
duquel il ressort que Monsieur X peut prétendre, sur la période non prescrite 15 septembre
2007 / 20 mai 2014, à un rappel de salaire de 32 788,50 € bruts. A cette somme, s'ajoutent les congés payés afférents de 10 %.
3.4) Sur le rappel de primes d'ancienneté
L'accord collectif d'entreprise de FRANCE TELEVISIONS du 28 mai 2013 prévoit une
prime d'ancienneté pour les salariés titulaires d'un CDI "calculée en fonction de l'ancienneté
dans l'entreprise, dans les conditions suivantes : 0,8 % du salaire minimal garanti du
groupe de classification 6 (cadre 2) par année d'ancienneté entreprise jusqu'à 20 ans, puis
0,5 % par année de 21 à 36 années".
Compte tenu des éléments de rémunération et de l'ancienneté de Monsieur X, il peut
prétendre à une prime d'ancienneté d'un montant total de 13 486 € bruts, outre les congés
payés afférents de 10 %.
3.5) Sur le rappel de primes de fin d'année
Il résulte de notes de service versées par la société FRANCE TELEVISIONS que
l'employeur verse une prime de fin d'année, calculée au prorata du temps de présence dans
l'entreprise et dont le montant est fonction de la rémunération versée (plus la rémunération
est élevée, moins la prime est élevée).
Compte tenu des éléments de rémunération, Monsieur X peut prétendre à une prime annuelle
de 2 021 €, soit au titre de la période septembre 2007/fin 2013, à une somme de 12 724,45 €.
3.6)     Sur la demande d'intégration au sein de FRANCE 3 Limoges
Il n'appartient pas à la cour d'ordonner l'intégration de Monsieur X au sein de FRANCE 3
Limoges ni de définir à la place des parties les conditions de cette intégration.
La relation de travail, dont il n'est pas prétendu qu'elle ait été rompue, ayant été requalifiée
en CDI à temps complet, il sera seulement donné acte à la société FRANCE TELEVISIONS
de la proposition adressée à Monsieur X par lettre en date du 11 avril 2014, prévoyant des
conditions statutaires et financières conformes à la situation du salarié mais qui restent
négociables dans le cadre de la liberté contractuelle des parties.
Frédéric CHHUM Avocat à la Cour
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