La question de la réputation sur Internet apparait comme un écho à la sagesse et à la littérature grecque : « Connais-toi toi-même ».
Selon Platon, gnothi seauton, qui signifie « Connais-toi toi-même » en grec ancien, est le plus ancien des trois préceptes qui furent gravés sur le fronton du temple de Delphes et qu’il reprend dans son livre « sur la Sagesse » (Charmide).
Or, ce précepte est d'actualité car Internet a révolutionné nos modes d’acquisition du savoir, de communication et notre existence, il permet à chacun de diffuser une information à l’infini partout dans le monde et au travers du temps.
Si les sociétés commerciales sont systématiquement « googlisés » par leurs partenaires commerciaux, leurs clients, leurs concurrents, les personnes physiques le sont aussi par leurs proches, leurs employeurs, leurs voisins, leurs « ex », etc…
Internet est donc le lieu de tous les avis, commentaires, propos, images et informations concernant chacun d'entre nous, d’où l’importance de savoir ce qui est dit sur « soi » sur le Net … de se connaitre soi-même.
En effet, bien qu’a priori les informations présentes sur la toile soient positives, de nombreux problèmes peuvent apparaitre lorsqu’elles deviennent négatives, malveillantes et portent atteinte à la réputation de soi-même ou d’un tiers.
A cet égard, tant les exemples de contentieux d’atteinte à la réputation des personnes physiques et morales sur Internet (I) que les solutions juridiques (II) sont divers et variés.
I - Exemples de contentieux d’atteinte à la réputation des personnes physiques et morales sur Internet
1.1- L’utilisation des réseaux sociaux par les employeurs à l’encontre de leurs salariés pour justifier une sanction ou un licenciement
- La première affaire est celle, en 2006, de Catherine Sanderson, secrétaire le jour, blogueuse racontant sa vie intime la nuit sur un blog mais qui a été licenciée par son employeur pour avoir terni l’image de l’entreprise en partageant sur la toile ses frustrations intimes et professionnelles. Or, elle tenait ce blog de façon anonyme et n’a jamais cité nommément son entreprise. Elle a finalement été indemnisée par le Conseil des Prud’hommes et a publié un livre.
- En octobre 2006, Stéphanie Gonier, ex salariée de Nissan, a été poursuivie pour injure et diffamation par son ancien employeur pour des propos tenus sur son blog visant à raconter ce qu’elle considère comme une mise au placard, après son retour de congé parental, puis son licenciement et la mise en ligne de courriers échangés avec sa direction sur lesquels des noms apparaissaient. Elle a été condamnée pénalement et a été déboutée de ses demandes par le Conseil des Prud’hommes.
- En octobre 2007, Kevin Colvin, stagiaire à l'Anglo Irish Bank, a été remercié par son employeur suite à l’envoi d’un courriel à son supérieur afin de l’informer d’un "évènement familial" l’empêchant de venir travailler alors que le lendemain ce dernier a découvert sur son profil Facebook des photographies du stagiaire déguisé en fée lors d’une soirée d’Halloween arrosée.
- En novembre 2008, des employés de Michelin qui avaient critiqué leur employeur sur le site de réseau social, Copains-d'avant, ont été licencié pour avoir dit : « Boulot de bagnard », « exploitateur », "Production, production, mais fiche de paie toujours pareil".
- En décembre 2008, trois salariées de la société Alten ont critiqué sur Facebook leur hiérarchie et la direction des ressources humaines. Une “amie” commune sur Facebook et aussi employée de cette société a communiqué leur conversation à la direction qui les a licencié pour « incitation à la rébellion et dénigrement ». Le 19 novembre 2010, le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt a validé le licenciement pour faute grave. Sur cette affaire lire : « La validation du licenciement de salariés pour faute en raison de propos tenus sur Facebook » et « Analyse juridique du jugement sanctionnant le dénigrement de son employeur sur Facebook ».
- En 2009, une candidate à un poste chez Cisco qui avait twitté ses doutes sur son futur job n'a pas été recrutée.
- La même année, une utilisatrice de Facebook a été licenciée par son employeur suisse pour avoir posté sur le réseau social du durant son congé maladie alors que celle-ci était en arrêt maladie pour cause de migraine, l'obligeant à rester dans le noir et l'empêchant de travailler sur écran.
- Courant 2010, trois salariées de l’association SOS Femmes en Dordogne ont été licenciées pour faute lourde par leur employeur à la suite de messages laissés sur leur « mur Facebook ». Elles ont saisi le Conseil des prud’hommes, qui se prononcera en mars 2011. L’employeur de son côté a aussi déposé une plainte pour menaces de mort et incitation à la haine auprès du Procureur de la République de Périgueux.
- La Cour d'appel de Reims a jugé, le 9 juin 2010, le cas de la société du journal l’Est Eclair qui avait donné un avertissement à l’un de ses employés, journaliste, pour avoir diffusé sur le mur Facebook d’une "amie" Facebook le message suivant : « Au fait : notre chef est un vrai autiste, non ? Tu ne connaitrais pas un centre spécialisé où on pourrait le soigner ? D’ailleurs, est que la connerie se soigne ? Alli je retour dans le pays d’Othe, Ca gronde là bas ! » Or, une "amie" de cette "amie" a communiqué ces propos à la direction du journal qui a sanctionné le salarié par un avertissement dont a été saisi le Conseil des Prud’hommes de Troyes. L’arrêt de la Cour pose les réponses aux questions de savoir si des propos diffusés sur Facebook ont un caractère privé ou public et s’ils peuvent justifier une sanction des salariés CA Reims, chambre sociale, 9 juin 2010, n°09-3209 SAS l’Est Eclair c/ Boris C.). Sur cette affaire lire : « Les caractères privé et public des propos et messages diffusés sur les « murs » de Facebook ».
1.2 – L’utilisation d’Internet pour dénigrer son concurrent
On constate une augmentation du phénomène de dénigrement qui s’explique par le fait que, jusqu’à il y a peu de temps, le dénigrement était essentiellement pratiqué par les modes de communication traditionnels que sont l’écrit papier, la radio, la télévision ou les affiches de publicité. Aujourd’hui, l’internet gouverne les modes de consommation et de connaissance et est devenu le mode de dénigrement privilégié des sociétés concurrentes.
Or, par nature, l’Internet ne connait pas de frontière, de sorte que l’on puisse légitiment parlé d’un nouveau mode de dénigrement : le dénigrement universel.
De plus, avec l’Internet, de nouvelles techniques de dénigrement ont vu le jour.
Le dénigrement sur l’Internet apparait dans :
- Des commentaires ou avis laissés sur la toile par de faux clients ;
- L’envoi d’informations dénigrantes par courriel (TGI Paris, 9 mai 2001) ;
- Des articles présents sur des sites, forum de discussion, blogs ;
- Des appels aux boycotts ;
- Des messages présents sur des réseaux sociaux tels que Facebook, etc …
Enfin, de manière plus subtile, le dénigrement peut aussi apparaitre au travers du déréférencement des produits et services de la concurrence, de l’abus du système Adwords de Google, d’un buzz négatif, etc …
Pour aller plus loin, je vous invite à lire mes articles intitulés :
- Responsabilité des annonceurs pour utilisation d'une marque lors de publicités sur Google Adwords ;
- L'utilisation fautive de Google Adwords source de responsabilité ;
- La possibilité d'utiliser le nom d'une marque sur Internet avec des termes litigieux ;
- Les moyens d’actions juridiques et judiciaires contre le dénigrement sur Internet ;
- Le droit de critique justifie-t-il les atteintes à la réputation des entreprises sur Internet ?
1.3 – L’utilisation d’Internet pour causer du tort à un membre de sa famille, un collègue, son patron, sa hiérarchie, un/une ex, son professeur, un prestataire de service, un membre du clergé, une personne publique, etc …
L’imagination des Internautes est sans limite lorsqu’il s’agit de se venger et de porter préjudices.
Les cas d’atteintes à la réputation sont nombreux et peuvent être poursuivis sur les fondements juridiques suivant :
- L’usurpation d’identité :
L’usurpation d’identité sur Internet bientôt sanctionnée par le Code pénal
L’usurpation de l’identité numérique : diversité de situations et sanctions
- Les violations des droits à l’image, au respect de la vie privée et au nom
Droit au respect de la vie privée sur Internet : la charte du "droit à l'oubli numérique"
Le droit à l'oubli sur Internet garant du respect de la vie privée
Facebook face à la CNIL sur le problème de respect de la vie privée
Facebook : la confidentialité selon son "règlement de respect de la vie privée"
Avis de la CNIL sur le service de géolocalisation de Facebook denommé "Facebook Places"
La violation des droits des personnes (particuliers et sociétés) sur Internet
- L’injure et la diffamation
Injure et diffamation sur Internet
Gendarmes insultés sur Facebook : trois mois de prison ferme
La validation du licenciement de salariés pour faute en raison de propos tenus sur Facebook
Les réseaux sociaux et Facebook comme moyens de licenciement des salariés
Analyse juridique du jugement sanctionnant le dénigrement de son employeur sur Facebook
- Le harcèlement sur Internet :
Le cyberharcèlement, cyberbullying, cyberintimidation, harcèlement virtuel
- La violation des droits d’auteur :
Les droits d'auteur sur la création ou la refonte d'un site Internet
Loi Hadopi II : la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet
La possibilité d'utiliser le nom d'une marque sur Internet avec des termes litigieux
II – Les solutions juridiques à mettre en œuvre en cas d’atteinte à la réputation sur Internet
Internet n’est pas une zone de non droit, des moyens juridiques et judiciaires permettent de « faire le ménage » sur la toile et de sanctionner lourdement les auteurs de ces fautes.
En matière d’atteintes à la réputation sur Internet diverses solutions juridiques alternatives sont possibles :
- Faire usage du droit de réponse (2.2)
- Solliciter des sites Internet le retrait des contenus ou manœuvres préjudiciables en leur adressant une notification de retrait (2.3)
- Intenter une action en référé afin de retrait des contenus illicites, si le site Internet fait de la résistance malgré une notification), de sanction et d’indemnisation des préjudices subis (2.4)
- Faire publier sur le site Internet considéré la décision de justice rendue en faveur de la victime.
2.1 - Le préalable à toute action judiciaire : le constat Internet
En matière de preuve sur Internet, il est nécessaire de procéder à un constat en bonne et due forme des propos litigieux afin d’obtenir une preuve en cas de poursuite judiciaire.
A défaut de constat d’huissier ou de rapport de constat Internet de la société Celog/App, seule société privée habilitée jurisprudentiellement, aucune preuve ne permettra de justifier valablement la diffusion des propos illicites.
Pour aller plus loin sur la preuve sur internet par constat, je vous invite à lire :
- La preuve d’un contenu litigieux ou d’un fait sur Internet strictement encadrée par la jurisprudence
- La preuve des propos et contenus illicites sur Facebook et les forums de discussion internet
2.2 - Faire usage du droit de réponse
L'article 6 IV de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dite LCEN, fixe le cadre juridique du droit de réponse spécifique sur l'internet.
Le droit de réponse en ligne est reconnu « à toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne », à savoir tant les personnes physiques que les personnes morales mises en cause dans un contenu diffusé sur Internet.
Il est important de souligner que l’exercice de ce droit de réponse est gratuit, n’a pas à être justifié, ne suppose pas une atteinte ou que les propos soit négatifs et enfin ne prive pas l’auteur du droit de réponse de son droit de demander judiciairement la suppression du contenu litigieux ou son indemnisation.
« La demande d’exercice du droit de réponse doit être adressée au directeur de la publication ».
En effet, conformément à l'article 6-III de la LCEN, toute publication, qu'elle soit sur papier, audiovisuelle ou en ligne, doit obligatoirement diffuser certaines mentions d'information au public, nommée ours dans les publications de presse papier, et cyber-ours ou ours numérique sur le web.
Or, de nombreux sont sites Internet ne possèdent pas ces mentions obligatoires, par ignorance de leurs responsables ou de celle des agences de développement web qui les conçoivent et ce en violation des dispositions de l’article 6-VI alinéa 2 de la LCEN qui prévoit une peine d'un an de prison et/ou de 750.00 euros d'amende.
En l’absence d’identification possible du directeur de la publication sur un site, le tribunal de grande instance de Paris a jugé, le 28 février 2008, que la demande pouvait être adressée au titulaire du nom de domaine du site concerné ou à l’hébergeur du site lorsque la personne qui édite le site a conservé l’anonymat afin que ces derniers se chargent de transmettre au directeur de la publication la demande d’insertion.
Le droit de réponse répond à un formalisme et à une stratégie de communication particulière et doit s’exercer dans un délai de trois mois à compter de la mise en ligne du contenu litigieux.
La LCEN impose que l’insertion de la réponse se fasse à la même place et dans les mêmes caractères que le message critiqué.
L’article 1er du décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse en ligne, prévoit que le droit de réponse ne peut s’exercer lorsque « les utilisateurs sont en mesure, du fait de la nature du service de communication au public en ligne, de formuler directement les observations qu’appelle de leur part un message qui les met en cause ».
Ainsi, aussi critiquable que cela soit, le législateur exclu du champ d’application du droit de réponse les forums de discussion non modérés.
Aux termes d’une ordonnance du 19 novembre 2007, le Président du tribunal de grande instance de Paris a pour la première fois fait application du décret précité en jugeant que celui-ci oblige le demandeur à l’exercice d’un droit de réponse sur internet à spécifier les propos précis, extraits du texte litigieux, qu’il conteste, soit en les reproduisant in extenso, soit en les identifiant suffisamment précisément au sein dudit texte, de sorte que le directeur de la publication puisse apprécier, notamment, s’il existe une corrélation entre lesdits passages et la réponse elle-même.
Aux termes de l’article 6-IV alinéa 3 de la LCEN, le directeur de la publication est tenu d’insérer les réponses, dans les trois jours de leur réception, sous peine d’une amende de 3 750 euros, sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts, auxquels la loi pourrait donner lieu.
Cependant, le droit de répondre publiquement à des attaques n'efface pas celles-ci, or le plus souvent, la victime cherche avant tout à obtenir la suppression des propos litigieux.
2.3 - Mettre en demeure l’hébergeur du site Internet de faire cesser la diffusion des propos dénigrants
En principe, les hébergeurs ne sont pas automatiquement responsables des contenus qu'ils hébergent.
Cependant, la mise en jeu de la responsabilité de l'hébergeur, prévue par l'art.6-I alinéa 2 de la LCEN est une arme à ne pas négliger contre les sites hébergés en France.
En effet, leur responsabilité commence dès lors qu'ils acquièrent « effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ».
Par conséquent, en cas de refus d'obtempérer de la part des responsables d'un site, il reste la possibilité de s'adresser à l'hébergeur du site qui se trouvera dans l'obligation de bloquer l'accès litigieux.
2.4 - Exercer une action en référé
La victime du dénigrement sur l’Internet peut saisir en référé n’importe quelle juridiction de son choix afin de :
- faire cesser un "trouble manifestement illicite", même en l'absence d'urgence ou de contestation sérieuse en sollicitant du tribunal qu'il mette un terme à la diffusion des messages dénigrants.
- demander d'ordonner la cessation de tout nouveau propos dénigrant à l'encontre de son auteur
- demander la publication de la décision rendue sur la page d'accueil du site Internet et éventuellement dans un ou plusieurs quotidiens nationaux
- obtenir le versement d'une indemnisation provisionnelle des préjudices subis
- obtenir le remboursement de tout ou partie de ses frais d’avocat.
(Sur la procédure de référé, je vous invite à lire : « Les conditions et les effets de la procédure de référé »).
En conclusion, outre ce que nous sommes susceptibles de pouvoir diffuser sur la toile concernant les autres et soi-même et que nous connaissons, pour des raisons personnelles et professionnelles, il est devenu aujourd’hui important de connaitre ce que les autres diffusent à notre égard et donc de se connaître soi-même, précepte dont Platon écrivais dans Charmide :
« [...] J’irais même jusqu’à dire que c’est précisément à se connaître soi-même que consiste la sagesse, d’accord en cela avec l’auteur de l’inscription de Delphes. Je m’imagine que cette inscription a été placée au fronton comme un salut du dieu aux arrivants, au lieu du salut ordinaire « réjouis-toi », comme si cette dernière formule n’était pas bonne et qu’on dût s’exhorter les uns les autres, non pas à se réjouir, mais à être sages. C’est ainsi que le dieu s’adresse à ceux qui entrent dans son temple, en des termes différents de ceux des hommes, et c’est ce que pensait, je crois, l’auteur de l’inscription à tout homme qui entre il dit en réalité : « Sois sage. » Mais il le dit, comme un devin, d’une façon un peu énigmatique ; car « Connais-toi toi-même » et « Sois sage », c’est la même chose, au dire de l’inscription et au mien. Mais on peut s’y tromper : c’est le cas, je crois, de ceux qui ont fait graver les inscriptions postérieures : « Rien de trop » et « Cautionner, c’est se ruiner. »
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
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