Nous envisagerons en quoi consiste le principe de la présomption d’innocence (1), les textes juridiques qui permettent d'assurer son respect (2) et enfin les actions judiciaires à mener en cas d'atteinte la présomption d’innocence (3).
1) Définition de la présomption d’innocence
Dans sa définition commune, la présomption d’innocence signifie qu’une personne, même suspectée de la commission d’une infraction pénale, ne peut être considérée comme coupable lors d'une procédure d'instruction pénale et avant d’en avoir été déclaré comme tel par des juges suite au terme de cette procédure.
En tout état de cause, la charge de la preuve de la mise en jeu de la responsabilité pénale incombe à l'accusation, c'est-à-dire au ministère public.
Au cours de la procédure d'instruction, la présomption d'innocence se matérialise par l'examen des preuves à charge et à décharge ainsi que par la possibilité des investigations de la part du juge chargé de l'enquête.
Durant le procès, la présomption d'innocence se matérialise par le droit accordé à la défense de récuser les jurés populaires ou ses juges et pour ces derniers de ne déclarer coupable une personne qu'en l'absence de doute sur la culpabilité du prévenu ou de l'accusé.
Selon la règle "In dubio pro reo", le doute joue en faveur du prévenu qui devra être relaxé ou acquitté « au bénéfice du doute », car il vaut mieux absoudre un coupable que de condamner un homme qui est peut-être innocent.
Il est fréquent de constater la publicité donnée à une accusation de personnes dans les organes de presse imprimés ou audiovisuels mais aussi et surtout sur internet.
Le cas échéant, une telle publicité pourra être considérée comme une diffamation.
2) Les fondements juridiques assurant la protection de la présomption d'innocence
Le principe de la présomption d’innocence est garanti par :
- la Déclaration de droits de l’homme de 1789,
- la Convention européenne des droits de l’homme,
- l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 de l'ONU :
« Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis. »
- l'article préliminaire du code de procédure pénale :
« Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi... ».
- L'article 9-1 du code civil dispose que :
« Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, sans préjudice d'une action en réparation des dommages subis et des autres mesures qui peuvent être prescrites en application du nouveau code de procédure pénale et ce, aux frais de la personne physique ou morale, responsable de l'atteinte à la présomption d'innocence. »
Ainsi, la personne qui s'estime victime d'une atteinte à la présomption d'innocence peut assigner son auteur devant le tribunal afin d'en obtenir sa cessation ainsi que la réparation des préjudices subis.
- La diffamation telle que définie par la loi sur le Liberté de la Presse du 29 juillet 1881 en son article 29 alinéa 1er comme :
"Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.
La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés."
Ainsi, les éléments constitutifs de la diffamation sont :
- L’allégation d’un fait précis ;
- la mise en cause d’une personne déterminée qui, même si elle n ?est pas expressément nommée, peut être clairement identifiée ;
- une atteinte à l’honneur ou à la considération ;
- le caractère public de la diffamation.
Pour reconnaître la diffamation publique, il faudra constater l’allégation ou l’imputation d’un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou la considération d’une personne devant être déterminée ou au moins identifiable.
En cas de diffamation publique "classique", l'auteur peut être condamné à 12.000 euros d'amende (peines maximales) et en cas de diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie un an de prison et/ou 45.000 euros d'amende (peines maximales).
La diffamation est réputée commise le jour où l’écrit est porté à la connaissance du public et mis à sa disposition. Dès lors, le délai de prescription de trois mois commence à courir.
- L’article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sanctionne l'atteinte à la présomption d'innocence et prévoit que :
"Lorsqu'elle est réalisée sans l'accord de l'intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire, est punie de 15 000 euros d'amende".
Ainsi, l'arsenal législatif français est large et complet en la matière.
3) Les actions judiciaires à mener en cas d'atteinte la présomption d’innocence
La présomption d’innocence est une limite à la liberté d’expression, permettant à toute personne non encore condamnée mais présentée dans la presse comme coupable de faire rectifier publiquement les propos et d'agir en justice.
Ainsi, se pose la question de savoir sur quel fondement juridique agir :
- L’article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui sanctionne la diffusion d'une image d'une personne menotée ou entravée avant toute condamnation ;
- L'article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 qui sanctionne la diffamation,
- L'article 9-1 du code civil qui sanctionne la présomption d’innocence en tant que telle.
Pour la cour de cassation, l'action en réparation d'une atteinte à la présomption d’innocence peut être exercée conjointement lors d'une action en diffamation (Cass. Civ, II, 8 juillet 2004)
Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 8 juillet 2004 précité, il avait été jugé du cas d'une station de radiodiffusion qui, s'inspirant de dépêches de l'Agence France Presse, avait diffusé l'information suivante : "Une avocate toulousaine sous les verrous. Maître Agnès X... a été mise en examen et incarcérée à la maison d'arrêt de Versailles. Elle est soupçonnée d'avoir renseigné directement des trafiquants de drogue... C'est au cours d'une conversation téléphonique que l'avocate toulousaine aurait prodigué ses conseils. Le juge d'instruction chargé du dossier parle de complicité et c'est à ce titre que Maître X... a été mise en examen et écrouée. Cette affaire est unique, il faut remonter six années en arrière pour se souvenir d'avocats mis en examen et écroués : ils avaient passé des armes au parloir d'une prison parisienne".
S'estimant diffamée et victime d'une atteinte à la présomption d'innocence, Mme X... avait fait assigner devant le tribunal de grande instance notamment la société de radiodiffusion en réparation de son préjudice sur les fondements des articles 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et 9-1 du Code civil.
Avant toute défense au fond, la société avait excipé de la nullité de l'assignation introductive d'instance et invoqué la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
La Cour de cassation a admis la validité de l'acte introductif d'instance comportant, de manière cumulative, à raison des mêmes faits, une action en diffamation et une action en réparation d'atteinte au respect de la présomption d'innocence.
Cette coexistence suppose que le régime de prescription de l'atteinte à la présomption d'innocence soit aligné sur celui des délits de presse : trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité.
Sur le fond de l'affaire, la cour de cassation a approuvé la cour d'appel d'avoir décidé qu'il avait été porté atteinte au respect de la présomption d'innocence de la plaignante, après avoir retenu que:
- la thèse de la culpabilité de l'avocate était très fortement suggérée, d'abord par un titre accrocheur et faux, puisqu'au moment où l'annonce était faite l'intéressée était libre, ensuite par l'affirmation fallacieuse que sa mise en examen et son incarcération étaient motivées par sa complicité dans un trafic de stupéfiants, et, enfin, par la comparaison faite avec d'autres avocats écroués quelques années plus tôt, pour des faits d'une extrême gravité,
- le ton du communiqué, volontairement dramatique, et l'insistance mise par son auteur pour présenter les faits comme uniques, c'est-à-dire exceptionnels, avaient eu pour effet de mobiliser l'attention de l'auditeur et de ne lui laisser aucun doute sur la culpabilité de l'intéressée, qui était présentée comme coupable.
Dans un autre registre et à titre d'exemple, en 2010, Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, a été condamné pour atteinte à la présomption d'innocence de l'ex-conseiller de Michèle Alliot-Marie à la Chancellerie, David Sénat, au titre de ses propos tenus le 17 octobre 2010 lors du «Grand Jury» RTL-LCI-Le Figaro.
Brice Hortefeux était alors interrogé sur les conditions dans lesquelles le conseiller de MAM avait été identifié par les services du contre-espionnage comme source possible du journal Le Monde dans l'affaire Bettencourt.
Le ministre avait répondu qu'«un haut fonctionnaire, magistrat, membre de cabinet ministériel, ayant donc accès à des documents précisément confidentiels, alimentait, selon ces sources, vérifiées, un journaliste sur des enquêtes ... Ca tombe sous le coup du non respect du secret professionnel».
Le tribunal de grande instance de Paris a jugé qu'en répétant à plusieurs reprises que les informations de la DCRI, concernant la mise en cause de David Sénat, avaient été «vérifiées» et ne laissaient aucune place au doute, Brice Hortefeux n'a pas respecté la présomption d'innocence de David Sénat.
Il ressort de ce qui précède que l'action judiciaire à intenter en cas d'atteinte à la présomption d'innocence doit respecter tant le régime et le formalisme que le délai de la diffamation.
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
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