Pour rappel la modulation du temps de travail est un système permettant l’adaptation du temps de travail des salariés aux besoins de l’entreprise, avec un principe d’alternance des périodes de haute et de basse activité. Quelque soit le type de répartition, la durée hebdomadaire de travail ne doit pas excéder, en moyenne sur l’année, la durée légale du travail, l’idée étant que les périodes hautes et basses sont censées se compenser. À l'issue de la période, il convient de comparer l'horaire annuel effectué par le salarié avec l'horaire annuel correspondant à l'horaire moyen de référence.
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, trois salariés avaient été embauchés en tant qu’agents d'exploitation pour le compte d’une société spécialisée en sécurité. Celle-ci appliquait un accord de modulation conclu en 1999, lequel fixait une durée annuelle de travail égale à 1607 heures.
L’employeur avait dégagé un principe général applicable à l’égard de tous les salariés nouvellement embauchés et qui n’avaient pas acquis de droits à congés. En effet il considérait dans ce cas que le plafond de 1607 heures permettant d’apprécier le déclenchement éventuel des heures supplémentaires devait être « rehaussé » à hauteur de 1782 heures (réintégration des 5 semaines de congés payés x 35 heures).
Les salariés eux contestaient ce mode de calcul et considèraient que n’ayant pas acquis de droit complet à congés payés, leur durée annuelle du travail se trouvait nécessairement augmentée de ce fait. Ils réclamaient à ce titre le paiement d’heures supplémentaires pour toutes les heures effectuées au-delà du plafond de 1607 heures.
Le Conseil de Prud’hommes valide le raisonnement des salariés, tout en constatant que ceux-ci n’avaient pas été amenés à effectuer plus de 35 heures en moyenne par semaine.
Dans son arrêt du 14 novembre 2013, la Cour de cassation confirme le jugement en s’appuyant sur la rédaction de l’article L.3122-10 du Code du travail. En effet celui-ci dispose que « Constituent des heures supplémentaires […] 2° les heures effectuées au-delà de 1 607 heures ou d'un plafond inférieur fixé par la convention ou l'accord, déduction faite des heures supplémentaires déjà comptabilisées au titre du 1°. »
A ce titre les juges de la Chambre considèrent « que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne peut être supérieur au plafond de 1 607 heures de travail par an, quand bien même le salarié n'aurait pas acquis l'intégralité de ses droits à congés payés au titre de la période de référence prévue par l'accord.»
Cette solution paraît pour le moins contestable et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord les juges de la Chambre sociale semblent procéder à une application stricte des dispositions textuelles, « oubliant » quelque peu la philosophie du système de modulation, lequel avait été institué dans l’esprit du législateur par analogie avec la durée hebdomadaire légale de 35 heures.
Le code du travail ne comportant pas de dispositions spécifiques pour les salariés n'ayant pas acquis un droit à congé complet, ce seuil de déclenchement des heures supplémentaires semblait donc logiquement devoir être réévalué à la hausse lorsque les salariés n’ont pas acquis l'intégralité de leurs droits à congés.
Par ailleurs cette solution parait d’autant plus critiquable que les salariés concernés par l’espèce n’auraient en réalité perçu aucune majoration au titre des heures supplémentaires s’ils avaient été soumis à un décompte hebdomadaire du temps de travail sur une base de 35 heures.
Ensuite le raisonnement opéré par les juges pose des questions pratiques, notamment quant aux conséquences de cet arrêt pour un salarié qui bénéficierait d’un droit complet à congés payés mais qui déciderait de n’en prendre qu’une partie : quid des heures effectuées en conséquence au-delà du plafond de 1607 heures ? Le risque sous-jacent n’est-il pas « d’inciter » les salariés à ne prendre qu’une partie de leurs congés payés ?
Enfin il pourrait être judicieux de s’interroger quant aux éventuelles inégalités de traitement avec les salariés qui auraient véritablement travaillé au-delà de 35 heures en moyenne sur l'année.
Juris Social
Juriste en droit social