Le 28 novembre 2013, le Tribunal de grande instance a condamné Facebook France à rétablir la « page non officielle » d’une marque et octroyé au titulaire de cette page une réparation de son préjudice moral subséquent à la suppression injustifiée de celle-ci du réseau social par le titulaire de la marque (TGI Paris, 3ème chambre, 4ème section, 28 novembre 2013 (Mme C. / Sociétés Telfrance Serie et Facebook France)
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En l’espèce, Madame C. est la créatrice et l’animatrice du site internet www.pblvmarseille.fr, site non officiel consacré à la série télévisée “plus belle la vie”, ainsi que d’une page Facebook également consacrée à cette série, www.facebook.com/pblvmarseille qui recueillait 605200 “fans” en février 2012.
Cette page était une sorte de “fan club” qui permettait à Madame C. d’assouvir sa passion pour cette série télévisée.
La société Telfrance Serie, société de production de films et de programmes pour la télévision, et producteur délégué de la série télévisée “Plus belle la vie”, feuilleton quotidien diffusé sur la chaîne France 3 a déposé les marques “PBLV” et “Plus belle la vie” auprès de l’Inpi.
Le site et la page Facebook de Madame C. étaient connus de la société Telfrance Serie, avec laquelle elle entretenait des relations régulières, chacun tirant profit et faisant la promotion de l’autre.
Or, Madame C. a découvert courant 2012 que la société Telfrance Serie avait demandé à Facebook de fusionner sa page non officielle avec la page Facebook officielle de cette société, demande acceptée par la société Facebook, de sorte que la société Telfrance Serie s’est appropriée les 605200 fans de sa page Facebook sans qu’elle en soit prévenue.
Afin de tenter de justifier sa demande la société Telfrance Serie a expliqué qu’elle a sollicité la fermeture de la page “PBLV Marseille” de Madame C. pour protéger l’utilisation de ses marques sur Facebook.
Madame C. a donc assigné la société Telfrance Serie et la société Facebook France devant le tribunal de grande instance de Paris.
En effet, elle soutenait que le droit des marques ne peut entraver la liberté d’expression, et que le fait que la société Telfrance ait déposé une marque ne lui donne pas le pouvoir de s’opposer à tout usage du signe concerné.
Ainsi, Madame C. a demandé au tribunal d’ordonner à la société Facebook France de rétablir sa page Facebook telle qu’elle existait avant sa suppression, sous astreinte de 500 € par jour, et de condamner la société Telfrance Serie au paiement de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.
- Sur le respect du droit des marques par les pages « non officielles » des internautes créées sur les réseaux sociaux
Pour mémoire, l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que
« sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée ».
De plus, l’article 5 de la Directive européenne du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, prévoit notamment que la marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif, et que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.
En application de ces textes, le tribunal a jugé que :
« Le titulaire d’une marque est habilité à faire interdire l’usage d’un signe identique à la marque, lorsque cet usage se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé.
Par ailleurs, le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à l’usage d’un signe identique à sa marque, si cet usage n’est pas susceptible de porter atteinte à l’une de ses fonctions ».
Le tribunal précise que la notion d’activité commerciale est celle qui tend à « viser l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique ».
Au cas présent, les juges ont relevé que rien ne démontre que Madame C. a utilisé la page Facebook “PBLV Marseille” afin de réaliser des échanges commerciaux ayant pour but de distribuer des biens ou des services sur le marché.
Dans ce contexte, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que :
« Faute pour la société Telfrance Serie de démontrer que Madame C a fait usage des marques dont elle est titulaire dans la vie des affaires ou en a tiré un avantage direct ou indirect, elle ne pouvait s’opposer à l’usage de ses marques sur la page Facebook “PBLV Marseille” ».
Il en découle que la page Facebook créée par un internaute sur une marque ne revêt en tant que telle une nature professionnelle et donc commerciale susceptible d’être fermée ou transférée à la marque en question.
- Sur les conséquences de la suppression injustifiée d’une page « non officielle » d’une marque sur Facebook
Nous envisagerons :
- D’une part, la sanction des agissements déloyaux (2.1) ;
- D’autre part, la condamnation de Facebook France a rétablir la page supprimée sous astreinte (2.2).
2.1 - Sur la sanction des agissements déloyaux de la société Telfrance Serie envers Madame C
Il ressort des pièces versées aux débats par les parties que la société Telfrance Serie :
- entretenait avec Madame C des relations régulières,
- profitait du travail d’animation de la page litigieuse dont elle connaissait l’existence,
- sollicitait Madame C et la remerciait pour son soutien,
- avait invité Madame C à une réunion au cours de laquelle a été définie une charte consacrée aux espaces officiels et non officiels consacrés à la série,
Dans ce contexte, le tribunal a jugé que :
« Dès lors, l’initiative de la société Telfrance Serie, qui a entraîné la fermeture de la page Facebook animée jusqu’au 14 février 2012 par Madame C, apparaît déloyale et a causé à celle-ci un préjudice moral.
L’importance du nombre de fans de cette page permet d’apprécier l’investissement humain réalisé par Madame C. dans l’animation de cette page, et le préjudice moral qui a résulté de cette fermeture.
Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Madame C. en condamnant la société Telfrance Serie à lui verser la somme de 10 000 € à ce titre ».
2.2 - Sur la condamnation de Facebook France au rétablissement de la page Facebook telle qu’elle existait avant sa suppression
Outre, l’indemnisation du préjudice moral de la demanderesse par la société Telfrance Serie, le tribunal a ordonné à la société Facebook France le rétablissement de la page Facebook “PBLV Marseille” de Madame C. telle qu’elle existait avant sa suppression.
Or, à titre liminaire, il convient de souligner que la société Facebook France ne s’est pas sentie concernée par cette affaire.
En effet, comme à son habitude dans les affaires jugées en première instance, la société Facebook France n’a pas constitué avocat.
Ainsi, la société Facebook France n’était pas représentée par un avocat dans le cadre de la présente affaire et n’a pas fait valoir d’argument.
En tout état de cause, le tribunal a jugé que :
« La société Telfrance Serie étant titulaire des marques “PBLV” et “ Plus belle la vie ”, et sollicitant la fermeture d’une page non officielle consacrée à la série télévisée “plus belle la vie”, sa demande pouvait apparaître fondée pour la société Facebook France, tenue d’intervenir rapidement.
Dès lors, le blocage -constaté le 14 juin 2012- par la société Facebook France de l’accès par madame C. à la page Facebook “PBLV Marseille”, pris en application de la loi précitée[LCEN], ne saurait constituer une faute justifiant qu’elle soit condamnée au paiement de dommages et intérêts.
Pour autant, la demande de fermeture de la société Telfrance Serie n’étant pas justifiée, il sera ordonné à la société Facebook France le rétablissement de la page Facebook “PBLV Marseille” de madame C. telle qu’elle existait avant sa fermeture, et ce sous astreinte [de 500 € par jour de retard] ».
Cette décision est riche d’enseignements en matière d’usage de marques par les internautes sur les réseaux sociaux et a le mérite de fixer les contours juridiques des droits des titulaires des marques sur internet ainsi que ceux des internautes.
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Anthony Bem
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