Les juges ont eu à plusieurs reprises l’occasion de considérer que l’annulation d’un cautionnement était susceptible de faire tomber les autres cautionnements solidaires, tel une chaîne de dominos.
La « théorie des dominos », comme précédemment expliqué sur mon blog dans cet article, représente de manière imagée l’annulation en cascade de l’ensemble des cautionnements grâce à l’annulation de l’un d’eux, au profit de tous les autres.
Pour mémoire, en cas de pluralité de cautionnements, les cautions se dénomment juridiquement des « cofidéjusseurs ».
Pour résumer, en cas de pluralité de cautions dont l'une vient à disparaître ultérieurement, les autres cautions peuvent invoquer la nullité de leur engagement pour erreur sur l'étendue des garanties fournies au créancier ; en démontrant qu'elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement.
À cet égard, le 11 mars 2020, la cour de cassation avait déjà jugé qu’en cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à être annulée pour cause de disproportion de l’engagement par rapport aux biens et revenus de la caution, les autres cautions solidaires peuvent aussi invoquer de ce chef la nullité de leur propre engagement. (Cour de cassation, chambre commerciale, 11 mars 2020, n° 18-19.695)
Cette solution a été, à nouveau, reprise par la Cour d’appel d’Aix en Provence dans un arrêt du 16 septembre 2021. (CA Aix-en-Provence, Chambre 3-4, 16 septembre 2021, n° 18/15454)
En l’espèce, le Crédit Agricole a consenti à une société un prêt professionnel d’un montant principal de 200.000 euros pour lequel des époux ainsi que leurs deux fils se sont portés caution solidaire à hauteur 260.000 euros chacun.
Le même jour, le Crédit Agricole a également consenti à la société un second prêt professionnel d’un montant de 50.000 euros pour lequel les époux et leurs deux fils se sont également portés caution solidaire à hauteur 65.000 euros chacun.
La société à laquelle les deux prêts ont été consentis a été placée en liquidation judiciaire et la banque a entamé une procédure judiciaire à l’encontre des époux et de leurs fils, cautions, afin d’obtenir le règlement des montants impayées au titre des deux prêts accordés à la société liquidée.
Cependant, l’engagement des deux fils a été jugé disproportionné par la Cour d’appel, ce qui implique donc que le Crédit Agricole n’était pas fondé à s’en prévaloir et ne pouvait leur exiger le paiement du prêt impayé à hauteur de leur engagement de caution.
A la suite de cette décision, les époux qui se sont portés caution solidaire conjointement aux deux cautions libérées par la décision mentionnée ci-dessus, ont invoqué aussi en appel la nullité de leur engagement de caution au motif que celui-ci a été vicié.
En effet, les époux font valoir que, du fait que les engagements des deux autres cautions ont été jugés disproportionnés à leurs biens et revenus en 2018, ils doivent à présent supporter seuls le remboursement des sommes prêtées, alors qu’ils pensaient être quatre et non deux à devoir faire face à un éventuel règlement.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est fondée sur les dispositions de l’article 1110 du Code civil relatif à l’erreur vice du consentement afin d’annuler aussi le cautionnement des époux en raison du « déchargement » de la dette des deux autres cautions solidaires.
La Cour précise ainsi que l’erreur commise par la caution sur l’étendue des garanties fournies à la banque ne peut constituer une cause de nullité de l’acte de cautionnement que si elle représente une condition déterminante de son consentement.
Dans son raisonnement, la Cour essaye donc de déterminer si l’erreur des époux cautions solidaires portant sur la répartition finale du poids de la dette, du fait du déchargement de leurs engagements des deux autres cautions solidaires, constitue ou non un motif déterminant du consentement lors de la conclusion du contrat, eu égard à l’importance de la dette cautionnée.
La Cour considère qu’au regard de l’âge avancé des époux cautions solidaires qui n’ont pas bénéficié de la disproportion, ceux-ci se sont portés caution en considération de l’engagement de leurs deux fils à leur côté envers la banque.
Elle déduit de ce constat que l’existence de deux cofidéjusseurs avait été érigée en condition déterminante du contrat, et s’appuie également sur les circonstances de la conclusion de leur engagement de caution, à savoir le même jour par toutes les parties sur un seul et même acte portant le paraphe de chacune des cautions.
De même, la Cour d’appel retient que cette erreur était bien présente au moment de la conclusion du contrat car bien que la décharge pour disproportion ne soit constatée par les juridictions que postérieurement à la conclusion du contrat, celle-ci s’apprécie au jour de l’engagement de caution et est réputée exister dès la signature de l’engagement par les cofidéjusseurs.
Elle conclut, au regard de l’analyse ci-dessus, que l’erreur des époux sur l’étendue et l’efficacité des autres garanties fournies au créancier est de nature à entraîner l’annulation de leur cautionnement sur le fondement de l’erreur.
A ce titre, elle relève que « l’anéantissement des autres cautionnements solidaires fait disparaître la condition déterminante de leur propre engagement de caution et constitue dès lors une cause de nullité de leur engagement de caution. »
Il résulte de cette décision que lorsqu’une caution démontre qu’elle avait fait du maintien de la totalité des cautions solidaires la condition déterminante de son propre engagement, l’annulation de l’un des cautionnements entraîne l’annulation des autres engagements.
Or, c’est souvent en raison de l'existence d’autres cofidéjusseurs qu’ils s’engagent.
Le vice du consentement réside dans le fait que si l’une des cautions avait pu savoir que l’une d’elles ne disposait pas du crédit nécessaire pour faire face à ses engagements, nul doute qu'elle n'aurait pas accepté de se lier solidairement avec cette dernière.
Autrement dit, la mise à l'écart de l'une des cautions empêche les autres cautions de situer le niveau réel de son propre engagement.
Les cautions peuvent donc valablement invoquer l’erreur sur la substance, vice du consentement consécutif à la décharge accordée à une autre caution, pour faire annuler leur propre engagement de garantie sur le fondement de l’erreur.
Ainsi, il est important que les cautions soutiennent la disproportion de leur cautionnement par rapport à leurs biens et revenus pour faire tomber non seulement leur propre cautionnement mais aussi permettre aussi aux autres cautions de se désengager du leur le cas échéant.
Enfin, il est intéressant de relever au travers de cette décision que l’argument juridique tiré de la « théorie des dominos » est parfaitement susceptible de pouvoir s’appliquer utilement au profit de membres d’une même famille qui s’engagent ensemble en garantie en tant que caution.
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Anthony Bem
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