La Cour européenne des droits de l’homme devait trancher la question de l’impossible indemnisation totale des victimes d’atteinte au droit au respect de leur vie privée.
En effet, comme le relève justement la Cour, « aucune somme d’argent allouée après la révélation des éléments litigieux ne peut offrir une réponse adéquate à la plainte spécifique avancée par le requérant », seul un retour à la situation antérieure constituerait une réparation intégrale de l’atteinte à la vie privée.
Or, un tel retour est impossible une fois la publication réalisée.
En l’espèce, le tabloïd « News of the World » avait publié, le 30 mars 2008, un article sous le titre : “Le patron de la F1 se livre à une orgie nazie avec cinq prostituées” (« F1 boss has sick Nazi orgy with 5 hookers »).
Cet article qui mettait en cause l'ancien président de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA), Monsieur Max Rufus Mosley, et révélait des photographies extraites d'une vidéo clandestine relative à sa participation à une « orgie nazie avec cinq prostituées ».
De plus, le lecteur était invité à se rendre sur le site internet du journal où cette vidéo était accessible en ligne.
Outre les trois millions d’exemplaires du journal écoulés, en deux jours, ladite vidéo a été visionnée plus de 1,4 millions de fois.
Max Rufus Mosley avait alors intenté une action contre cette atteinte à sa vie privée aux fins d’obtenir le retrait de la vidéo litigieuse du site Internet du journal ainsi que des dommages-intérêts.
En vain, dans un premier temps, les juges ont considéré que cette information a été largement diffusés et n'était plus de nature privée.
Mais, au fond, la High Court avait jugé que les images, violaient le droit au respect de sa vie privée de Max Rufus Mosley.
Bien que la violation de la vie privée de Max Rufus Mosley ait été reconnue par les juridictions britanniques et a donné lieu à une réparation pécuniaire, il a adressé à la Cour européenne des droits de l’homme une requête contre le Royaume-Unis pour violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En effet, selon lui, une procédure aurait du pouvoir prévenir la divulgation et la réalisation irrémédiable du dommage. Or, une telle action préventive exigerait une information préalable du ou des intéressés et le journal aurait dû se voir imposer l'obligation légale de lui notifier à l'avance son intention de publier des informations le concernant.
Une telle notification lui aurait ainsi permis de solliciter une injonction provisoire destinée à empêcher la diffusion des informations.
La Cour européenne des droits de l'homme relève qu'aucun autre système juridique ne prévoit une obligation de notification préalable.
La Cour rappelle que les États jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant aux mesures de protection et que, selon sa propre jurisprudence, l'allocation de dommages-intérêts offre une réparation adéquate en cas de violations du droit au respect de la vie privée résultant de la diffusion d'informations à caractère privé (CEDH 24 juin 2004, Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00).
Enfin, dans la mise en balance des droits garantis par les articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 10 (droit à la liberté d'expression), la Cour de Strasbourg favorise :
- soit les nécessités de l'information, spécialement sur des sujets d'intérêt général (pour la divulgation d'informations patrimoniales d'une personne menant une vie publique, CEDH 21 janv. 1999, Fressoz et Roire c. France, no 29183/95),
- soit la protection des droits d'autrui, notamment quand les articles traitent d'aspects purement privés de la vie des personnes mises en cause ou de leur entourage (pour un article consacré à Johnny Hallyday et son épouse : CEDH 1er juillet 2003, Prisma Presse c. France, no 71612/01).
Ainsi, la CEDH veille à ce que la sanction des abus commis ne décourage pas l'activité journalistique, et à ce que le « rééquilibrage entre liberté d'expression et la protection de la réputation » ne s'opère pas exclusivement en faveur de la seconde (pour la publication d'une photo du corps du préfet Érignac après son assassinat : CEDH 14 juin 2007, Hachette Filipacchi associés c. France, req. no 71111/01).
Au cas d’espèce, la Cour considère que le Royaume-Uni n’a pas suffisamment garanti le droit au respect de la vie privée de Max Rufus Mosley faute d’avoir instauré à l’égard des médias une « obligation de prévenir à l’avance de la publication imminente d’un article qui révèle des éléments concernant sa vie privée » (§ 72 : « the prevailing situation in the United Kingdom in which there is no legal requirement to pre-notify the subject of an article which discloses material related to his private life »).
Malgré cela, la Cour conclu que le Royaume-Uni n'a pas enfreint la Convention car aucune obligation de prévenir une personne de la publication imminente d’éléments touchant à sa vie privée ne pèse sur les États au titre de l’article 8.
Dans la balance, les libertés d'expression et d'information ont une fois de plus prévalu.
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Anthony Bem
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