Le litige concernait la société du journal l’Est Eclair qui avait donné un avertissement à l’un de ses employés, journaliste, pour avoir diffusé sur le mur Facebook d’une "amie" Facebook le message suivant :
« Au fait : notre chef est un vrai autiste, non ? Tu ne connaitrais pas un centre spécialisé où on pourrait le soigner ? D’ailleurs, est que la connerie se soigne ? Alli je retour dans le pays d’Othe, Ca gronde là bas ! »
Or, une "amie" de cette "amie" a communiqué ces propos à la direction du journal.
Le journaliste s’estimant injustement sanctionné a saisi le Conseil des Prud’hommes de Troyes pour faire annuler l’avertissement reçu de sa direction.
Par jugement du 16 décembre 2009, la section encadrement du Conseil des Prud’hommes de Troyes a annulé l’avertissement et condamné le journal à indemniser son salarié.
Le journal l’Est Eclair a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel de Reims .
Le 9 juin 2010, la Cour d'appel de Reims a donné raison aux premiers juges en considérant que :
« Aucun nom n’a été indiqué par M. C. et que le terme « chef » ne s’apparente pas systématiquement à la relation professionnelle … qu’il existe en tout état de cause une ambigüité sur la personne visé … les faits reprochés ne constituent pas un manquement susceptible d’être sanctionné… »
Mais cet arrêt est surtout intéressant en ce qu’il pose des principes accessoires à la solution du litige et juge que :
1) Les journalistes sont présumés connaitre les principes et les lois en matière de presse, des nouvelles technologiques et de l’Internet :
« Les journalistes qui ont vocation à connaître les principes et les lois concernant la presse et notamment le respect de la vie privée, la diffamation, les injures, l'obligation de réserve et de loyauté ainsi que la manipulation d'outils de communication modernes ne peuvent ignorer que certains modes d'échanges ne leur assurent pas toute la discrétion nécessaire pour des propos qui sont censés rester dans la sphère privée … »
2) De manière explicite et pédagogue la Cour pose le principe selon lequel les messages sur les « murs » de Facebook ont un caractère privé et public :
« Nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantie pas toujours la confidentialité nécessaire ».
« Le message a été inscrit sur le « mur » de Melle B où il est indiqué « A. a écrit à 14 h 10 » le 31 octobre 2008 ; que le mur s'apparente à un forum de discussion qui peut être limité à certaines personnes ou non"et "en mettant un message sur le mur d'une autre personne dénommée « ami », il s'expose à ce que cette personne ait des centaines d' « amis » ou n'ait pas bloqué les accès à son profil et que tout individu inscrit sur Facebook puisse accéder librement à ces informations (coordonnées, mur, messages, photos) ; que dans ces conditions, contrairement à ce qu'avance le salarié, il ne s'agit pas d'une atteinte à la sphère privée au regard de tous les individus, amis ou non qui peuvent voir le profil d'une personne et accéder à son mur et aux messages qu'elle écrit ou qui lui sont adressés »
3) L'absence d’atteinte au secret des correspondances par l’utilisation des messages sur les « murs » de Facebook :
La jurisprudence considère traditionnellement que la correspondance privée se définit comme un message diffusé par une personne à une autre personne identifiée ou diffusé dans le cadre d'une communauté d'intérêt, autrement dit un groupe de personnes qui ont été choisies.
En l’espèce, le journaliste a écrit sur le mur d'une de ses collègues qui appartient à sa communauté d'intérêt : son groupe d’"amis" Facebook.
Cependant, aucun lien ni aucune communauté d'intérêt n’existe entre le journaliste et les amis de sa collègue.
Juridiquement, s’agissant de Facebook et des réseaux sociaux, il n’est pas évident de soutenir qu’un "ami" d’"ami" est votre ami, qu’il dépend de sa propre communauté d'intérêt, surtout si l'on ne contrôle pas le groupe de personnes susceptible d’y avoir accès.
Dans ce contexte, la diffusion d'un message sur le mur Facebook d’un tiers ou un forum ouvert sera certainement jugée comme une correspondance publique et non une correspondance privée.
La Cour juge ainsi que :
« La violation d'une correspondance privée suppose qu'un échange écrit ne puisse être lu par une personne à laquelle il n'est pas destiné, sans que soit utilisé des moyens déloyaux ; qu'en l'espèce, non seulement, il n'est pas établi que Melle B. ait bloqué l'accès à son profil et donc à son « mur » au moment des faits litigieux, mais surtout, si Monsieur A. voulait envoyer un message privé non accessible à d'autres personnes que le destinataire ou quelques amis choisis, il pouvait utiliser la boîte mail individuelle de Facebook, ce qu'il n'a pas fait ; qu'il n'y a donc pas de violation de la correspondance privée »
Ainsi, pour les juges, la publication d'un message sur le mur d'un « ami » Facebook pourrait ne pas relever d'une correspondance privée notamment si le profil n’est pas protégé dans ses paramètres de confidentialité ou si « des centaines d' "amis" » sont susceptibles de lire ce mur.
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Anthony Bem
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