Le Conseil d’Etat apporte de très intéressantes précisions sur la déductibilité des travaux d’agrandissement et de reconstruction dans les immeubles.
La jurisprudence est constante depuis CE sect. 17-12-1976 no 92159, no 99017 et 00787 puis CE 30-4-1997 no 152391, Larcebeau
En principe, les travaux d’amélioration ou de réparation ne sont pas déductibles s’ils sont indissociables de travaux de construction, de reconstruction ou d’agrandissement (cf. CE 26-7-1982 no 23320 ; CE 24-2-1988 no 70976 ; CE 29-3-1989 no 83212, Timsit).
C’est ainsi que pour une cour administrative d’appel, (cf CAA Nantes ci-après)
Des travaux avaient consisté au rez-de-chaussée de l’immeuble à créer un logement sur l’emplacement des anciens garages, chaufferie et local technique et à transformer deux bureaux en logements, au premier étage, à subdiviser le lot no 5 en deux logements et, au second et dernier étage, à créer trois nouveaux logements répartis sur quatre lots, et avaient conduit à divers aménagements internes et à la redistribution de l’espace intérieur de tous les niveaux de l’ensemble immobilier désormais formé au total de sept logements au lieu de quatre initialement, soit un au rez-de-chaussée, un au premier étage et deux au second étage.
La cour avait jugé que ces travaux, outre une importante modification de la consistance des locaux, avaient entraîné la création de nouvelles surfaces habitables sur des emplacements de jardins, garage et escaliers et elle avait jugé que, dans ces conditions, eu égard à leur nature et à leur ampleur, les travaux en cause devaient être regardés dans leur ensemble comme des travaux d’agrandissement et de reconstruction, donc non déductibles.
Cependant, les intéressés avaient présenté des facturations dissociées pour les parties déjà utilisées en logements, d’une part, et pour celles résultant d’un agrandissement de surface et d’une nouvelle affectation, d’autre part.
Le juge de cassation censure la Cour d’Appel pour erreur de droit. (cf Arrêt CE ci-après)
Il considère en effet qu’elle ne s’est pas prononcée sur une éventuelle indissociabilité, sur le plan technique et fonctionnel, des travaux ayant la nature de dépenses d’entretien, de réparation ou d’amélioration, qui ne conduisent à aucune augmentation de la surface habitable et qui ne portent pas d’atteinte importante au gros-œuvre, avec les travaux de reconstruction et d’agrandissement réalisés par ailleurs, ce qui permet leur déduction en charges !
Cet arrêt, peu commenté, est cependant très important. Dans le cas de travaux d’agrandissements ou de reconstruction, la tendance était au rejet de la déduction, les juridictions se basant sur le fait que ces travaux entrainant une importante modification de la consistance des locaux, ou/et la création de nouvelles surfaces habitables pour rejeter la déduction, sans ventiler lesdits travaux avec ceux qui avaient la nature de dépenses d’entretien, réparation, amélioration, sans impliquer une augmentation de surface ou une atteinte au gros œuvre.
CAA Nantes 10 décembre 2021, n° 20NT02768
Certaines dépenses de travaux réalisés sur des immeubles procurant des revenus imposables sont déductibles du revenu foncier de leur propriétaire. Ces charges déductibles comprennent notamment, pour les propriétés urbaines, les dépenses de réparation et d’entretien effectivement supportées par le propriétaire et les dépenses d’amélioration afférentes aux locaux d’habitation, à l’exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d’agrandissement (CGI art. 31).
Doivent être regardés comme des travaux de reconstruction ceux qui comportent la création de nouveaux locaux d’habitation ou qui ont pour effet d’apporter une modification importante au gros œuvre, ainsi que les travaux d’aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à des travaux de reconstruction, et comme des travaux d’agrandissement ceux qui ont pour effet d’accroître le volume ou la surface habitable des locaux existants.
Des travaux d’aménagement interne, quelle que soit leur importance, ne peuvent être regardés comme des travaux de reconstruction que s’ils affectent le gros œuvre ou s’il en résulte une augmentation du volume ou de la surface habitable.
Lorsque des dépenses de nature différentes sont réalisées simultanément, le caractère déductible de chacune des catégories de dépenses dépend de leur caractère dissociable ou indissociable.
Lorsque les dépenses de travaux sont dissociables, techniquement et fonctionnellement, le caractère déductible des dépenses engagées s'apprécie indépendamment, catégorie par catégorie.
Lorsqu'elles ne le sont pas, le caractère déductible s'apprécie, en principe, globalement.
En l'espèce, des contribuables propriétaires d’un ensemble immobilier classé à l’inventaire des monuments historiques et affecté pour partie à l’habitation et pour partie à usage professionnel avaient fait réaliser des travaux sur leurs logements.
Ces dépenses avaient généré un déficit foncier, qu'ils avaient imputé sur leur revenu global ; déduction que l'administration fiscale avait remise en cause, au motif que les travaux correspondaient à une opération de construction ou de reconstruction.
Ces travaux avaient consisté :
- au rez-de-chaussée, à créer un logement à la place d'anciens garages ;
- au 1er étage, à transformer deux bureaux en logements et à subdiviser un lot en deux logements ;
- aux derniers étages, à créer 3 nouveaux logements.
Ils avaient ainsi conduit à divers aménagements internes et à la redistribution de l’espace intérieur de tous les niveaux de l’ensemble immobilier formé, à l'issue de l'opération, de 7 logements contre 4 initialement. Outre une importante modification de la consistance des locaux, ils avaient par ailleurs entraîné la création de nouvelles surfaces habitables sur des emplacements de jardins, garage et escaliers.
Les juges d'appel confirment la position de l'administration.
Eu égard à leur nature et à leur ampleur, les travaux en cause devaient être regardés dans leur ensemble comme des travaux d’agrandissement et de reconstruction, quand bien même les intéressés avaient présenté des facturations dissociées pour les parties déjà utilisées en logements, d’une part, et pour celles résultant d’un agrandissement de surface et d’une nouvelle affectation, d’autre part.
Par ailleurs, les contribuables entendaient se prévaloir du bénéfice du régime applicable aux propriétaires de monuments historiques, permettant d'imputer un déficit foncier sur le revenu global sans limitation de montant (CGI art. 156). Toutefois, cet avantage est conditionné à un engagement de conservation de la propriété pendant une période d’au moins 15 années à compter de son acquisition, y compris quand celle-ci est antérieure au 1er janvier 2009 (CGI art. 156 bis). Tel n’était pas le cas en l’espèce dès lors que, 4 ans après l’acquisition, un acte d’échange de lots avec une SCI, comportant le versement d’une soulte pour permettre la réalisation des travaux, avait été conclu.
Dès lors, les intéressés ne pouvaient pas imputer leur déficit foncier sur leur revenu global sans limite de montant, quand bien même l’échange ne portait que sur quelques mètres carrés
CE 9e ch. 16-12-2022 no 461335
Considérant ce qui suit :
Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B a acquis en 2011 un ensemble immobilier à Alençon (Orne), dont une partie est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. M. et Mme B ont réalisé dans cet immeuble à destination mixte de bureaux et d’habitation d’importants travaux.
Les dépenses correspondantes, au titre de 2013, 2014 et 2015 ont été déduites de leurs revenus fonciers, dont le déficit a été imputé sur leur revenu global.
L’administration fiscale a remis en cause le caractère déductible d’une partie de ces dépenses de travaux qu’elle a regardées comme des dépenses de reconstruction et d’agrandissement.
Elle a également remis en cause l’imputation du déficit foncier sur le revenu global au motif que l’engagement de conserver la propriété du bien pendant quinze ans n’avait pas été respecté. M. et Mme B ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales ainsi qu’à des pénalités au titre des années 2013 à 2015 à raison de ces rectifications. Ils se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 10 décembre 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté leur appel contre le jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Caen rejetant leur demande de décharge de ces impositions supplémentaires.
Aux termes de l’article 31 du CGI : "I. Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : / 1o Pour les propriétés urbaines : /a) Les dépenses de réparation et d’entretien effectivement supportées par le propriétaire ; /b) Les dépenses d’amélioration afférentes aux locaux d’habitation, à l’exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d’agrandissement […]".
Au sens de ces dispositions, doivent être regardés comme des travaux de reconstruction ceux qui comportent la création de nouveaux locaux d’habitation, ou qui ont pour effet d’apporter une modification importante au gros œuvre, ainsi que les travaux d’aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à des travaux de reconstruction, et comme des travaux d’agrandissement ceux qui ont pour effet d’accroître le volume ou la surface habitable des locaux existants.
Lorsque des travaux n’ayant pas ce caractère sont effectués dans la même opération, les dépenses exposées à ce titre ne sont déductibles que si les différents travaux sont dissociables.
Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Nantes a jugé qu’alors même que les requérants avaient présenté des facturations dissociées pour les parties déjà utilisées en logements et pour celles résultant d’un agrandissement de surface ou d’une nouvelle affectation, les travaux en cause, eu égard à leur nature et à leur ampleur, devaient être regardés dans leur ensemble comme des travaux d’agrandissement et de reconstruction.
En statuant ainsi, sans rechercher si, au sein des travaux en cause, les dépenses de réparation et d’entretien pouvaient être dissociées des dépenses de reconstruction ou d’agrandissement, et en écartant comme inopérante la circonstance que des pièces avaient été produites en ce sens, la cour a commis une erreur de droit.
Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. et Mme B sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent.
Décide : Annulation et renvoi.
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