Les prix de l’immobilier imposent à beaucoup de parents de devoir aider leurs enfants financièrement notamment pour leur permettre de subvenir à leurs frais de logement.
Les parents peuvent ainsi aider leurs enfants à devenir propriétaires de leur logement, grâce à une donation ou une SCI ou en leur mettant à disposition un bien dont ils sont propriétaires.
Les parents peuvent aussi loger gratuitement leurs enfants ou quasi gratuitement en leur proposant un montant de loyer inférieur au prix réel du marché.
Or, en principe, tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement.
Néanmoins, selon la jurisprudence de la cour de cassation, le montant des loyers non perçus par les parents propriétaires de la part de leurs enfants ne constitue pas une donation indirecte rapportable à leur succession (Cour de cassation, première chambre civile, 11 octobre 2017, 16-21.419 ).
Par conséquent, en cas de loyer assumé par les parents, le montant des loyers n’a pas à être rapporté à la succession par son bénéficiaire afin de réaliser le calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire.
Dès lors, le capital équivalent au montant des loyers minorés ou payés par les parents ne constitue pas une donation ou une avance sur héritage.
Cette aide parentale peut donc en pratique remettre en cause le principe de l’égalité de traitement entre les enfants et échapper à la taxation applicable au jour de la succession des parents.
Dans l’affaire jugée le 11 octobre 2017, Monsieur X est décédé laissant pour lui succéder son épouse et leurs deux enfants.
L’un des deux enfants a assigné sa mère et sa soeur en partage successoral.
Les juges d’appel ont rejeté leur demande de rapport à la succession de l'avantage indirect dont il a bénéficié par la mise à disposition, à titre gratuit, d’un l'appartement de 2000 à 2011.
Selon la Haute Cour, la jouissance gratuite d'un bien immobilier n’est pas un avantage indirect rapportable à la succession car « le prêt à usage constitue un contrat de service gratuit, qui confère seulement à son bénéficiaire un droit à l'usage de la chose prêtée mais n'opère aucun transfert d'un droit patrimonial à son profit, notamment de propriété sur la chose ou ses fruits et revenus, de sorte qu'il n'en résulte aucun appauvrissement du prêteur».
Plus récemment, le 15 novembre 2017, la Cour de cassation a jugé que les sommes versées à un enfant majeur pour se loger ne constituent pas une donation et n'ont donc pas à être rapportées à la succession lors du règlement de celle-ci (Cour de cassation, première chambre civile, 15 novembre 2017, 16-26.395).
Pour mémoire, selon les articles 205 et 207 du Code civil, les parents et les enfants se doivent mutuellement des « aliments » en cas de besoin.
Les "aliments" sont les sommes versées à une personne pour lui permettre d'assurer les besoins nécessaires à sa vie quotidienne.
Par ailleurs, l’article 843 alinéa 1er du Code civil prévoit que :
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. »
Toutefois, l’article 852 alinéa 1er du Code civil dispose que :
« Les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et les présents d'usage ne doivent pas être rapportés [à la succession], sauf volonté contraire du disposant. »
En l’espèce, une mère avait versé une pension alimentaire à sa fille majeure et payé le loyer de celle-ci pendant 18 ans, pour un montant de près de 620.000 €.
Au décès de la mère, l'un des héritiers a demandé la réintégration de la totalité du montant des sommes versées à titre de loyers, conformément à l’obligation de rapport des donations à la succession de leurs auteurs de l’article 843 alinéa 1er du Code civil
Par jugement en date du 4 juin 2015, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que les sommes versées par la défunte à sa fille constituaient une donation qui devait être rapportée à la succession de la défunte, conformément à l’article 843 du Code civil.
Néanmoins, la Cour d’appel de Paris a jugé que les sommes données par la défunte à sa fille ne devaient pas être rapportées à la succession de la défunte car elles étaient versées au titre de l’obligation alimentaire qui incombe aux parents envers leurs enfants.
Le fils héritier a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
La Cour de cassation a donc tranché la question de savoir si le paiement des loyers et le versement d’une pension alimentaire mensuelle par un parent à son enfant constitue :
- Soit une libéralité qui doit être rapportée à la succession du parent défunt, au moment de son décès,
- Soit une aide financière versée au titre de l’obligation alimentaire qui incombe aux parents envers leurs enfants et qui n’a pas à être rapportée à la succession du parent défunt, au moment de son décès.
Devant la Cour de cassation, l’argumentation du fils de la défunte tendait à démontrer que les sommes versées par la défunte à sa fille ont dépassé le champ de l’obligation alimentaire de l’article 205 du Code civil et constituaient, par conséquent, une donation soumise au rapport à la succession.
Selon ce dernier, les aliments ne sont dus à un enfant majeur que si celui-ci est dans le besoin, c’est-à-dire, dans l’impossibilité d’assurer lui-même sa subsistance par ses biens personnels ou son travail.
Il est intéressant de relever qu’au cas présent la possibilité ou l'impossibilité de trouver un travail n’est pas le critère déterminant retenu par les juges pour apprécier la nature juridique de l’avantage.
Le fait que l’enfant bénéficiaire soit « dans le besoin » et dans l’impossibilité continue de trouver un emploi, quel qu'il soit, lui permettant d'assurer sa subsistance, justifie que les parents versent des aliments qui ne sont pas sujets à rapport au moment de la succession.
En outre, le fils affirmait que selon le curriculum vitae de sa sœur, celle-ci était diplômée et avait occupé des postes prestigieux ce qui était de nature à démontrer sa capacité à s’assumer financièrement mais qu’elle avait choisi de cesser toute activité en profitant des largesses de leur mère.
Mais, le curriculum vitae de l’intéressée, ses diplômes et expérience professionnelle à des postes prestigieux n’y ont rien fait.
Peu importe la capacité à s'assumer financièrement ou le choix de cesser toute activité.
Enfin, le fils faisait valoir que les aliments ne doivent être accordés par un parent à un enfant que dans la proportion du besoin de l’enfant et non pas seulement en fonction de la situation de fortune du parent.
L’ensemble de ces arguments n’a pas convaincu la Cour de cassation qui a décidé de rejeter le pourvoi.
En effet, la Cour de cassation a estimé que la défunte avait entendu respecter son obligation alimentaire envers sa fille et que son intention libérale (c'est-à-dire sa volonté de donner pour donner) n’était pas établie.
Au contraire, les sommes versées avaient une nature et un objet bien particuliers puisqu’elles visaient à payer les frais de logement et de subsistance de l’intéressée.
A cet égard, il est intéressant de relever que la Cour de cassation a pris en compte le fait que le montant de la pension alimentaire ne représentait que 10 % des revenus de la défunte et n’atteignait pas son capital.
Dans ce contexte, les juges ont pu estimer que l’aide financière entrait bien dans le champ de l’obligation alimentaire prévue par l’article 205 du Code civil et, ce, même si le montant total de cette aide représente à la fin une somme importante.
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Anthony Bem
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