Amandine SARFATI AVOCAT
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L’ampleur du phénomène des réseaux sociaux n’est plus à démontrer. Devenus le quotidien de millions de personnes et de travailleurs, ces nouveaux mode de communication soulèvent inévitablement des questions d’ordre juridique auxquelles la Cour de Cassation tente au cas par cas d’apporter des solutions.
Par l’arrêt du 10 avril 2013, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation opère un véritable revirement de jurisprudence en définissant les pages Internet Facebook et MSN comme des lieux privés, délimitant ainsi la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié.
En l’espèce, une employée a tenu des propos injurieux envers son employeur sur sa page Facebook et sur MSN.
L’employeur (demandeur en 1ère instance) a alors assigné la salarié (défendeur en 1ère instance) en vu d’obtenir le paiement de dommages-intérêts et la prescription de diverses mesures d'interdiction et de publicité, pour avoir publié sur divers réseaux sociaux accessibles sur internet, ces propos qu'il qualifiait d'injures publiques.
La décision rendue en 1ère instance a fait l’objet d’un appel. La Cour d’appel a débouté l’employeur en considérant que les propos tenus par la salariée ne caractérisaient pas des injures publiques.
L’employeur (demandeur en 1ère instance) a alors formé un pourvoi en cassation, en se fondant sur les articles 23, 29, alinéa 2, 33 alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 et en considérant que les propos tenus caractérisaient bien une injure publique dès lors que les réseaux sociaux litigieux dont les « amis » agréés par le titulaire du compte, n’étaient « liés entre eux par aucune appartenance commune, ni aucune aspiration ou objectif partagés » ne formaient pas une communauté d’intérêt.
Il s’agissait pour la Cour de Cassation de s’interroger sur la question suivante : les propos publiés sur l’interface Facebook et MSN du salarié relèvent-ils de la correspondance privée, dans ce cas protégés par l’intrusion de l’employeur ? En d’autres termes, les réseaux sociaux constituent-ils des espaces privées ou publiques ?
Par l’arrêt du 10 avril 2013, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu un arrêt de rejet en se fondant notamment sur l’article R. 621-2 du code pénal et en considérant que n’étant en l’espèce accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre très restreint, ces réseaux formaient bien une communauté d’intérêts. En conséquence, elle refusait la qualification d’injure publique.
Ainsi, la Cour de Cassation opère un véritable revirement de jurisprudence en définissant les pages Facebook et MSN comme un lieu privé (I). Cette solution, bien que très protectrices des libertés du salarié demeure incertaine et critiquable à certains égard (II).
I/ Facebook , lieu privé du salarié : un revirement de jurisprudence
A/ Une rupture avec la Jurisprudence du Conseil des Prud’hommes, Boulogne Billancourt du 19 novembre 2010
L’évolution des nouvelles technologies a inévitablement conduit la jurisprudence à édicter des règles protectrices des libertés fondamentales des salariés notamment en matière de respect de la vie privé.
Ainsi, on se souvient de l’arrêt Nikon qui, le 2 octobre 2001 avait posé le principe du respect de la vie privée au travail et en particulier du secret des correspondances, seuls les courriels titrés personnels bénéficiant de cette protection (solution toujours en vigueur).
En l’espèce, bien qu’ils s’agissent de correspondances échangées entre salariés, les faits étaient différents puisque les injures litigieuses avaient été tenues sur des réseaux sociaux tels que Facebook et MSN. L'enjeu était ici de savoir si les messages dénigrants échangés - plus exactement publiés sur l'interface de chacun des salariés et accessibles par leurs « amis » -relevaient de la correspondance privée, dans ce cas a priori protégée de l'intrusion de l'employeur.
Or la question n’est pas nouvelle et avait déjà été posée dans les mêmes termes au Conseil des Prud’hommes de Boulogne Billancourt. Ce dernier, par une décision du 19 novembre 2010, avait jugé que la page Facebook ne relevait pas d’un lieu privé, caractérisant ainsi l’injure publique des salariés. Selon lui, les utilisateurs n'ayant programmé qu'une protection a minima de leurs écrits, ceux-ci ne relevaient pas d'une correspondance privée dès lors qu'ils étaient accessibles à la fois à d'autres salariés de la société et à des « personnes extérieures à l'entreprise » (accessibles aux amis et aux amis des amis)
C’est pourtant une toute autre solution que retient la Chambre Sociale de la Cour de Cassation le 10 avril 2013. Par cet arrêt, la Haute Juridiction opère un véritable revirement de jurisprudence en définissant la page Facebook et MSN comme relevant d’un lieu privé, refusant ainsi de caractériser l’injure publique des salariés.
B/Des réseaux sociaux accessibles à une communauté de personne agrées en nombre restreint, excluant l’injure publique
Par l’arrêt du 10 avril 2013, la Cour de Cassation considère que les sites Facebook et MSN constituent des espaces privés dès lors qu’ils ne sont « accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre très restreint ».
Ainsi, il semblerait que la solution dépende du paramétrage des comptes Facebook et MSN.
En ce qui concerne MSN, la solution est plus aisée dès lors qu’aucun paramétrage n’est nécessaire. En effet, seules les personnes habilitées par le titulaire du compte peuvent accéder à son espace web. Il en va autrement pour Facebook, réseau social dont le paramétrage du compte permet l’accès de visiteurs en nombre limité (compte fermé) ou illimité (compte ouvert).
En l’espèce, les comptes litigieux étaient accessibles aux seules personnes agréées par le salarié titulaire du compte. Selon la Cour de Cassation, les pages Facebook et MSN constituaient dès lors des espaces relevant de la vie privée. Or, il est de jurisprudence constante qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail : Cass.Soc.18 mai 2007
La Jurisprudence a précisé que, si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser à son encontre dans une procédure judiciaire s’ils s’avèrent relever de sa vie privée..Cass.Soc.5 juillet 2011
C’est dans ce sens que s’est prononcé la Cour de Cassation en déroulant un raisonnement qui s’inscrit dans la logique des arrêts précités : c’est parce que Facebook et MSN sont des espaces privés que les preuves d’abus tirés de ces moyens de communication sont irrecevables.
Ainsi, la Cour de Cassation refuse de caractériser l’injure publique faisant prévaloir la liberté d’expression des salariés sur les intérêts de l’entreprise.
II/ Une solution protectrice des libertés fondamentales du salarié mais critiquable à divers égards
A / La liberté d’expression du salarié renforcée et l’atteinte à l’intérêt de l’entreprise tolérée.
La liberté d'expression est consacrée en tant que droit fondamental par les articles 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 et 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme de 1950. Elle constitue, selon les termes de la DDHC, « un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
Qu’en est-il de la liberté d’expression du salarié ?
La règle a été posée en 1999 par l’arrêt Monsieur Pierre aux termes duquel « si le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression, il ne peut en abuser en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs », solution confirmée depuis lors.
Par ailleurs, « si en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise » : Cass.Soc.14 septembre 2010.
Pour autant, il semble que la Cour de Cassation n’ait pas fait application de ces jurisprudences antérieures puisqu’à aucun moment elle n’a pris en compte ni l’abus du salarié (propos injurieux caractérisés sur la page Facebook) ni le trouble objectif causé à l’entreprise. Elle refuse de porter son raisonnement jusqu’à ce point et préfère s’arrêter sur le caractère privé des pages Facebook et MSN pour trancher en faveur des salariés.
Elle rend ainsi une solution extrêmement favorable et protectrice des libertés fondamentales de ces derniers faisant prévaloir leur liberté d’expression sur les intérêts de l’entreprise. A cet égard il convient de faire remarquer que la Jurisprudence récente de la Cour de Cassation a tendance à trancher en ce sens en protégeant la liberté d’expression du salarié comme par exemple dans l’arrêt du 27 mars 2013 dans lequel la Cour de Cassation
Cette solution est sans doute critiquable s’il on se place du côté de l’employeur qui, en l’espèce, se trouve dans l’impossibilité de sanctionner une atteinte dont il fait l’objet.
Reste à s’interroger sur l’étendu d’une telle solution ainsi que sur ses chances d’être reproduite par les prochains Juges saisis de litiges analogues.
B/ Une solution aux contours flous et au devenir incertain
La question relative à la nature de la page Facebook (lieu privé, lieu public) est-elle réellement tranchée ?
Faut-il considérer le paramétrage du compte comme un élément déterminant : compte ouvert espace public, compte fermé espace privé ?
S’il est difficile aujourd’hui d’en être certain (jurisprudence fluctuante, rareté des arrêts en la matière), il convient toutefois de faire remarquer qu’une solution similaire a été adoptée par la jurisprudence au sujet de correspondances privées dénigrant la direction de l’entreprise adressées par un cadre à d’autres salariés de cette société. Dans cette affaire, la Cour de Cassation a considéré que :
- Lorsque le salarié s’exprime en dehors du cercle des dirigeants, il est tenu de faire preuve de retenue dans ses critiques :Cass.Soc.3 décembre 2008.
- En revanche, la situation est inverse lorsque les propos sont tenus dans le cadre restreint des administrateurs et dirigeants de la société : il jouit alors d’une très grande liberté de ton : Cass.Soc.14 décembre 1999. Cette solution vient au demeurant d’être confirmée par un arrêt 27 mars 2013 (Cass.Soc.27 mars 2013)
Est-ce pour autant qu’une telle solution sera systématiquement appliquée en matière de réseaux sociaux ? Seules les prochaines jurisprudences permettront de répondre à cette question…
Par Amandine SARFATI