Le droit de l'Internet a ceci de particulier qu'il nécessite l'intervention des juges pour avancer.
En effet, le droit de l'Internet évolue au gré des décisions de justice à défaut de règles légales fixées par le législateur.
Dans le cadre des actions en concurrence déloyale et parasitisme, la jurisprudence a ainsi eu l'occasion de fixer des règles pour les campagnes de référencement payant via le système publicitaire Google Adwords.
Le 28 mars 2014, la cour d'appel de Paris a jugé que, dans le cadre de la création de backlinks, une société ne peut pas valablement s'approprier le nom de son concurrent, qui constitue une valeur économique, sauf à devoir l'indemniser du préjudice subi.
Les juges d'appel ont ainsi condamné l'utilisation de mots clés utilisés de façon intense dans le cadre de la création de backlinks d'un site internet à l’effet de tromper les moteurs de recherche et de détourner de manière déloyale la clientèle (Cour d’appel de Paris Pôle 5 - Chambre 2, 28 mars 2014, Sofrigam / Carl G., Softbox Systems)
Un backlink aussi appelé rétrolien ou lien retour est un lien se trouvant sur un site internet autre que le sien mais qui dirige vers son propre site.
Leur but est, d'une part, d'attirer des visiteurs et clients potentiels depuis des sites tiers et, d'autre part, d'améliorer l'indexation et le positionnement d'un site internet dans les résultats des recherches faites par les internautes.
Les backlinks sont ainsi des liens hypertextes permettant d’optimiser le référencement naturel des sites internet dans les résultats des moteurs de recherches.
En l'espèce, la société Sofrigam qui a pour activité la fabrication et la commercialisation d’emballages industriels et pharmaceutiques a enregistré la marque Sofrigam qu'elle exploite sur deux sites internet, le site institutionnel www.sofrigam.com et le site marchand www.laboutiquedufroid.com.
Cette société s’est aperçue que dans le moteur de recherche Google.com une recherche basée sur le mot-clé Sofrigam faisait apparaître le site www.softboxsystems.com en troisième position et sur le moteur de recherche Google.fr, en cinquième position, après le sien, c'est-à-dire celui de la société de droit anglais Softbox concurrente.
Ce positionnement résultait de la campagne de backlinks agressive menée par la société Softbox.
C’est dans ces circonstances que la société Sofrigam a assigné la société Sofibox devant le tribunal de grande instance de Paris pour :
- contrefaçon de sa marque,
- concurrence déloyale,
- parasitisme économique,
- publicité de nature à induire en erreur,
- réparation du préjudice en résultant.
Le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes et la société Sofrigam a interjeté appel du jugement.
Sur la contrefaçon de marque :
Aux termes de l’article L 713-3 b) du code de la propriété intellectuelle sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public : (...) ; b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
La société Sofrigam reprochait à la société Sofibox d’user, sans son consentement, sa marque, pour en faire, dans de très nombreux sites tiers, l’ancre de backlinks qui pointent vers le site www.softboxsystems.com, site officiel de la société Sofibox.
Selon elle, la société Softbox faussait le référencement naturel sur le mot clé Sofrigam en créant artificiellement de nombreux liens hypertextes.
En effet, l’algorithme du moteur de recherche Google accorde une certaine importance au texte associé avec un hyperlien pointant vers une page donnée.
Si plusieurs sites utilisent le même texte (mot-clé) associé au même hyperlien et donc pointant vers la même cible, le moteur de recherche additionne ces pointages et le site visé par ces hyperliens retour, ayant un indice de popularité accru, se trouve mieux référencé.
En l'espèce, il y avait plus de 700 Backlinks avec l’ancre Sofrigam redirigeant sur le site de la société Sofibox.
La société Softbox Systems en choisissant le mot-clé de la marque de sa concurrente à des fins de référencement internet et donc sa promotion a fait usage de celle-ci dans la vie des affaires et en a tiré un avantage économique.
Cependant, les liens associés au mot Sofrigam étaient pour l’essentiel invisibles et nécessitaient une analyse du site pour pouvoir les détecter, de sorte qu’ils n'étaient pas susceptibles de générer une confusion dans l’esprit de l’internaute qui cherche à acquérir des produits Sofrigam et qui trouvait, à l’issue de sa requête naturelle, le site de la société Sofrigam sur l’un des premiers rangs de la liste des résultats.
La cour d'appel a toutefois considéré qu'à défaut de contrefaçon de la marque c’est à bon droit que le tribunal a débouté la société Sofrigam de ce chef de demande.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
La cour d'appel a jugé que :
« En utilisant la dénomination sociale et le nom de domaine d’une société concurrente sous la forme d’un mot clé, utilisé de façon intense dans le cadre de création de backlinks, lors de requête de recherches naturelles, à l’effet de tromper le moteurs de recherche, a, provoqué de ce seul fait, un détournement déloyal de clientèle qui risque d’être moins visité, ainsi qu’une utilisation parasitaire de l’investissement effectué par la société Sofrigam créée antérieurement largement connue dans le marché considéré, en augmentant de façon détournée, ainsi sa visibilité.
Cette appropriation délibérée de la valeur économique de la société Sofrigam, distincte des actes de contrefaçon de marque reprochés, lui a occasionné un préjudice résultant d’une perte de chance d’être plus amplement visitée au profit de cette concurrente ».
Il est intéressant de relever, s'agissant de l'indemnisation du préjudice subi, que la société demanderesse justifiait avoir subi une perte de chiffre d’affaires de 26,61%.
Cependant, les juges ont estimé que rien ne permettait d'établir que ce référencement déloyal était en soi la seule et directe cause de cette perte de chiffre d'affaires.
Ainsi, compte tenu du fait que la société Softbox avait une activité réduite en France et que sa communication était essentiellement dirigée vers le monde anglo-saxon, les juges d'appel ont condamné la société Softbox au paiement de la somme de 50 000 € en
indemnisation du préjudice subi par la société Sofrigam.
Il résulte donc de cette décision que l'utilisation de marque, nom de domaine ou dénomination sociale d'un concurrent dans le cadre des backlinks de site internet constitue un acte de concurrence déloyale qui ouvre droit à des dommages et intérêts quand bien même l'activité concurrentielle est limitée sur le territoire national.
Si l'on a plus souvent l'habitude de décisions de justice en matière de concurrence déloyale et de contrefaçon dans le cadre du référencement payant Adwords sur le moteur de recherche de Google, cet arrêt consacre un nouveau type de parasitisme commercial concernant les campagnes de backlinks des sites internet.
L'analyse des backlinks des sites internet des concurrents peut donc révéler un usage déloyal et parasitaire qu'il est nécessaire de faire cesser et dont il est possible d'obtenir indemnisation même si la concurrence n'est que théorique comme dans le cas présent.
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Anthony Bem
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