En l'espèce, Monsieur G est un artiste peintre, à l’origine d’un tableau représentant des oies dans un paysage de bruyère cédé à titre amicale aux époux Y pour la somme de 300 €.
Cependant, les époux Y qui exploitent la société de charcuterie artisanale Labbé-Simon a utilisé à des fins commerciales une reproduction de l’œuvre sur leur site internet, leur véhicule utilitaire, la devanture de leur boutique, des panneaux publicitaires, des sacs à provision et des affichettes publicitaires.
Le tableau offert par Monsieur G est devenu le signe distinctif de la société Labbé-Simon.
En vain, Monsieur G a adressé une mise en demeure à la société Labbé Simon d’avoir à cesser l’utilisation de son œuvre et a assigné en justice cette société afin d’obtenir notamment sa condamnation à lui verser des dommages et intérêt pour violation de ses droits de reproduction et de transformation ainsi que l'atteinte portée à son droit moral.
La qualité d’œuvre originale protégeable par le droit d’auteur du tableau réalisé par Monsieur G n’était pas contestée.
Dans ce contexte, le tribunal a rappelé le principe selon lequel « les droits patrimoniaux peuvent être cédés partiellement ou totalement, à titre gratuit ou onéreux. Il appartient néanmoins à celui qui s’en prétend cessionnaire d’en rapporter la preuve et l’étendue, l’article L131-3 du code de la propriété intellectuelle exigeant que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue, sa destination, son lieu et sa durée ».
En effet, l’article L131-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.
Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article.
…
Le bénéficiaire de la cession s'engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l'auteur, en cas d'adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues ».
Au cas présent, la société invoquait le fait que Monsieur G. a été son salarié au cours de la période à laquelle les reproductions litigieuses de son œuvre étaient déjà utilisées par la société Labbé Simon.
Cependant, les juges ont estimé qu’« il ne peut néanmoins être déduit de cette simple tolérance ponctuelle avérée une cession tacite et sans limite de ses droits patrimoniaux d’auteur, laquelle n’est établie par aucun autre élément produit par la défenderesse ».
En outre, en vertu de l’article L122-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.
L’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite.
Par conséquent, le tribunal a jugé que :
« la société Labbé Simon, qui n’était pas titulaire des droits d’auteur sur le tableau, la cession du support matériel de l’œuvre n’emportant pas celle des desdits droits, a en conséquence reproduit illicitement celle-ci sans autorisation de son créateur sur son site internet, son véhicule utilitaire, la devanture de sa boutique, des panneaux publicitaires, des sacs à provision et des affichettes publicitaires, ce qui constitue une atteinte à des droits patrimoniaux d’auteur ».
Par ailleurs, selon l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son œuvre.
Or, la société Labbé Simon a, pour reproduire l’œuvre sur ses différents supports publicitaires, modifié l’œuvre laquelle n’est pas représentée intégralement, et est parfois déformée du fait de son apposition sur le véhicule de la société ou sur les étiquettes de « langouilles brièronnes », ce qui porte atteinte à son intégrité.
Ainsi, le tribunal a jugé qu'« en associant l’œuvre de Monsieur G au commerce de spécialités charcutières, lequel n’a aucun rapport avec l’art pictural ni avec le sujet du tableau, la société Labbé Simon a porté atteinte à l’esprit de celui-ci ...Monsieur G. est donc bien fondé à se prévaloir d’une atteinte à son droit moral d’auteur, dont la défenderesse lui devra réparation ».
S’agissant des mesures réparatrices, l’article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, le juge prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ce droit du fait de l’atteinte.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternatif et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus à l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.
Compte tenu du nombre important de supports publicitaires et commerciaux de la société Labbé Simon et de la durée de cette utilisation litigieuse, depuis 2007, « le préjudice patrimonial de Monsieur G. consécutif à la contrefaçon, lequel s’analyse en l’absence de perception de la rémunération normalement due en cas d’exploitation d’une œuvre protégée, sera évalué à la somme 3000 € ».
En outre, il est intéressant de relever que le tribunal a considéré que « l’auteur a par ailleurs subi un préjudice moral du fait de l’exploitation de son œuvre sans son autorisation, dans un contexte peu artistique. Néanmoins, il sera tenu compte pour l’évaluation de ce préjudice de la circonstance selon laquelle il a toléré cette utilisation pendant plusieurs années avant de la dénoncer. Au regard de ces éléments, son préjudice sera évalué à la somme de 500 €, que la société Labbé Simon sera condamnée à lui verser ».
Enfin, le tribunal a fait droit à la demande de Monsieur G tendant au retrait de l’œuvre du site internet de la société Labbé Simon et à sa demande de destruction des supports publicitaires et commerciaux contrefaisants.
Il résulte de cette décision que même dans un contexte de relations amicales ou professionnelles établies entre les parties, la cession des droits d’auteur sur une œuvre de l’esprit (patrimonial et moral) ne peut pas se déduire tacitement, se faire gratuitement, par tous moyens mais suppose obligatoirement de respecter un formalisme par écrit en rédigeant un acte de cession de droits d'auteur.
La validité de l’acte de cession est conditionnée par la mention des informations suivantes dans l'acte :
- Les types de droits cédés : représentation, reproduction, traduction, etc ... ;
- La délimitation du domaine d’exploitation quant à :
- La description exacte des oeuvres objet de la cession ;
- L’étendue (type de diffusion, de presse, Intranet, Internet, etc … ) ;
- La destination de cette exploitation ;
- Le lieu (étendue géographique de la cession) ;
- La durée (obligatoirement déterminée et limitée dans le temps, voir déterminable) ;
- la rémunération de l'auteur.
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Anthony Bem
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