Le 10 novembre 2020, la Cour d'appel de Versailles a annulé deux cautionnements d’associés d’une société en raison de leur disproportion compte tenu de la nécessité de préserver un minimum vital pour les cautions (Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 10 novembre 2020, n°19/07420).
Les cautions disposent depuis quelques années de plus en plus d’arguments juridiques efficaces susceptibles de les libérer de leur engagement de garantie vis à vis de leur créancier tel une banque ou un fournisseur.
L’un des moyens de défense les plus efficaces est souvent la disproportion du cautionnement puisqu’il permet à la caution d’obtenir l’annulation totale de la dette outre des dommages et intérêts.
En l’espèce, le gérant d’une société a ouvert lors de sa création un compte bancaire auprès de la banque Crédit du Nord.
La banque a prêté des fonds à la société afin de financer l’acquisition du fonds de commerce.
En garantie de ce concours bancaire, chacun des deux époux et associés de la société s’est porté caution du bon remboursement des engagements de la société.
La société a fait l’objet d’un redressement judiciaire avant d’être placée en liquidation judiciaire.
Le tribunal de commerce de Versailles a notamment déclaré les engagements de caution disproportionnés et débouté le Crédit du Nord de l’ensemble de ses demandes de règlement.
En effet, il résulte des dispositions de l’article L 341-4 ancien du code de la consommation, reprises aux articles L 332-1 et L 343-4 du même code, qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Ces dispositions s’appliquent que la caution, personne physique, soit ou non avertie.
La disproportion s’apprécie au moment de la formation du contrat et elle s’apprécie en prenant en considération l’endettement global de la caution.
Le caractère manifestement disproportionné de l’engagement doit s’apprécier au regard des éléments déclarés par la caution dont la banque n’a pas à vérifier l’exactitude.
Ainsi, il incombe à la caution d’établir que les éléments fournis caractérisaient la disproportion manifeste alléguée ou que la banque avait connaissance d’autres éléments de fait, de nature à établir une telle disproportion manifeste.
En outre, lorsque la caution, lors de son engagement, a déclaré des éléments sur sa situation financière au créancier, celui-ci, en l’absence d’anomalies apparentes, peut se fonder sur ces seules déclarations de la caution dont il n’a pas à vérifier l’exactitude.
La caution n’est pas alors admise à établir devant le juge que sa situation financière était en réalité moins favorable sauf si le créancier professionnel a eu connaissance de l’existence d’autres charges pesant sur la caution.
Par ailleurs, si la preuve de la disproportion manifeste de l’engagement lors de sa souscription incombe à la caution, il incombe au créancier professionnel de démontrer son retour à meilleur fortune si le cautionnement est jugé à l’origine manifestement disproportionné.
Autrement dit, ce n’est qu’ensuite, et dans l’hypothèse où le cautionnement est jugé manifestement disproportionné au moment de sa conclusion, qu’il appartient alors au créancier professionnel, s’il persiste à s’en prévaloir, d’établir qu’au moment où il appelle la caution devant le tribunal, le patrimoine de celle-ci lui permet néanmoins de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie non seulement par rapport aux biens et revenus de celle-ci mais aussi par rapport aux biens communs incluant les revenus de son conjoint, étant souligné qu’elle s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face avec ses biens et revenus au montant de l’engagement de caution.
Au cas présent, les cautions n’ont pas rempli les rubriques de ces deux fiches, relatives aux 'crédits en cours (immobiliers-biens de consommation)', aux 'cautions données', au 'patrimoine immobilier’ et 'patrimoine: autres valeurs'.
En outre les juges d’appel ont relevé que lorsque l’épouse s’est engagée comme caution, la société n’était pas encore en activité ; de sorte que les revenus qu’elle a mentionnés ne constituaient que des revenus escomptés que les juges n’ont donc pas pris compte dans l’appréciation de la situation des cautions.
Au surplus, la cour d’appel a considéré que les revenus déclarés par le gérant caution devaient permettre aussi d’assurer l’entretien de la famille composée des époux et de leur fille, âgée de moins d’un an lorsque le cautionnement a été souscrit et de payer le loyer de sorte que l’intégralité des revenus ne pouvait pas être prise en compte dans l’appréciation de la situation du couple au regard de la nécessité de leur préserver un minimum vital.
La cour a ainsi jugé que le Crédit du Nord ne peut pas se prévaloir des cautionnements litigieux de sorte que les cautions ont été libérées totalement du paiement leur dette vis à vis de la banque.
Cette jurisprudence s’inscrit dans la droit lignée des récentes décisions de justice qui invalident de plus en plus les cautionnements bancaires pour cause de disproportion.
A la différence des autres décisions, cet arrêt est intéressant en ce qu’il ne s’attarde pas sur la question du calcul du taux d’endettement ou de disproportion des cautionnements, de 33% ou de 4 fois les revenus de la caution par rapport aux dettes, mais sur une notion plus large et plus subjective de « minimum vital ».
En conclusion, au travers de cet arrêt, la cour d’appel ouvre de larges possibilités de défense aux cautions poursuivies en paiement qui peuvent le cas échéant invoquer utilement le fait que leurs revenus, patrimoine et personnes à charge ne leur permettent pas de faire face aux règlement de leurs dettes afin d’échapper totalement à leur garantie de paiement.
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Anthony Bem
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